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BPDA N°1

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BPDA N°1
Édito
Le droit d’asile a sa revue !
01/04/2024

La création du Bulletin de pratique et de droit d’asile repose sur le constat d’une constante évolution des règles applicables qui s’accompagne de leur complexification.

À l’heure où le droit d’asile en France a été réformé par la loi « Asile et immigration » du 26 janvier dernier et devrait être modifié par l’adoption prochaine de la réforme du Régime d’asile européen commun au sein de l’Union européenne, il apparaît nécessaire de faciliter la compréhension de la matière et de mettre en lumière les enjeux qui s’y attachent. Le BPDA, rattaché à l’Institut des hautes études internationales (IHEI) de l’Université Paris-Panthéon-Assas, entend participer à cet objectif en facilitant la publication des travaux relatifs au droit d’asile et en favorisant leur visibilité à travers une revue numérique accessible en libre accès. Le Bulletin s’inscrit à cet égard dans la continuité du DU Droit d’asile – Accueil et protection des étrangers persécutés créé en 2020 et qui a vocation à former les professionnels intervenants auprès des demandeurs d’asile ou des bénéficiaires de la protection internationale.

Le BPDA est ouvert aux contributions soulevant des problématiques juridiques liées à la protection des réfugiés dans ses différentes composantes : traitement procédural et substantiel de la demande d’asile (devant l’OFPRA et la CNDA), statut du demandeur d’asile, droits du réfugié…Sont concernés les travaux réalisés par les universitaires mais aussi par les professionnels et acteurs du droit d’asile. Le premier numéro du Bulletin illustre la diversité à laquelle il se destine, en livrant le regard d’un représentant de l’OFPRA, d’un juge de la CNDA et d’un universitaire sur certains enjeux juridiques actuels de la protection des réfugiés. Johan Ankri, Directeur des affaires juridiques, européennes et internationales à l’OFPRA évoque la montée en puissance de la problématique relative à l’ordre public au sein de la pratique de l’Office à la faveur de la loi « Asile » du 29 juillet 2015. Il analyse la manière dont l’administration en charge du traitement des demandes d’asile s’est adaptée à ce nouvel enjeu. L’ordre public est également au cœur de la contribution du juge Thomas Besson, Vice-Président de la CNDA, qui nous livre un état des lieux de la distinction entre qualité et statut de réfugié. Les enjeux sécuritaires illustrent ici la complexification du droit d’asile dont il a été question plus haut, cette distinction ayant donné lieu à de nouvelles règles, notamment celles relatives au retrait du statut de réfugié aux fins de préservation de l’ordre public. Claire Brice-Delajoux, Maître de conférences à l’Université Paris-Saclay, se tourne quant à elle vers l’avenir proche en analysant les perspectives de la réforme du Règlement européen de l’asile commun qui devrait être prochainement adoptée. Elle s’interroge sur la capacité des nouveaux dispositifs à atteindre les objectifs fixés : améliorer l’efficacité du système d’asile et renforcer la solidarité entre les États membres de l’Union. Ces premières contributions invitent le lecteur à questionner les équilibres du droit d’asile contemporain.

Notes de bas de pages

BPDA N°1
La prise en compte de la problématique de l’ordre public dans l’examen des demandes d’asile : quel bilan huit ans après la loi Asile du 29 juillet 2015 ?
01/04/2024

La loi Asile du 29 juillet 2015, qui a fait de la menace grave pour la sûreté de l’État ou pour la société française un motif de refus ou de retrait du statut de réfugié, a marqué un tournant majeur dans la prise en compte et le traitement des questions d’ordre public par les autorités chargées de l’examen des demandes d’asile et de l’octroi de la protection internationale que sont l’Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d’asile.

Cette réforme – dont l’élaboration s’est inscrite dans le contexte de la vague d’attentats terroristes de l'année 2015 – a constitué une véritable révolution culturelle, en particulier pour l’OFPRA, qui s’est en conséquence profondément réformé, sur le plan organisationnel et fonctionnel, pour être à la hauteur des enjeux sécuritaires. Et cela dans un cadre juridique relativement nouveau, et donc nécessairement mouvant.

La loi Asile du 29 juillet 2015, qui a fait de la menace grave pour la sûreté de l’État ou pour la société française un motif de refus ou de retrait du statut de réfugié, a marqué un tournant majeur dans la prise en compte et le traitement des questions d’ordre public par les autorités chargées de l’examen des demandes d’asile et de l’octroi de la protection internationale que sont l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (ci-après OFPRA) et la Cour nationale du droit d’asile (ci-après CNDA).

Certes, l’ordre public – dont il convient de rappeler qu’il est, par sa sensibilité et sa complexité, un sujet d’une grande importance, mais qui concerne un très faible nombre de demandeurs d’asile et de bénéficiaires d’une protection internationale – était déjà, pour ces dernières, un sujet de préoccupation avant 2015. En effet, la loi du 10 décembre 2003 avait fait de la menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l’État une clause d’exclusion de la seule protection subsidiaire.

Mais la réforme de 2015 – dont il n’est pas inutile de rappeler que l’élaboration s’est inscrite dans le contexte de la vague d’attentats terroristes survenue dès le mois de janvier de cette année-là – a constitué ce qu’il semble possible de qualifier de véritable révolution culturelle, en particulier pour l’OFPRA, qui s’est en conséquence profondément réformée, sur le plan organisationnel et fonctionnel, pour être à la hauteur des enjeux sécuritaires que nous connaissons tous. Et cela dans un cadre juridique relativement nouveau, et donc nécessairement mouvant.

1. L’ordre public, une révolution culturelle depuis 2015

Avant 2015, l’ordre public – qu’il convient de bien distinguer de l’exclusion traditionnelle de la protection internationale[1] – n’était pas une préoccupation quotidienne des officiers de protection chargés de l’instruction des demandes d’asile. Ces derniers n’étaient pas spécialement formés à la problématique, ne prenaient que très rarement des décisions d’exclusion de la protection subsidiaire sur ce fondement[2] et se limitaient à procéder à des vérifications sécuritaires auprès des préfectures et de l’unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT) avant l’octroi de la protection subsidiaire.

Avec la loi du 29 juillet 2015 et l’adoption de l’article L. 711-6 (devenu L. 511-7) du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), le législateur a considérablement renforcé une mission jusque-là marginale pour l’OFPRA et la CNDA: celle d’apprécier le risque prospectif qu’un demandeur d’asile ou un bénéficiaire de la protection internationale représente, en France, pour l’ordre et la sécurité publics. Ces dispositions ont en quelque sorte été vécues comme l’attribution d’une compétence nouvelle.

Or, l’appréciation de la dangerosité d’un individu, davantage familière des magistrats et de l’administration pénitentiaire, était quasi étrangère aux autorités de l’asile, dont le cœur de mission est avant tout l’appréciation du risque prospectif de persécution ou d’atteinte grave en cas de retour dans le pays d’origine.

Quelques commentateurs ainsi qu’un certain nombre de professionnels de l’asile – notamment des avocats, des magistrats voire même des agents de l’OFPRA et de la CNDA – ont ainsi pu s’interroger quant à la légitimité, d’une part, des autorités de détermination que sont l’OFPRA et la CNDA à endosser cette mission de sécurité publique et à leur capacité, d’autre part, à le faire.

Près de neuf ans après la réforme de 2015, il est permis de considérer qu’au-delà même de la légitimité conférée par le seul effet de la loi, le principe de la prise en compte de l’ordre public dans le cadre de l’examen des demandes d’asile ne fait plus débat et que les inquiétudes à cet égard ont été levées. Il semble en effet acquis par tous que c’est là une condition nécessaire pour garantir l’intégrité du droit d’asile et assurer la pérennité de son acceptation sociale par une majorité de Français, dans un contexte géopolitique et politique où il n’est plus rare que l’asile soit remis en cause, en tant que droit fondamental, par une part croissante des opinions publiques et des classes politiques des démocraties occidentales.

L’OFPRA a sollicité, en 2023, près de 44.000 enquêtes auprès du Service national des enquêtes administratives de sécurité (SNEAS) et pris 420 décisions de refus ou de retrait d’une protection internationale en application d’une clause d’exclusion ou d’ordre public.

C’est ainsi une véritable culture de l’ordre public qui s’est progressivement instaurée à l’OFPRA, et qui se traduit par une vigilance renforcée au cœur de la pratique quotidienne des officiers de protection, par un traitement des questions d’ordre public qui se veut impartial, dans le respect de l’indépendance fonctionnelle de l’établissement public, et par la mise en œuvre d’un dispositif adapté.

2. Le dispositif mis en œuvre pour le traitement des questions d’ordre public

Ce dispositif, qui s’est graduellement construit depuis 2015, repose principalement sur trois volets : la formation, le partage d’informations et l’adaptation des processus internes.

La formation

La première brique du dispositif est la formation initiale et continue de tous les officiers de protection chargés de l’instruction des demandes d’asile. Elle est destinée à leur donner les connaissances et les réflexes nécessaires pour l’identification et le traitement des dossiers susceptibles de poser des enjeux d’ordre public, la prise en compte de la radicalisation religieuse et du risque terroriste ainsi que l’évaluation de la dangerosité d’un individu.

Cette formation repose à la fois sur l’expertise développée au sein de l’établissement ainsi que sur l’apport de partenaires extérieurs tels que des représentants de l’autorité judiciaire, des services spécialisés ou encore du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) et de l’École nationale de la magistrature (ENM).  

Le partage d’informations en matière d’ordre public

Avant 2015, l’OFPRA était rarement rendu destinataire d’informations relatives à l’ordre public concernant des demandeurs d’asile ou des bénéficiaires de la protection internationale, hormis les hypothèses précédemment mentionnées dans lesquelles il saisissait de lui-même les préfectures et l’UCLAT.

Depuis la loi du 29 juillet 2015, l’autorité judiciaire est tenue d’informer l’OFPRA et la CNDA, sur demande ou d’office et sans que le secret de l’instruction ne puisse leur être opposé, des informations recueillies dans le cadre de procédures civiles ou pénales laissant supposer, notamment, l’existence d’une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l’État[3]. L’échange mutuel d’informations entre l’autorité judiciaire et les autorités chargées de l’asile[4], organisé par une circulaire du garde des Sceaux du 27 septembre 2016, a ainsi été institutionnalisé avec un double objectif : préserver l’intégrité et la crédibilité du système de l’asile d’une part, assurer une meilleure cohérence des réponses administrative et pénale d’autre part.

Par ailleurs, depuis une instruction du ministre de l’Intérieur du 25 juillet 2018, les préfectures sont quant à elles tenues d’informer l’OFPRA de tous éléments pertinents laissant à penser qu’un demandeur d’asile ou une personne protégée pourrait représenter une menace grave pour l’ordre public.

C’est ainsi que l’OFPRA réceptionne un nombre croissant de signalements spontanés de ses partenaires (3.563 en 2023 contre 2.716 en 2020) s’agissant de la situation de demandeurs d’asile et de personnes protégées au regard de l’ordre public. Il a en outre construit un vaste réseau de partenaires institutionnels lui permettant d’obtenir des informations complémentaires, au premier rang desquels le Service national des enquêtes administratives de sécurité (SNEAS) mais également le Service du casier judiciaire national, le Parquet national antiterroriste, les établissements pénitentiaires ou encore certains services centraux des ministères de l’Intérieur et de la Justice.

L’organisation et les processus internes

Au regard du volume de plus en plus important des échanges d’informations en matière d’ordre public, un point unique a été institué, au sein de l’OFPRA, pour la réception et le traitement des informations en lien avec l’ordre public. La cellule de recueil et d’analyse des informations en lien avec l’ordre public, placée auprès du service juridique, a ainsi pour missions de réceptionner les signalements externes, de solliciter dès leur réception toutes les informations complémentaires nécessaires pour la mise en l’état des dossiers du point de vue de l’ordre public et de réaliser une première analyse juridique des conséquences à en tirer par les services d’instruction. 

L’établissement public s’est par ailleurs doté, à partir du début de l’année 2022, d’un nouveau service – le service du suivi du statut – spécialement dédié à l’instruction des procédures de fin de protection. Il convient, à cet égard, de rappeler, que l’OFPRA ne prenait pas de décisions de fin de protection sur le fondement de l’exclusion ou de l’ordre public avant 2015, dès lors que les dispositions relatives à la fin de protection ont été introduites par la loi du 29 juillet 2015.

Une section du droit de l’ordre public et des fins de protection a en outre été créée au sein du service juridique. Ses missions sont, d’une part de rendre dans un délai contraint un avis juridique sur les projets de décisions de rejet d’une demande d’asile ou de fin de protection fondées sur un motif d’ordre public et, d’autre part d’assurer la défense contentieuse devant la CNDA, des dossiers dans lesquels il existe des éléments susceptibles de caractériser une menace grave et actuelle pour l’ordre et la sécurité publics. Ces processus internes, qui mobilisent des moyens dédiés au conseil juridique et au contentieux en matière d’ordre public, veillent à garantir la sécurité juridique des décisions les plus sensibles rendues par l’établissement, à favoriser une exploitation objective des informations dont l’OFPRA dispose et à les communiquer à la CNDA afin qu’elle en tire toutes les conséquences en matière d’application des clauses d’exclusion et d’ordre public, dans un contexte où le cadre juridique applicable, nouveau et donc par essence évolutif s’est progressivement construit.

3. Les défis liés à un cadre juridique en construction

Grâce à la jurisprudence de la CNDA et du Conseil d’État des huit dernières années, les contours du cadre juridique de l’application des clauses d’ordre public, en particulier celles issues de la loi du 29 juillet 2015 renforcées par la loi Asile, Immigration et Intégration du 10 septembre 2018 puis par la loi Séparatisme du 24 août 2021, sont aujourd’hui mieux définis.

Certaines questions fondamentales ont ainsi pu être résolues, dont la plus significative est sans doute la hiérarchisation des motifs de rejet d’une demande d’asile et de fin de protection. Alors qu’il semblait possible de considérer que l’article L. 711-6 (devenu L. 511-7) du CESEDA relatif au refus ou à la fin de la protection conventionnelle pour un motif d’ordre public pouvait être opposé à des demandeurs d’asile ou des personnes protégées sans hiérarchisation avec les autres motifs de rejet ou de retrait d’une protection internationale, le Conseil d’État[5], éclairé par la Cour de justice de l’Union européenne[6] qui a posé la fameuse distinction entre qualité et statut de réfugié, a jugé que cette disposition ne peut trouver à s’appliquer qu’à la condition que la personne réponde aux conditions de reconnaissance de la qualité de réfugié, à savoir l’existence de craintes personnelles de persécution en cas de retour dans le pays d’origine et l’inopposabilité des clauses d’exclusion traditionnelles. En d’autres termes, le statut de réfugié ne peut être refusé ou retiré sur le fondement de la menace grave pour la sûreté de l’État ou la société française qu’après avoir écarté l’absence ou la disparition des craintes, le retrait pour fraude et l’application des clauses de cessation puis d’exclusion.

Le Conseil d’État[7] a par ailleurs jugé, en dépit de controverses doctrinales, que la notion de menace grave pour la société française, jusque-là inédite en droit interne, devait être rapprochée de celle de menace grave pour l’ordre et la sécurité publics ; que les termes de présence et d’activité sur le territoire qui distinguent la rédaction des clauses d’ordre public en matière de statut de réfugié et de protection subsidiaire devaient être interprétés comme une seule et même notion ; ou encore que l’actualité de la menace devait être appréciée à la date de la décision et pouvait donc être caractérisée à l’encontre d’un individu purgeant une peine d’emprisonnement pour de nombreuses années encore.

Les dernières jurisprudences sont tout aussi éclairantes s’agissant des critères et du curseur d’appréciation de la menace, par exemple quant au poids à accorder aux gages de réinsertion présentés dans le cadre de l’appréciation de l’actualité de la menace grave pour l’ordre public[8].

Quelques questions demeurent néanmoins en suspens, comme par exemple celle, fondamentale, de savoir si, au regard des décisions récentes de la Cour de justice de l’Union européenne du 6 juillet 2023[9], le 2° de l’article L. 511-7 du CESEDA est conforme au droit européen en ce que tout délit puni de 10 ans d’emprisonnement est assimilé à un « crime particulièrement grave » au sens des dispositions de la directive « Qualification »[10], ou encore celle, bien plus anecdotique, de savoir si, en cas de condamnation pénale prononcée à l’étranger pour un délit, le quantum de peine encourue de 10 ans mentionné au même article s’entend de celui prévu en droit pénal français ou dans le droit de l’État qui a rendu le jugement.

Nul doute que le chemin parcouru depuis 2015 par les autorités de l’asile dans la prise en compte des problématiques d’ordre public est immense et qu’elles poursuivront encore longtemps leur triple mission de protection au service de la « France terre d’asile » : protéger les victimes de persécutions et d’atteintes graves tout en protégeant la sécurité publique, pour protéger durablement le droit d’asile…

Notes de bas de page

  1. [1] V. article 1F de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 : « les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser : a) qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes ; b) qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme réfugiés; c) qu'elles se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies) et article L. 512-2 du CESEDA : « [l]a protection subsidiaire n'est pas accordée à une personne s'il existe des raisons sérieuses de penser :1° qu'elle a commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité ;2° qu'elle a commis un crime grave ;3° qu'elle s'est rendue coupable d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations unies ».
  2. [2] Le chiffre précis est inconnu car les décisions d’exclusion n’étaient pas comptabilisées, avant 2015, séparément des autres décisions de rejet d’une demande d’asile.
  3. [3] V. articles L. 513-6 et L. 513-7 du CESEDA.
  4. [4] V. article L. 121-10 du CESEDA : « conformément au second alinéa de l'article 40 du code de procédure pénale, le directeur général de l'office transmet au procureur de la République tout renseignement utile ayant conduit au rejet d'une demande d'asile ou d'apatridie motivé par l'une des clauses d'exclusion définies à la section F de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951, aux 1°, 2° ou 3° de l'article L. 512-2 du présent code ou au iii du 2 de l'article 1er de la convention de New York du 28 septembre 1954 ».
  5. [5] Conseil d’Etat, 19 juin 2020, n° 416032.
  6. [6] Cour de justice de l’Union européenne, Grande chambre, 14 mai 2019, , M. c. Ministerstvovnitra et X. et X. c. Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides, C-391/16, C-77/17 et C-78/17.
  7. [7] V. par exemple Conseil d’Etat, 19 juin 2020, n° 428140 et Conseil d’Etat, 10 juin 2021, n° 440383.
  8. [8] V. par exemple Conseil d’Etat, 23 octobre 2023, n°460596.
  9. [9] Cour de justice de l’Union européenne, 6 juillet 2023, XXX, C-8/22.
  10. [10] Directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection.

Notes de bas de pages

BPDA N°1
Réflexions à propos de l’adoption imminente de la réforme du droit d’asile européen
01/04/2024

L’annonce en décembre 2023, par le Parlement européen et le Conseil, de leur accord politique sur les derniers textes clés de la réforme du régime d’asile européen en négociation depuis 2016, ouvre la voie à sa finalisation.

Selon la communication officielle, deux ambitions seront bientôt concrétisées : améliorer l’efficacité de ce système d’asile et renforcer la solidarité entre États membres de l’Union par un allègement de la charge qui grève les États d’entrée. Une confrontation entre les dispositifs annoncés et ces objectifs conduit à contredire cet optimisme. En ce qui concerne le premier objectif, certains droits seront renforcés, mais le développement parallèle d’outils visant à fluidifier les systèmes d’asile nationaux se soldera par une fragilisation majeure du droit d’asile lui-même, ce qui ne permet pas de conclure à sa plus grande efficacité. Quant au second objectif, ni la liberté des États dans la nature de leurs contributions, ni les mécanismes correctifs ne devraient permettre de répondre à l’attente de solidarité.

« Une fois adoptées, les nouvelles règles renforceront l'efficacité du régime d'asile européen et renforceront la solidarité entre les États membres en permettant d'alléger la charge pesant sur les États membres dans lesquels la plupart des migrants arrivent »[1].

C’est en ces termes que le ministre espagnol des Affaires étrangères présentait, le 20 décembre 2023, les gains attendus de la réforme du régime d’asile européen commune (ci-après « RAEC ») désormais sur le point d’aboutir, après que Conseil et Parlement européen soient parvenus à un compromis politique sur cinq des instruments clés qui bloquaient la finalisation de ce projet. Ces motifs de satisfaction sont-ils justifiés ?

Quelques mots, au préalable, du cadre de cet accord, dernier épisode en date du processus de réforme du droit d’asile initié en 2016 par la Commission européenne suite à l’incapacité des européens à répondre collectivement à l’arrivée massive de demandeurs d’asile dans le contexte de la persistance de la guerre en Syrie. Le plan[2], qui envisage à l’époque, pour l’essentiel, de modifier les instruments existants, n’aboutit pas. La Commission européenne, née des élections de 2019, reprend le flambeau et présente à l’automne 2020 un nouveau « Pacte pour la migration et l’asile »[3] ayant, comme son nom l’indique, un objet beaucoup plus large que l’asile[4]. Préservant les propositions de 2016 sur lesquelles un accord entre le Conseil et le Parlement européen semblait accessible, le Pacte contient, sur le terrain de l’asile, de nouvelles propositions législatives[5] censées répondre aux blocages politiques entre les colégislateurs ou au sein du Conseil.

À ce jour[6], la réforme européenne de l’asile n’a toujours pas été définitivement adoptée. Pour autant, l’annonce, fin décembre 2023, du compromis politique évoqué dans nos premières lignes au sujet des propositions les plus discutées, laisse penser qu’elle le sera avant juin 2024, date du renouvellement du Parlement européen. Nulle prétention, donc, dans cette étude, à une analyse détaillée – qui serait prématurée – de cette réforme, un seul texte ayant été adopté jusqu’ici : le règlement transformant le Bureau européen d’appui en matière d’asile en une Agence de l’Union européenne pour l’asile (AUEA)[7]. Trois propositions sont stabilisées dans leur contenu depuis fin 2022 : celles portant sur le règlement « Qualification »[8], la directive « Accueil » révisée[9] et le nouveau règlement relatif à la réinstallation[10]. Quant au contenu des cinq propositions amendées, fondamentales au dispositif, et sur lesquelles un accord politique a été annoncé en décembre 2023, il a été diffusé par le Conseil au début du mois de février 2024[11]. Cela concerne les propositions de règlements relatifs à la gestion de l’asile et de la migration (ci-après « règlement Gestion asile et migration »), à l’établissement d’un filtrage aux frontières extérieures (ci-après « règlement Filtrage »), à l’institution d’une procédure commune en matière de protection internationale (ci-après « règlement Procédure »), à la modification du système Eurodac, enfin, aux situations de crise et de force majeure (ci-après « règlement Crise »).

La réforme paraît donc bien sur le point d’aboutir mais la prudence dans l’analyse doit rester de mise, d’une part parce que son adoption définitive si elle est probable, n’est pas certaine, d’autre part parce que le contenu des instruments n’est pas complètement stabilisé : à ce jour, aucune version française n’est diffusée et celles émanant du Conseil[12] et du Parlement européen[13] ne coïncident pas complètement, notamment sur leur numérotation, rendant les références textuelles hasardeuses.

Revenons à présent aux deux objectifs annoncés pour s’interroger sur la capacité de la réforme à les atteindre : renforcer l’efficacité du RAEC, d’une part (I), améliorer la solidarité entre États membres en allégeant la charge pesant sur ceux d’entre eux qui sont situés à l’entrée de l’Union, d’autre part (II). En réalité, ces deux objectifs sont partiellement imbriqués. L’amélioration du RAEC repose, en effet, en partie sur une meilleure solidarité entre États de l’Union. Évaluer séparément la pertinence des outils proposés pour répondre à ces deux objectifs n’est donc pas sans artifice, un certain nombre de points pouvant être abordés au soutien de l’appréciation des deux ambitions annoncées.

I. Une réforme pour une plus grande efficacité du régime d’asile européen ?

Que serait un régime européen d’asile plus efficace ? La réponse n’a rien d’une évidence. En outre, il n’est pas certain qu’elle soit la même selon que l’on regarde l’intérêt des personnes cherchant une protection ou celui des États. Attachons-nous à apprécier l’adéquation de la réforme projetée pour répondre, d’une part, aux besoins de protection (A), d’autre part, aux contraintes des États pour garantir le fonctionnement de leurs systèmes d’asile.

A. Une plus grande efficacité du point de vue des besoins de protection ?

Certaines dispositions visent, incontestablement, à renforcer les droits des personnes en demande d’asile ou ayant reçu une décision favorable (1). On peut également souligner ce qui serait de nature à favoriser l’égalité de traitement entre aspirants à la protection quel que soit l’État membre saisi (2).

1. Un renforcement ponctuel des droits

Au gré des différents instruments, certains droits devraient être renforcés, au stade de la demande d’asile ainsi qu’après l’obtention d’une décision de protection.

Dans la première catégorie, on peut évoquer, sans exhaustivité, l’ajout de critères supplémentaires permettant que soit désigné comme responsable de l’examen de la demande d’asile un autre État que celui de première entrée dans l’Union[14]. À cette fin, les critères familiaux seront élargis aux membres de la famille résidant dans un État membre sur la base d’un permis de séjour longue durée UE ou devenus citoyens après avoir bénéficié de la protection internationale ; l’obtention préalable d’un diplôme sera prise en compte ainsi qu’un état de dépendance du demandeur pour de multiples raisons vis-à-vis d’un enfant, frère, sœur ou parent. Cette ouverture est de nature à augmenter le nombre de personnes en mesure de choisir leur État d’accueil. Autres droits qui seront renforcés[15] : celui à une aide juridique gratuite dès le début de la procédure ou celui des mineurs non accompagnés - sauf s’ils présentent un risque pour la sécurité publique - à ne pas voir leur demande examinée dans le cadre d’une procédure frontalière. Sur le terrain de l’accueil des demandeurs[16], sont prévus un accès plus rapide à l’éducation des mineurs (deux mois) et une réduction à six mois du délai d’attente pour accéder au marché du travail en l’absence de décision de premier niveau (pour les procédures engagées sur le territoire des États seulement). Quant au nouveau règlement « Crise », il prévoit, dans des contextes d’arrivées massives, en parallèle de l’option d’une protection temporaire, la possibilité, sur recommandation de la Commission européenne, d’une procédure d’asile accélérée et prioritaire pour les personnes appartenant à des groupes identifiés prima facie.

Après l’obtention d’une décision favorable, le règlement « Qualification », à l’instar des autres nouveaux instruments, retient une conception plus large de la famille permettant, par exemple, d’étendre l’unité de famille aux relations formées par le demandeur avant son entrée dans l’Union mais pas nécessairement dans le pays d’origine ainsi qu’aux enfants majeurs non mariés du couple et toujours à sa charge. Il convient d’ajouter que d’autres dispositions sont protectrices, mais encadrent des mécanismes qui, par eux-mêmes, restreindront le droit à obtenir l’asile. Ainsi en est-il du motif de rejet d’une demande – qui deviendra obligatoire – dès lors qu’un asile interne est possible[17]. Des garde-fous sont alors prévus comme une présomption d’inapplicabilité lorsque l’État ou ses agents sont la source du risque de persécutions ou d’atteintes graves, ou l’obligation de vérifier que le demandeur serait en mesure de subvenir à ses besoins essentiels.

Si, enfin, la mise à l’honneur de la réinstallation à travers un instrument dédié, viendra améliorer la protection de ceux qui pourront en bénéficier, aucun droit à sa mise en œuvre n’est consacré[18].

Cette volonté de renforcer les droits s’étend-t-elle à la question de l’égalité entre les personnes en quête d’asile ?

2. Un régime d’asile commun garant de l’égalité de traitement entre demandeurs d’asile ?

Les écarts entre les États membres du point de vue des conditions de la prise en charge, de l’appréciation au fond des demandes et donc des chances d’obtenir une décision positive, ou encore des droits attachés à la protection accordée, révèlent une inégalité structurelle entre demandeurs et entre protégés selon les États sur le territoire desquels ils se trouvent[19]. Cette réalité condamne le système actuel à dysfonctionner et en particulier à alimenter les mouvements secondaires, les demandeurs d’asile étant naturellement tentés de rechercher le système qui leur est le plus favorable y compris à renouveler leur demande d’asile dans un second État en cas d’échec dans un premier. La réforme cherche à répondre à cette faiblesse congénitale avec néanmoins de sérieuses limites et des effets pervers.

Elle le fait d’abord en transformant en règlements « Qualification » et « Procédure » deux des trois directives matrices du RAEC[20]. À la différence de ces dernières, qui par nature ont permis la mise en place de systèmes d’asile nationaux parfois très éloignés, le choix de règlements comme nouveaux véhicules législatifs a vocation à imposer des règles identiques, directement applicables, en matière de procédure d’asile, d’appréciation du fond des demandes et de contenu des protections internationales. On peut mécaniquement espérer une plus grande convergence des droits d’asile nationaux, facteur d’équité dans le traitement des demandes. Dans le même sens, le règlement AUEA – déjà entré en vigueur – prévoit la prise en compte par les autorités nationales, lors de l’examen des demandes d’asile, de l’analyse commune de la situation dans les pays d’origine et des notes d’orientation de l’AUEA[21].

À ces deux facteurs, qui offrent des réponses pertinentes aux taux de protection parfois très différents pour une même nationalité selon les États, de sérieuses réserves doivent pourtant être opposées : pour le dernier, on s’interroge, notamment, sur la façon dont les juridictions nationales assureront la garantie de cette obligation[22] ; et pour le premier, c’est faire fi du très grand nombre de dispositions qui maintiennent une faculté d’agir pour les États de telle sorte que sur de nombreux points, les systèmes d’asile nationaux pourront, pour le meilleur[23] ou pour le pire[24], maintenir de larges marges de manœuvre. La convergence, garante d’un traitement équitable quel que soit le pays de l’UE, est donc singulièrement affaiblie mais présente, en outre, du fait de l’outil règlementaire, des effets pervers : en effet, sauf lorsque l’instrument a prévu le maintien du caractère facultatif de tel ou tel dispositif, l’uniformisation peut être réalisée vers le bas au regard du droit jusqu’alors applicable dans certains États. A priori donc, sauf disposition expresse, il ne devrait pas être possible de maintenir les règles plus favorables retenues par un État.

Par ailleurs, et pour finir sur la capacité de la réforme à garantir une plus grande égalité entre demandeurs d’asile, il est certain qu’appréhendée cette fois-ci au sein des différents États, un sérieux coup lui sera en revanche porté par la démultiplication des procédures applicables – nous le verrons bientôt – créant une fragmentation majeure des droits des personnes fondée notamment sur le taux moyen de protection des demandeurs dans l’UE au regard de leur nationalité.

B. Une plus grande efficacité du point de vue du fonctionnement des systèmes d’asile nationaux ?

Précisons d’emblée que la question de l’amélioration éventuelle de la solidarité entre États membres, qui constitue un des enjeux de l’efficacité des systèmes d’asile nationaux, sera analysée par la suite car intrinsèquement liée, également, au second objectif recherché.

Du point de vue des États, l’efficacité de leurs systèmes d’asile internes exige la fluidité de leur fonctionnement, c’est-à-dire l’adéquation entre les moyens mis en place et le nombre de demandeurs d’asile, étant entendu que leurs obligations englobent l’enregistrement et l’examen des demandes, l’accueil de ceux qui les formulent et l’intégration des personnes protégées. L’éloignement des déboutés ne relève en théorie pas de cette mission mais l’esprit du Pacte repose précisément sur l’imbrication entre lutte contre la migration illégale et asile[25] de telle sorte qu’un système d’asile efficace, du point de vue des États, intègre également cette ultime étape pour ceux dont la demande n’aboutit pas. Si cette dernière approche est contestable à certains égards, elle peut s’entendre, sous l’angle des systèmes d’asile, dès lors que c’est la demande de protection internationale qui a permis l’entrée sur le territoire[26]. La réforme regorge de dispositions destinées à répondre à cet objectif (1), lequel pourrait toutefois être contrarié par leur mise en œuvre (2).

1. Des moyens destinés à fluidifier les systèmes d’asile nationaux

À tous les stades évoqués, les leviers prolifèrent pour prévenir l’asphyxie des systèmes d’asile nationaux. Leur fluidité pourrait découler d’abord d’un allègement global de la charge des obligations d’accueil en conséquence d’une combinaison entre la nette diminution du nombre de personnes autorisées à entrer sur le territoire des États et l’accélération des délais de traitement. C’est l’effet attendu de la nouvelle procédure d’asile à la frontière[27] qui deviendra obligatoire notamment pour les demandeurs ayant une nationalité protégée en moyenne dans l’UE à 20% ou moins[28]. Les intéressés verront leur demande traitée en douze semaines maximum – contre six mois en principe pour un examen en procédure normale sur le territoire - et seront, en cas de rejet, éloignés également en moins de douze semaines.

En cas de situation exceptionnelle, caractérisée par des arrivées massives de nature à générer de graves dysfonctionnements, voire à paralyser le système d’asile d’un ou plusieurs États membres, le règlement « crise » organise la possibilité de déroger à l’ensemble des garanties et délais pour réduire mécaniquement et drastiquement les obligations des États. La procédure d’asile à la frontière pourrait ainsi s’appliquer pour les nationalités protégées en moyenne dans l’Union jusqu’à 50%. Ces dérogations atteindraient un cran supplémentaire, avec en particulier une procédure d’asile exclusivement à la frontière, dans des situations identifiées comme relevant d’une instrumentalisation des migrants par des États tiers ou des acteurs non étatiques dans le but de déstabiliser l’Union ou l’un de ses États sur le modèle de pratiques hostiles déjà observées[29].

L’allègement des systèmes d’asile nationaux sera global. En ce qui concerne les dispositifs sur le territoire, leur désengorgement sera massif, nombre de demandeurs d’asile n’en relevant plus. Il en résultera une meilleure rotation de l’offre d’hébergement ainsi qu’un gain en termes de ressources humaines tant pour examiner les demandes que pour accompagner ceux qui les soumettent. Au niveau des dispositifs frontaliers, les délais, beaucoup plus courts, devraient réduire le temps de prise en charge et donc les moyens affectés.

Ce même gain de temps, et donc de moyens, est attendu sur le terrain de l’éloignement des personnes inéligibles qui sera, sur le plan procédural, intrinsèquement lié au refus de protection internationale[30].

L’ensemble est consolidé, en amont, par la nouvelle procédure obligatoire de filtrage[31] opérée en principe aux frontières extérieures de l’Union[32] et destinée, en sept jours maximum, à identifier, effectuer les contrôles de sécurité, évaluer la santé et les vulnérabilités des personnes dépourvues d’un droit d’entrer dans l’Union, les diriger vers la procédure d’asile qui leur est applicable mais également organiser au plus vite leur renvoi dès lors qu’elles ne seraient pas demandeuses d’asile.

Le renforcement des motifs d’irrecevabilité, qui permettent de traiter plus rapidement les demandes parce qu’écartées sans examen au fond, d’une part, et la réduction du nombre de personnes finalement éligibles à la protection, d’autre part, viendraient de la même façon baisser la charge des systèmes d’asile nationaux à tous les stades de leur action. En ce sens, bien que la prise en compte d’un pays de premier asile ou d’un pays tiers sûr restera finalement facultative pour les États, la définition de ces concepts a été assouplie par rapport au droit actuellement applicable n’exigeant plus, en particulier, que l’État tiers ainsi qualifié ait ratifié la Convention de Genève de 1951[33]. Dans le même esprit, l’obligation – déjà évoquée – de ne pas faire droit aux besoins de protection lorsqu’un asile interne est possible devrait venir diminuer le nombre de personnes éligibles.

Les ressorts ne manquent donc pas pour alléger les États, mais la mise en œuvre de certains d’entre eux doit être discutée, au point que qualifier ce nouveau régime d’efficace laisse sérieusement dubitatif.

2. Une efficacité incertaine tributaire d’une mise en œuvre à hauts risques

On doit ici pointer la montée en puissance inévitable de la privation de liberté pour assurer la mise en œuvre de la procédure d’asile à la frontière – ainsi que du pré-filtrage – et interroger ses effets à l’aune de l’efficacité attendue des systèmes d’asile nationaux. Si la rétention administrative restera facultative pour les États dans ce cadre[34], elle semble incontournable pour garantir un des objectifs communs à ces deux outils : celui d’empêcher absolument l’accès au territoire de l’Union à certains ressortissants de pays tiers : aux non-demandeurs d’asile dépourvus du droit d’entrer dans un État membre, pour l’un, et à une partie des personnes auxquelles la protection internationale dans l’Union ne sera pas reconnue, pour l’autre. La privation de liberté dans ce contexte se présente comme la conséquence de la difficulté réelle pour les États à obtenir le départ des personnes non autorisées à rester dans l’Union. Si ce choix semble donc cohérent au regard de l’objectif poursuivi, il suscite interrogations et inquiétudes. En effet, cette privation de liberté pose de très sérieux défis en termes de protection des droits fondamentaux qui ne peuvent être ignorés dans la définition d’un système d’asile efficace.

Pourtant, la procédure de filtrage supposerait de mettre en place des centres de contrôle aux frontières extérieures – fictivement hors UE – pour un nombre considérable de personnes. Les chiffres peuvent fortement varier mais l’agence Frontex a comptabilisé 380 000 entrées irrégulières dans l’Union en 2023[35]. Les États structurellement concernés par les arrivées irrégulières des exilés[36] auront-ils la capacité et la volonté d’organiser de tels rouages dans des conditions conformes aux droits fondamentaux des personnes et en particulier au principe de non-refoulement et son corolaire, celui de déposer une demande d’asile ? Les cas de violations par des États en première ligne de leurs obligations actuelles[37] – en application du Code Schengen – n’invitent pas à l’optimisme.

La procédure d’asile à la frontière inquiète plus encore parce que les délais de rétention seront plus longs – jusqu’à vingt-quatre semaines - et l’ensemble du public sera demandeur d’asile. L’aspect éloignement suscite des interrogations spécifiques en raison de la difficulté structurelle des États de l’Union à obtenir des pays tiers la réadmission de leurs nationaux ou de personnes qui ne le sont pas mais qui ont transité par leur territoire. Le Pacte travaille en parallèle sur ce levier par le développement des accords de réadmission[38] mais la fragilité de ces instruments est désormais connue[39] de telle sorte qu’il est peu vraisemblable que la mécanique de retour imaginée, tant dans le cadre du pré-filtrage que dans celui de la procédure d’asile frontalière, fonctionne réellement avec comme conséquence l’allongement maximum des délais de rétention et l’embolie rapide de ces dispositifs parallèles. Ajoutons qu’en cas de crise ou de force majeure, le temps de la rétention administrative sera encore allongé : jusqu’à quatre semaines en pré-filtrage et quarante et une en procédure d’asile à la frontière. Dans ce contexte, l’expérience semblable des « hotspots » italiens et grecs fonctionnant en centres fermés et dont les défaillances en termes de protection des droits ont largement été documentées et parfois sanctionnées[40] justifie les plus grandes réserves. Certes, ces modèles doivent pouvoir être améliorés et le règlement « Procédure » prévoit l’arrêt d’une procédure frontalière lorsque les garanties en matière d’accueil ne sont plus remplies.

Par ailleurs, selon des mécanismes byzantins, chaque État se verra fixer par la Commission européenne un nombre annuel maximum de demandes d’asile à examiner à la frontière - le total pour l’Union devant s’élever pour la première année d’application à 30 000 places. Lorsqu’un État aura atteint sa capacité maximale, cette procédure deviendra facultative pour certains profils afin d’éviter l’engorgement. Cette soupape pourrait sur le papier prévenir les risques d’asphyxie des lieux de traitement de l’asile à la frontière et concomitamment de violations des droits élémentaires. Les points d’inquiétude, nombreux, persistent néanmoins.

D’abord parce que les défis logistiques sont immenses[41]. Ensuite parce que les garanties sur les droits fondamentaux dans ce cadre spécifique restent très incertaines. Sans exhaustivité, qu’en sera-t-il de l’effectivité du droit à l’asile lui-même car une célérité excessive et l’enfermement ne sont pas des facteurs favorables à un environnement serein nécessaire à l’exposé des craintes de persécution ? Qu’en sera-t-il du droit à un recours effectif sur une décision de rejet avec une justice qui pourrait s’exercer au sein des lieux d’enfermement ou en visioconférence, cadre et procédé heurtant tant l’indépendance du juge que la possibilité pour le demandeur de faire valoir ses craintes ? C’est peu dire dans ce contexte des attentes vis-à-vis des mécanismes de contrôle indépendants des droits fondamentaux tant dans le cadre de la procédure de filtrage que dans celle de l’asile à la frontière[42]. Si le règlement « Filtrage » dessine un cadre exigeant sur ce point, c’est aux États qu’il confie la construction et la charge de cette mission ce qui augure des niveaux de surveillance très variables.

La réforme projetée pourrait in fine consacrer une voie d’asile parallèle largement dépouillée en pratique des obligations des États en la matière qui aboutirait alors à un système d’asile non pas plus efficace mais fissuré et ne répondant pas à son office premier : garantir effectivement la protection internationale des ressortissants de pays tiers arrivant sur le territoire de l’Union. Qu’en est-il de l’ambition, affichée, d’améliorer la solidarité entre États membres ?

II. Une réforme pour plus de solidarité par un allègement de la charge des pays d’entrée ?

La réforme permettra, selon le ministre espagnol des Affaires étrangères, de renforcer la solidarité entre les États membres en allégeant la charge pesant sur ceux d’entre eux qui sont les plus exposés à l’arrivée des potentiels demandeurs d’asile. Si la réalisation de cet objectif est indispensable pour répondre aux faiblesses structurelles du système d’asile de l’Union, les nouveautés, toutes portées par le règlement « Gestion asile et migration », ne paraissent pas de nature à améliorer les dysfonctionnements actuels directement liés au système Dublin et à son application[43]. On rappellera rapidement que certains États de l’Union sont structurellement des pays de « première entrée » – principalement la Grèce, l’Italie, l’Espagne et Malte dans une moindre mesure – que le système Dublin conduit mécaniquement à rendre largement responsables de l’accueil et du traitement d’une très grande partie des demandes d’asile et qui, pour échapper à ce déséquilibre, contournent les règles applicables et favorisent les mouvements secondaires vers d’autres États qui sont structurellement des pays de destination, principalement l’Allemagne, la France, la Suède ou le Royaume-Uni[44].

Redonner de la cohérence au système commun de l’asile suppose de retravailler la solidarité entre États membres, autrement dit, de répartir équitablement la charge de l’asile entre eux.

Pourtant, contre toute attente, la réforme renforce à nouveau la désignation des pays d’entrée comme responsables des demandes d’asile (A) et propose des mécanismes de correction qui ne sont guère convaincants (B).

A. Le paradoxe d’une réforme qui renforce la responsabilité des pays d’entrée

La consolidation de la responsabilité des États d’entrée devrait découler des critères de détermination de l’État responsable (1) mais également des modifications des règles relatives à la durée de cette responsabilité (2).

1. Des critères de responsabilité confirmant la compétence générale des pays d’entrée

Comme cela a déjà été souligné, de nouveaux critères sont ajoutés pour favoriser la désignation d’États membres avec lesquels les aspirants à l’asile ont certains liens, mais la compétence par défaut reste celle du pays de première entrée. En parallèle, le filtrage de « pré-entrée » ne fera en réalité que consolider cette compétence, puisque sa fonction réside également dans l’identification et l’enregistrement dans Eurodac des informations sur les futurs demandeurs d’asile, et notamment les pays par lesquels ils sont arrivés irrégulièrement dans l’Union. Le nouveau dispositif s’attaque ainsi à la propension de certains États aux frontières extérieures[45] à fermer les yeux sur les obligations de contrôle qui sont déjà les leurs en vertu du Code frontières Schengen, et ce afin de contourner leur responsabilité en application du Règlement Dublin. La modification de la durée de la compétence des États va paradoxalement dans le même sens.

2. Des délais de responsabilité peu favorables aux pays d’entrée

Pour lutter contre les mouvements secondaires, tous les délais de responsabilité propres au système Dublin, lequel est de fait repris dans le règlement « Gestion asile et migration », sont allongés. Si ces ajustements répondent à une certaine logique dans ce dernier cadre, ils semblent en revanche plutôt favoriser, c’est-à-dire décharger, les États de destination et non ceux d’arrivée.

C’est le cas en ce qui concerne la responsabilité de l’État de première entrée, dont la durée passera de douze à vingt mois[46]. Même observation pour l’allongement à trois ans – contre dix-huit mois aujourd’hui – du délai avant qu’un État, qui a échoué à assurer le transfert d’un demandeur d’asile vers un autre État en raison de la fuite de ce dernier, ne devienne responsable à son tour. Or, globalement, les États qui recourent à la demande de prise ou de reprise en charge sont ceux de destination, à commencer par l’Allemagne et la France qui, en 2022, réalisent 60% des demandes sortantes et sollicitent, en priorité, des pays d’entrée, l’Italie, très majoritairement, suivie par l’Autriche, la Bulgarie et l’Espagne[47]. Si la Grèce n’apparaît pas dans cette dernière liste, c’est qu’en dépit des recommandations de la Commission européenne, aucun transfert n’y est réalisé depuis les fameuses décisions des cours européennes de 2011[48].

Dans cette même logique, la procédure de reprise est simplifiée - pour les personnes ayant déjà demandé l’asile dans un autre État membre, avec une simple notification. C’est une réponse aux taux dramatiquement bas des transferts effectifs - 8% en 2022 - alors que 70% des demandes concernent des reprises[49]. Certes, des États de destination sont aussi sollicités dans ce cadre (en particulier lorsque l’asile n’y a pas été accordé), mais cette facilitation devrait, combinée avec les autres dispositifs déjà évoqués, conduire à renvoyer plus de demandeurs d’asile vers les États d’entrée.

En réalité, la lutte contre les mouvements secondaires cherche à fixer les demandeurs d’asile dans le premier État responsable qui est, par défaut, celui d’arrivée. C’est donc un objectif qui ne peut conduire à soulager les États les plus sollicités, ceux qui sont précisément en première ligne des arrivées irrégulières.

Les mécanismes de solidarité envisagés ne sont pas de nature à corriger ce tableau.

B. Des mécanismes de solidarité non convaincants

La réforme fait le choix non pas de soulager les États les plus sollicités par les arrivées au moyen d’une nouvelle approche des règles du système Dublin, mais de recourir à des outils correctifs en aval. Ces outils, fondés sur une obligation de participation libre dans ses modalités (1), servent des mécanismes complexes et ajustables selon les besoins des États à soulager (2). L’ensemble laisse plus que dubitatif sur son caractère opérationnel et sa capacité à donner enfin corps à l’objectif impératif de solidarité entre les États.

1. Une solidarité à la carte pour les États contributeurs

Bien qu’il soit a priori l’outil le plus efficace pour soulager les États d’entrée, les colégislateurs ont renoncé à un mécanisme fondé sur la relocalisation automatique des demandeurs d’asile obligatoire et équitablement répartie entre l’ensemble des États. Cet échec fait écho à celui des programmes de ce type mis en place entre 2015 et 2017 et au veto lors des négociations des pays dits de « Visegrad » farouchement hostiles au mécanisme. Le compromis obtenu aboutit à mettre en place une solidarité obligatoire au profit d’États bénéficiaires mais qui garantisse le choix des moyens pour les États contributeurs. Ainsi, la contribution des États peut-elle prendre trois formes : la relocalisation de demandeurs ou de personnes protégées sur leur territoire, des contributions financières ou des mesures de solidarité alternatives axées sur le soutien opérationnel, des services, installations ou équipements techniques. Ces deux dernières modalités serviront le domaine « de la migration, de l’accueil, de l’asile, du retour et de la réintégration et de la gestion des frontières »[50]. Les contributions financières, en particulier, seront affectées aux actions menées dans les États membres mais également, plus surprenant, au soutien d’ « actions dans ou en relations avec des pays tiers »[51] destinées à contenir les flux migratoires vers l’Union ou améliorer les systèmes de migration et d’asile de ces pays tiers. La participation des États contributeurs est, dans ce second volet, complètement mise au service du projet global de maîtrise de toutes les migrations vers l’Union. Si la prise en compte holistique de certaines problématiques est nécessaire à leur bonne gouvernance, il n’est pas certain que cette flexibilité dans la solidarité et son affectation permette de faire fonctionner à court et moyen termes les mécanismes correctifs destinés à soulager les États surchargés.

2. Des mécanismes de solidarité complexes

Deux types de mécanismes complémentaires l’un de l’autre ont été imaginés.

Le principal repose sur une « réserve de solidarité » annuelle, permanente et disponible. Celle-ci sera constituée d’un certain nombre de relocalisations à réaliser depuis les États surchargés vers les États moins sollicités (au moins 30 000), d’un montant de contributions financières (au moins 600 millions d’euros) et de mesures alternatives de solidarité (déjà évoquées). Ces composantes seront ajustées annuellement au regard de la projection des besoins. La part indicative de chaque État membre sera calculée en fonction de la taille de sa population et de son PIB.

Un second mécanisme – dit « compensation de responsabilité » – complètera le premier si l’offre de relocalisations des États est insuffisante. Il s’agira alors, pour des États contributeurs, de renoncer à transférer et de prendre en charge des demandeurs d’asile relevant en principe de la responsabilité d’États bénéficiaires. Ce second outil s’appliquera automatiquement si les engagements globaux en matière de relocalisation sont inférieurs aux besoins établis par le Conseil pour l’année concernée ou s’ils sont inférieurs à 60% du total des places prévues fixé provisoirement à 30 000[52].

En cas de crise ou de force majeure, les mêmes mécanismes de solidarité seront mobilisés mais sur une base juridique propre qui prendra la forme d’une décision d’exécution du Conseil.

La mise en œuvre de ces outils nous paraît extrêmement complexe, incertaine et leur capacité à répondre aux défis de la solidarité assurément inadaptée. Les dispositifs, particulièrement lourds, interrogent d’emblée sur leur caractère opératoire et leur adaptabilité. Une gouvernance dédiée sera mise en place qui travaillera à partir d’une décision d’exécution du Conseil sur la base des projections de la Commission et un « coordinateur de solidarité » sera en charge de la dimension opérationnelle. Ce dispositif sera-t-il suffisamment réactif ? Des mécanismes d’ajustement au fil de l’eau sont prévus pour répondre aux besoins de solidarité qui n’auraient pas été anticipés dans le cadre de la planification annuelle mais leur lourdeur processuelle et l’absence de garanties en termes de moyens disponibles sont-ils compatibles avec la volatilité des arrivées aux frontières extérieures au gré de la géopolitique internationale ? Le caractère opératoire des nouveaux mécanismes interroge également au regard de la succession possible des situations de transferts entre États pour une même personne : d’un État bénéficiaire vers un État contributeur - dans le cadre d’une relocalisation, puis de ce dernier État vers un autre finalement responsable. Outre qu’il fait peu cas de l’humain, un tel fonctionnement paraît difficilement applicable si l’on se réfère à la faiblesse des taux de transferts effectifs dans l’actuel système. Quant au mécanisme de compensation de responsabilité, la définition de son champ d’application[53] conduit à comprendre qu’il aura pour effet de neutraliser les transferts, essentiellement à l’issue de mouvements secondaires, vers des États normalement responsables mais surchargés. Tel que configuré, il ne propose donc aucune solution aux États de première entrée, pour les personnes toujours sous leur responsabilité, alors même que les offres de relocalisation seraient par ailleurs insuffisantes pour faire face aux besoins identifiés. Il y a là une sorte d’incohérence à mettre en place un dispositif alternatif qui ne pourra jouer son rôle compensatoire que s’il existe des mouvements secondaires alors que ceux-ci devraient être résorbés par d’autres outils. En l’état, il n’est pas à exclure que la réforme produise un accroissement de la responsabilité des États d’arrivée, sans leur offrir de mécanismes garantis de solidarité dès l’entrée sur leur territoire. Cette non-réponse sera plus manifeste encore en cas de crises.

Les doutes les plus sérieux sur la capacité de la réforme du régime européen d’asile à répondre aux objectifs affichés viennent ainsi conclurent ces premières réflexions à son sujet. Ces doutes sont décuplés dans le contexte de crise ou d’instrumentalisation : la réforme organise alors la préservation des systèmes d’asile nationaux par de multiples dérogations aux règles applicables, affaiblissant le cadre de protection, et en misant sur des mécanismes de solidarité qui ne paraissent dans ce contexte pas plus efficaces qu’en période normale.

Si le choix de privilégier le point de vue des États, en termes d’efficacité des systèmes d’asile, a pu s’imposer sur celui des personnes cherchant protection dans cet environnement réceptif aux discours envahissants sur les menaces pesant sur l’Europe, son modèle et ses valeurs, on peut être surpris des non-réponses apportées à l’attente de solidarité. Pour quelles raisons les États d’entrée ont-ils accepté un tel accord ? L’explication la plus tangible réside dans l’objectif premier, au cœur de la réforme, de réduire en amont les migrations vers l’Europe par la promotion de l’« approche globale » fondée tant sur sa dimension interne qu’externe. Cette dernière met à l’honneur la voie des partenariats avec des pays tiers aux fins de prévenir la migration, y compris celle visant une protection internationale, et la reprise par ces États des ressortissants de pays tiers non autorisés à rester dans l’Union. Cette démarche n’est pas nouvelle[54], mais c’est la première fois qu’elle est ainsi inscrite au cœur des instruments législatifs qui régissent le droit d’asile de l’Union.

Aux vues des expériences les plus récentes, celle du partenariat avec la Tunisie à l’été 2023 qui semble n’avoir eu aucune influence positive sur les arrivées en provenance de ce pays et conduit à des violences à l’endroit des personnes migrantes[55], ou de l’accord entre l’Italie et l’Albanie signé en novembre 2023 et destiné à permettre à la première d’accueillir et de traiter sur le territoire du second les demandes d’asile des personnes secourues en mer, accord qui soulève des doutes sur sa conformité avec le droit européen de l’asile et des droits de l’homme[56], la méthode n’est pas convaincante. Cette pratique pourrait même se retourner contre les européens qui créent, ce faisant, les conditions de leur fragilité en confiant à des États tiers les clés de leur éventuelle instrumentalisation[57]. Elle incarne ainsi, assurément, un véritable renoncement des européens à une politique d’asile protectrice.

Notes de bas de page

  1. [1] Conseil de l’UE, « Le Conseil et le Parlement européen parviennent à une avancée dans la réforme du système d’asile et de migration de l’Union européenne », Communiqué de presse, 20 décembre 2023
  2. [2] Pour la liste des propositions formulées par la Commission en 2016, v. C. Brice-Delajoux, « Les évolutions du régime d’asile européen commun – Des évolutions en forme de paradoxe : entre protection renforcée et mise à distance progressive des prétendants à l’asile », Annuaire français des relations internationales, 2021, p.177.
  3. [3] Communication de la Commission sur un nouveau Pacte sur la migration et l’asile, COM (2020) 609 final du 23 septembre 2020
  4. [4] Le Pacte ambitionne en réalité de s’attaquer à la migration illégale, l’asile – désormais largement perçu comme un moyen d’entrer abusivement dans l’UE – étant, dans ce projet, imbriqué dans une approche globale de la question migratoire. Le Pacte, qui promeut une telle approche, vise ainsi tant les aspects « asile » que la protection des frontières, le séjour ou l’éloignement avec notamment la volonté de modifier la directive « retour » de 2018.
  5. [5] V. Commission européenne, « Paquet "Migration et asile" : documents du nouveau Pacte sur la migration et l’asile adoptés le 23 septembre 2020 »
  6. [6] Cet article a fini d’être rédigé dans le courant du mois de février 2024.
  7. [7] Règlement (UE) 2021/2303 du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 2021 relatif à l’Agence de l’Union européenne pour l’asile et abrogeant le règlement (UE) n°439/2010.
  8. [8] Dernière version envoyée par le Conseil à la Commission des Libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE) du Parlement européen (uniquement en anglais) le 9 février 2024 : Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection, et modifiant la directive 2003/109/CE du Conseil du 25 novembre 2003 relative au statut des ressortissants des pays tiers résidents de longue durée 
  9. [9] Dernière version envoyée par le Conseil à la Commission LIBE du Parlement européen (uniquement en anglais) le 9 février 2024 : Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil établissant des normes pour l’accueil des demandeurs de protection internationale (refonte)
  10. [10] Dernière version envoyée par le Conseil à la Commission LIBE du Parlement européen (uniquement en anglais) le 9 février 2024 (uniquement en anglais) : Proposition de règlement (UE) du Parlement européen et du Conseil établissant un cadre d’admission à la réinstallation dans l’Union et modifiant le règlement (UE) n°516/2014 du Parlement européen et du Conseil
  11. [11] V. les versions (en anglais seulement) de toutes les propositions amendées de la réforme de l’asile envoyées pour adoption à la Commission LIBE du Parlement européen par le Conseil jointes au communiqué de presse du 8 février 2024 : « Réforme relative à l’asile et à la migration : les représentants des États membre de l’UE donnent leur feu vert à l’accord avec le Parlement européen »
  12. [12] Version du Conseil adoptée à ce jour par le COREPER, eod. loc.
  13. [13] V. les versions adoptées par la Commission LIBE du Parlement européen accessibles jointes au communiqué de presse du 14 février 2024 : « Asylum and migration : Civil Liberties committee endorses a new legal framework »
  14. [14] Règlement « Gestion asile et migration », qui modifiera le règlement Dublin III (règlement (UE) 604/2013).
  15. [15] Règlement « Procédure ».
  16. [16] Directive « Accueil » modifiée.
  17. [17] Règlement « Qualification ».
  18. [18] V. à ce sujet notre article, C. Brice-Delajoux, « Le modèle de développement de la réinstallation dans l’Union européenne : un progrès face aux besoins de protection internationale ? », in N. Clinchamps, J.-J. Menuret (dirs.), Asile et migrations – Quelles solidarités ? Quelles responsabilités ?, Paris, Mare & Martin, 2023, p.136.
  19. [19] V. notre article, C. Brice-Delajoux, « Repenser leur droit d’asile commun : un impératif pour les européens », Revue du droit de l’Union européenne, 2018, p.110.
  20. [20] Il s’agit des directives « Accueil », « Procédure » et « Qualification ».
  21. [21] Règlement (UE) 2021/2303, op. cit., article 11(3).
  22. [22] Au-delà de la question de l’équité entre demandeurs d’asile, se pose également celle de l’indépendance de l’Agence quant à ses analyses de la situation des pays d’origine qui n’est aucunement assurée.
  23. [23] On pense par exemple au maintien du caractère facultatif de l’usage par les États de l’irrecevabilité des demandes fondées sur le concept de pays tiers sûr (règlement « Procédure »).
  24. [24] On pense par exemple à la faculté pour les États d’imposer une procédure d’asile à la frontière très large pour tout demandeur arrivé illégalement et non encore autorisé à entrer sur le territoire de l’Union. En parallèle de cette faculté, cette procédure est une obligation pour certains profils en particulier.
  25. [25] V. sur ce point C. Bailleix, « La porosité entre droit européen de l’immigration et de l’asile », in C. Brice-Delajoux, Droit des étrangers/Droit de l’asile : entre attraction et répulsion, Paris, Pedone, 2021, p.69.
  26. [26] L’entrée sur le territoire ou le statut de demandeur d’asile puisque la réforme ouvre la porte à une catégorie importante de demandeurs d’asile non autorisés à entrer sur le territoire des États membres.
  27. [27] Procédure prévue par le règlement « Procédure » qui, contrairement à celle actuellement applicable en France, est une véritable procédure d’examen à la frontière des demandes d’asile.
  28. [28] Cette procédure d’asile frontalière obligatoire concernera aussi d’autres profils : les personnes représentant un danger pour la sécurité nationale ou l’ordre public et celles ayant fourni de fausses informations lors du contrôle de filtrage. N’en seront préservés que les mineurs non accompagnés, sauf s’ils constituent un risque pour la sécurité publique.
  29. [29] On pense notamment aux manœuvres de la Biélorussie, en 2021, pour organiser le passage de migrants venus du Proche-Orient aux frontières polonaise, lituanienne et lettone ou plus récemment, en 2023, aux actions de la Russie de même nature, à sa frontières avec la Finlande, en représailles à son adhésion à l’OTAN.
  30. [30] Le règlement « Procédure » prévoit que la décision de retour – qui doit respecter la directive « retour » et le principe de non-refoulement – est incorporée dans le rejet de la demande d’asile ou fait l’objet d’un acte distinct, notifié en même temps ou sans retard.
  31. [31] Mise en place par le règlement « Filtrage ».
  32. [32] Ce contrôle devra être effectué aux frontières extérieures ou à proximité de celles-ci, dans des zones de transit, voire en d’autres endroits sur le territoire des États membres en particulier lorsqu’il s’agit de le mettre en œuvre à l’égard de ressortissants de pays tiers appréhendés dans un État membre en situation irrégulière et qui n’auraient pas été soumis à cette formalité lors de leur arrivée irrégulière dans l’Union.
  33. [33] Règlement « Procédure ».
  34. [34] Directive « Accueil » modifiée.
  35. [35] Chiffres provisoires de l’Agence Frontex : communiqué de presse du 26 janvier 2024.
  36. [36] Selon l’Agence Frontex, en 2023, 41% des passages irréguliers s’effectuent par la Méditerranée centrale ce qui conduit à une arrivée dans l’Union en Italie ou à Malte, 26% passent par les Balkans occidentaux avec une arrivée essentiellement par la Grèce et 16% empruntent la route de la Méditerranée orientale avec une arrivée en Espagne.
  37. [37] Les ONG se font régulièrement l’écho de la violation du principe de non-refoulement et de pushbacks par certains États membres situés aux frontières extérieures : v. notamment le plaidoyer de Forum Réfugiés relatif à Hongrie ou le rapport d’Amnesty International pour la Grèce (« Greece : violence, lies, and pushbacks – Refugees and migrants still denied safety and asylum at Europe‘s borders », 23 juin 2021).
  38. [38] Ce volet est prévu dans les « Composantes externes de l’approche globale » du règlement « Gestion asile et migration ».
  39. [39] Il suffit de se souvenir de la façon dont la Turquie, en dépit du volet « réadmission et contrôle de ses frontières » dans la déclaration « UE/Turquie » de mars 2016, décide de faire pression sur la Grèce en février/mars 2020 en organisant la venue de migrants à leurs frontières terrestres communes dans un contexte de tensions politiques avec les européens.
  40. [40] Pour un constat récent de violation de l’article 3 de la CEDH dans un « hotspot » sur l’ile de Lampedusa du fait des conditions de rétention : CEDH, 30 mars 2023, J.A. et autres c/ Italie, req. n°21329/18 ; pour le travail de documentation sur le cadre désastreux de ces centres, v. notamment le rapport de la Cour de Comptes européenne, « Réponse de l’Union européenne à la crise des réfugiés : l’approche dite « des points d’accès », 2017, ainsi que les rapports d’institutions et d’ONG cités par l’arrêt de la Cour aux §17 et s. et §38 et s.
  41. [41] V. la note de plaidoyer de Forum réfugiés, « Pacte sur la migration et l’asile dans l’Union européenne – Le respect des droits fondamentaux doit être au cœur des négociations interinstitutionnelles – Octobre 2023 » 
  42. [42] Règlements « Procédure » et « Filtrage ».
  43. [43] V. notamment notre article, C. Brice-Delajoux, « Repenser leur droit d’asile commun : un impératif pour les européens », op. cit., p.109.
  44. [44] V. C. Balleix, Enjeux et défis de la politique migratoire européenne, Paris, Dalloz, Coll. Les sens du droit, 2022, p.16.
  45. [45] La Grèce et l’Italie en particulier.
  46. [46] Sauf lorsque la première entrée fait suite à une opération de recherche et de sauvetage en mer.
  47. [47] V. ECRE, « The implementation of the Dublin III Regulation in 2022 », novembre 2023
  48. [48] CEDH, 21 janvier 2011, M.S.S. c/ Belgique et Grèce, req. n°30696/09 et CJUE, 21 décembre 2011, N. S. c/ Secretary of State for the home Department et M. E. e.a. c/ Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equalité and Law Reform, C-411/10 et C-493/10.
  49. [49] V. ECRE, « The implementation of the Dublin III Regulation in 2022 », novembre 2023, op. cit.
  50. [50] Règlement « Gestion asile et migration », Partie IV : « Solidarité ».
  51. [51] Ibid.
  52. [52] Cette compétence du ou des États contributeurs s’exercera à hauteur du nombre de places de relocalisation non-offertes par rapport aux besoins identifiés.
  53. [53] Il ne pourra s’appliquer que si l’État bénéficiaire a été désigné responsable sur la base de certains critères et celui, notamment, par défaut, fondé sur le premier pays d’entrée.
  54. [54] V. L. Imbert, « La coopération sans le(s) droit(s) : le foisonnement des accords "injusticiables" avec les pays tiers », Plein droit, 2017/3 n°114, pp.45-48.
  55. [55] Mémorandum d’accord entre l’UE et la Tunisie fondé sur une aide de 105 millions d’euros en échange de quoi cet État s’engage à lutter contre les départs de ses côtes vers l’Europe. Sur les premiers effets très négatifs de cet accord, v. M. Gwyn Jones, « Les membres du Parlement européen ont dénoncé mardi l’accord migratoire controversé entre l’UE et la Tunisie », Euronews, 12 septembre 2023.
  56. [56] V. A. Taylor, « Le Conseil de l’Europe critique l’accord migratoire Italie-Albanie », Euractiv, 14 décembre 2023.
  57. [57] V. J. Bouillard, « Chantage migratoire : l’Europe à la fois victime et fautive », L’Opinion, 21 décembre 2023.

 

Notes de bas de pages

BPDA N°1
Statut et qualité de réfugié : un état des lieux
01/04/2024

De la distinction résultant du droit de l'Union européenne entre la qualité et le statut de réfugié, résulte un ensemble de règles textuelles et jurisprudentielles relatives aux conditions de retrait du seul statut et à ses implications sur les contours de la protection due au réfugié.

1. À la source de la distinction entre la qualité et le statut de réfugié : l’articulation entre le droit de l’Union européenne et la Convention de Genève

La Convention du 28 juillet 1951 relative au « statut » des réfugiés définit à son article 1er, A, 2 la qualité de réfugié comme étant celle de toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ». Elle énumère ensuite les droits et libertés dont bénéficient ces réfugiés.

L’article 2 de la directive 2011/95/UE du 13 décembre 2011 dite « Qualification » distingue pour sa part, au d), le « réfugié » qui correspond à la définition donnée à l’article 1er, A, 2 de la Convention de Genève et, au e), le « statut de réfugié » défini comme « la reconnaissance, par un État membre, de la qualité de réfugié pour tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride ».

Par un arrêt du 14 mai 2019, la grande chambre de la Cour de justice de l’Union européenne est venue préciser la distinction entre qualité et statut de réfugié, en disant pour droit :

« 92 Il découle des considérations qui précèdent que la qualité de « réfugié », au sens de l’article 2, sous d), de la directive 2011/95 et de l’article 1er, section A, de la convention de Genève, ne dépend pas de la reconnaissance formelle de cette qualité par l’octroi du « statut de réfugié », au sens de l’article 2, sous e), de cette directive, lu en combinaison avec l’article 13 de cette dernière. (…)

98 En effet, outre ce qui a été dit au point 92 du présent arrêt, la circonstance que la personne concernée relève de l’une des hypothèses visées à l’article 14, paragraphes 4 et 5, de la directive 2011/95 ne signifie pas pour autant que celle-ci cesse de répondre aux conditions matérielles dont dépend la qualité de réfugié, relatives à l’existence d’une crainte fondée de persécution dans son pays d’origine.

99 Dans le cas où un État membre décide de révoquer le statut de réfugié ou de ne pas l’octroyer au titre de l’article 14, paragraphe 4 ou 5, de la directive 2011/95, les ressortissants de pays tiers ou les apatrides concernés se voient, certes, privés dudit statut et ne disposent donc pas, ou plus, de l’ensemble des droits et des avantages énoncés au chapitre VII de cette directive, ceux-ci étant associés à ce statut. Toutefois, ainsi que le prévoit explicitement l’article 14, paragraphe 6, de ladite directive, ces personnes jouissent, ou continuent de jouir, d’un certain nombre de droits prévus par la convention de Genève (voir, en ce sens, arrêt du 24 juin 2015, H. T., C‑373/13, EU:C:2015:413, point 71), ce qui, ainsi que l’a souligné M. l’avocat général au point 100 de ses conclusions, confirme qu’ils ont, ou continuent d’avoir, la qualité de réfugié, au sens, notamment, de l’article 1er, section A, de ladite convention, en dépit de cette révocation ou de ce refus. » (CJUE, arrêt du 14 mai 2019, M. c. Ministerstvo vnitra et autres, C‑391/16, C‑77/17 et C‑78/17). 

Le Conseil d’État reprend cette jurisprudence s’agissant des dispositions du CESEDA qui transposent l’article 14 § 4 et 5 de la directive « Qualification ». Dans sa décision du 19 juin 2020, M. K. OFPRA, nos 416032 et 416121, il a considéré que :

« Les dispositions de l’article L. 711-6 (L. 511-7) du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile doivent être interprétées conformément aux objectifs de la directive 2011/95/UE du 13 décembre 2011 dont ils assurent la transposition et qui visent à assurer, dans le respect de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, d’une part, que tous les États membres appliquent des critères communs pour l’identification des personnes nécessitant une protection internationale et, d’autre part, un niveau minimal d’avantages à ces personnes dans tous les États membres. Il résulte des paragraphes 4 et 5 de l’article 14 de cette directive, tels qu’interprétés par l’arrêt C-391/16, C77/17 et C-78/17 du 14 mai 2019 de la Cour de justice de l’Union européenne, que la « révocation » du statut de réfugié ou le refus d’octroi de ce statut, que leurs dispositions prévoient, ne saurait avoir pour effet de priver de la qualité de réfugié le ressortissant d’un pays tiers ou l’apatride concerné qui remplit les conditions pour se voir reconnaître cette qualité au sens du A de l’article 1er de la convention de Genève. En outre, le paragraphe 6 de l’article 14 de cette même directive doit être interprété en ce sens que l’État membre qui fait usage des facultés prévues à l’article 14, paragraphes 4 et 5, de cette directive, doit accorder au réfugié relevant de l’une des hypothèses visées à ces dernières dispositions et se trouvant sur le territoire dudit État membre, à tout le moins, le bénéfice des droits et protections consacrés par la convention de Genève auxquels cet article 14, paragraphe 6, fait expressément référence, en particulier la protection contre le refoulement vers un pays où sa vie ou sa liberté serait menacée, ainsi que des droits prévus par ladite convention dont la jouissance n’exige pas une résidence régulière. »

À cette distinction entre qualité et statut de réfugié, correspondent deux niveaux de protection en droit international et européen.

2. Les droits associés au statut et à la qualité de réfugié

L’individu relevant de la qualité de réfugié et bénéficiant, à ce titre, du statut afférant se voit reconnaître, par la Convention de Genève, des droits étendus, surtout sous l’angle de l’égalité de traitement avec les nationaux du pays d’accueil ou les ressortissants d'un pays étranger en situation régulière. C’est le cas en matière de liberté religieuse (article 4), de propriété mobilière et immobilière (article 13), de propriété intellectuelle et industrielle (article 14), de droit d'association (article 15), du droit d'ester en justice (article 16), de l’exercice des professions salariées, non salariées ou libérales (articles 17, 18 et 19), de logement (article 21), d’éducation publique (article 22), d’assistance publique (article 23), de législation du travail et de sécurité sociale (article 24), d’aide administrative (article 25), de liberté de circulation (article 26), de pièces d'identité (article 27), de titres de voyage (article 28), de charges fiscales (article 29), avec des règles spécifiques en matière d’entrée irrégulière, d’expulsion, de refoulement (articles 31, 32 et 33) et de naturalisation (article 34).

En droit de l’Union européenne, le contenu du statut de réfugié est prévu au chapitre VII de la directive « Qualification » qui vise notamment la protection contre le refoulement, le maintien de l’unité familiale, l’octroi d’un titre de séjour et de documents de voyage, l’accès à l’emploi, l’accès à l’éducation, l’accès aux procédures de reconnaissance des qualifications, la protection sociale, les soins de santé, l’accès au logement, la liberté de circulation à l’intérieur de l’État membre, l’accès aux dispositifs d’intégration.

L’individu ayant la qualité de réfugié mais ne bénéficiant pas du statut afférant (car celui-ci lui a été refusé ou retiré) dispose quant à lui d’un nombre plus limité de droits. Dans son arrêt du 24 juin 2015, H.T. c/ Land Baden-Wurttemberg, C-373/13, au point 71, la CJUE a jugé que « dans le cas où un État membre, en application de l’article 14, paragraphe 4, de cette directive, révoque, met fin ou refuse de renouveler le statut de réfugié octroyé à une personne, cette personne a le droit, conformément à l’article 14, paragraphe 6, de ladite directive, de jouir des droits qui sont énumérés notamment aux articles 32 et 33 de la convention de Genève ».

L’article 14, paragraphe 6 de la directive « Qualification » prévoit ainsi que « les personnes auxquelles les paragraphes 4 et 5 s’appliquent ont le droit de jouir des droits prévus aux articles 3, 4, 16, 22, 31, 32 et 33 de la convention de Genève ou de droits analogues, pour autant qu’elles se trouvent dans l’État membre ». Sont visés la non-discrimination quant à la race, la religion ou le pays d'origine (article 3), la liberté religieuse (article 4), le droit d’ester en justice (article 16), le droit à l’éducation (article 22) et les règles en matière de liberté de circulation, d’expulsion et de refoulement (articles 31, 32 et 33). Il s’agit là des garanties minimales liées à la qualité de réfugié qui restent acquises même en cas de refus ou de retrait du statut de réfugié. N’y figurent en revanche ni le droit au séjour, ni le droit au travail, ni les droits sociaux et patrimoniaux.

3. La fin de la qualité de réfugié

L’article L. 511-8 du CESEDA dispose que :

« L'Office français de protection des réfugiés et apatrides met fin, de sa propre initiative ou à la demande de l'autorité administrative, au statut de réfugié lorsque la personne concernée relève de l'une des clauses de cessation prévues à la section C de l'article 1er de la convention de Genève, du 28 juillet 1951. (…) L'office met également fin à tout moment, de sa propre initiative ou à la demande de l'autorité administrative, au statut de réfugié dans les cas suivants :

1° Le réfugié aurait dû être exclu du statut de réfugié en application des sections D, E ou F de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 ;

2° La décision de reconnaissance de la qualité de réfugié a résulté d'une fraude ;

3° Le réfugié doit, compte tenu de circonstances intervenues après la reconnaissance de cette qualité, en être exclu en application des sections D, E ou F de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951. »

Bien qu’il vise le « statut de réfugié », cet article concerne bien la qualité de réfugié. Il renvoie en effet à la fraude ainsi qu’aux clauses de cessation et d’exclusion, pour certains crimes notamment, qui sont prévues à l’article 1er de la Convention de Genève en tant qu’éléments définissant la notion de réfugié pour l’application de la convention.

4. La fin du statut de réfugié

L’article L. 511-7 du CESEDA dispose que :

« Le statut de réfugié est refusé ou il y est mis fin dans les situations suivantes :

1° Il y a des raisons sérieuses de considérer que la présence en France de la personne concernée constitue une menace grave pour la sûreté de l'État ;

2° La personne concernée a été condamnée en dernier ressort en France, dans un État membre de l'Union européenne ou dans un État tiers figurant sur la liste, fixée par décret en Conseil d'État, des États dont la France reconnaît les législations et juridictions pénales au vu de l'application du droit dans le cadre d'un régime démocratique et des circonstances politiques générales soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrorisme ou une apologie publique d'un acte de terrorisme ou puni de dix ans d'emprisonnement, et sa présence constitue une menace grave pour la société française. »

Dans sa décision du 19 juin 2020, OFPRA c/ M. N, n° 428140 le Conseil d’État a jugé qu’ « il résulte de ces dispositions que la possibilité de refuser le statut de réfugié ou d’y mettre fin, qui est sans incidence sur le fait que l’intéressé a ou conserve la qualité de réfugié dès lors qu’il en remplit les conditions, est subordonnée à deux conditions cumulatives. Il appartient à l’OFPRA et, en cas de recours, à la Cour nationale du droit d’asile, d’une part, de vérifier si l’intéressé a fait l’objet de l’une des condamnations que visent les dispositions précitées et, d’autre part, d’apprécier si sa présence sur le territoire français est de nature à constituer, à la date de leur décision, une menace grave pour la société au sens des dispositions précitées, c’est-à-dire si elle est de nature à affecter un intérêt fondamental de la société, compte tenu des infractions pénales commises - lesquelles ne sauraient, à elles seules, justifier légalement une décision refusant le statut de réfugié ou y mettant fin - et des circonstances dans lesquelles elles ont été commises, mais aussi du temps qui s’est écoulé et de l’ensemble du comportement de l’intéressé  depuis la commission des infractions ainsi que de toutes les circonstances pertinentes à la date à laquelle ils statuent ».

Dans sa décision du 10 juin 2021, OFPRA c/ M. A, n° 440383, le Conseil d’État a précisé que « la seule circonstance qu’un réfugié, condamné pour des faits qui, lorsqu’ils ont été commis, établissaient que sa présence constituait une menace grave pour la société, se soit abstenu, postérieurement à sa libération, de tout comportement répréhensible, n’implique pas, par elle-même, du moins avant l’expiration d’un certain délai, et en l’absence de tout autre élément positif significatif en ce sens, que cette menace ait disparu ».

Cette dissociation entre la qualité et le statut rejaillit sur l’office du juge de l’asile, ainsi que l’a utilement précisé le Conseil d’État. Dans sa décision du 9 novembre 2021, M. I., n° 439891, il a ainsi jugé que « dès lors que la possibilité de refuser le statut de réfugié ou d'y mettre fin, en application de l'article L. 711‑6 (L. 511-7) du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, est sans incidence sur le fait que l'intéressé a ou conserve la qualité de réfugié, il n'appartient pas à la Cour nationale du droit d'asile, lorsqu'elle est seulement saisie d'un recours dirigé contre une décision mettant fin au statut de réfugié prise sur le fondement dudit article L. 711-6 (L. 511‑7) sans que l'OFPRA ne remette en cause devant elle la qualité de réfugié de l'intéressé, de vérifier d'office que ce dernier remplit les conditions prévues aux articles 1er de la convention de Genève et L. 711-1 (L. 511-1) du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Il en va autrement lorsque, dans le cadre d’un recours dirigé contre la décision mettant fin au statut de réfugié d’un demandeur d’asile, la cour est saisie par l’OFPRA, en cours d’instance, de conclusions visant à ce que soit remise en cause la qualité de réfugié de l'intéressé ».

La Cour de justice de l’Union européenne a également apporté d’importantes précisions quant aux conditions du retrait du statut de réfugié en application de l’article 14, paragraphe 4, sous b), de la directive « Qualification », dans deux arrêts rendus le 6 juillet 2023.

Dans l’affaire C‑663/21, elle a considéré que  « l’application de cette disposition est subordonnée à ce qu’il soit établi, par l’autorité compétente, que la révocation du statut de réfugié constitue une mesure proportionnée au regard de la menace que représente le ressortissant concerné d’un pays tiers pour un intérêt fondamental de la société de l’État membre dans lequel ce ressortissant d’un pays tiers se trouve. À cette fin, cette autorité compétente doit mettre en balance cette menace avec les droits qui doivent être garantis, conformément à cette directive, aux personnes remplissant les conditions matérielles de l’article 2, sous d), de ladite directive, sans toutefois que ladite autorité compétente soit tenue, de surcroît, de vérifier que l’intérêt public s’attachant au retour dudit ressortissant d’un pays tiers dans son pays d’origine l’emporte sur l’intérêt du même ressortissant d’un pays tiers au maintien de la protection internationale, au regard de l’étendue et de la nature des mesures auxquelles celui-ci serait exposé en cas de retour dans son pays d’origine » (CJUE, arrêt du 6 juillet 2023, Bundesamt für Fremdenwesen und Asyl, C-663/21, § 43).

Dans l’affaire C-402/22, la CJUE a apporté des précisions supplémentaires. Premièrement, l’article 14, paragraphe 4, sous b), de la directive 2011/95/UE « doit être interprété en ce sens que constitue un « crime particulièrement grave », au sens de cette disposition, un crime présentant, eu égard à ses traits spécifiques, une gravité exceptionnelle, en tant qu’il fait partie des crimes qui portent le plus atteinte à l’ordre juridique de la société concernée. Aux fins d’apprécier si un crime pour lequel un ressortissant d’un pays tiers a été condamné en dernier ressort présente un tel degré de gravité, il y a lieu de tenir compte, notamment, de la peine encourue et de la peine prononcée pour ce crime, de la nature de celui-ci, d’éventuelles circonstances aggravantes ou atténuantes, du caractère intentionnel ou non dudit crime, de la nature et de l’ampleur des dommages causés par le même crime ainsi que de la procédure appliquée pour réprimer celui-ci ». Deuxièmement, « l’existence d’une menace pour la société de l’État membre dans lequel se trouve le ressortissant concerné d’un pays tiers ne peut être regardée comme étant établie en raison du seul fait que celui-ci a été condamné en dernier ressort pour un crime particulièrement grave ». Et enfin, « l’application de cette disposition est subordonnée à ce qu’il soit établi, par l’autorité compétente, que la menace représentée par le ressortissant concerné d’un pays tiers pour un intérêt fondamental de la société de l’État membre dans lequel il se trouve revêt un caractère réel, actuel et suffisamment grave et que la révocation du statut de réfugié constitue une mesure proportionnée à cette menace ». (CJUE, arrêt du 6 juillet 2023, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid, C-402/22, § 57).

5. Après ces fins de protection en France

En matière de séjour et de travail :

Dans sa nouvelle rédaction, l’article L. 424-6 du CESEDA dispose que :

« Lorsqu'il est mis fin au statut de réfugié par décision définitive de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou par décision de justice ou lorsque l'étranger renonce à ce statut, la carte de résident prévue aux articles L. 424-1 et L. 424-3 est retirée.

L'autorité administrative statue sur le droit au séjour des intéressés à un autre titre dans un délai fixé par décret en Conseil d'État.

Sous réserve de menace grave à l'ordre public ou que l'intéressé ne soit pas retourné volontairement dans le pays qu'il a quitté ou hors duquel il est demeuré de crainte d'être persécuté, la carte de résident ne peut être retirée en application du premier alinéa quand l'étranger est en situation régulière depuis au moins cinq ans. »

Pour rappel, conformément à l’article L. 414-10 du même code, la possession d'une carte de résident par un étranger résidant sur le territoire métropolitain lui confère le droit d'exercer une activité professionnelle, sur ce même territoire, dans le cadre de la législation en vigueur.

La même réserve d’ordre public permet également de refuser le renouvellement d’une carte de résident (article L. 432-3 du CESEDA).

Ces nouveaux cas de retrait et de non-renouvellement de la carte de résident, introduits par la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, pourront s’appliquer en cas de retrait du statut de réfugié sur le fondement de l’article L. 511-7 du CESEDA, mais également en cas d’exclusion de la qualité de réfugié en application des dispositions combinées des articles L. 511-8 du CESEDA et 1er, F de la convention de Genève.

À cet égard, au point 31 de son avis n° 406543 du 26 janvier 2023 sur le projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, le Conseil d’État a indiqué que « si en effet par sa décision n° 97‑389 DC du 22 avril 1997, le Conseil constitutionnel a jugé qu’ “une simple menace pour l'ordre public ne saurait suffire à fonder un refus de renouvellement de ce titre de séjour sans atteintes excessives au droit de l'intéressé au respect de sa vie familiale et privée ”, il a dans le même temps admis que la préservation de l'ordre public permette à l'autorité administrative, en cas de menace “grave”, de prononcer son expulsion. Le Conseil d’État considère que la même “menace grave à l'ordre public” peut justifier le retrait, ou le refus de renouvellement, de la carte de résident. Il propose toutefois que le projet de loi ne fasse pas suivre cette expression des mots “à la sécurité publique ou la sûreté de l’État”, qui sont redondants ». Force est de constater que, dans sa décision n° 2023-863 DC du 25 janvier 2024, le Conseil constitutionnel n’a pas censuré cette réserve de menace grave à l'ordre public.

Au point 32 du même avis, le Conseil d’État « s’est interrogé sur l’utilité de la mesure si l’étranger auquel la carte de résident a été retirée pour menace grave à l’ordre public ne peut faire l’objet d’un éloignement, en l’absence de possibilité d’expulsion ou de reconduite par les effets des protections prévues. Il admet que, même dans ces hypothèses, le retrait de la carte de résident, comme son non renouvellement, ne seraient pas dépourvus d’utilité au regard de la protection de l’ordre public. L’étranger se verrait alors accorder un statut de séjour moins favorable que celui de la carte de résident, une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » comme le prévoit le projet, de loi et se retrouverait par suite, ainsi que le fait valoir le Gouvernement, dans une situation susceptible, à l’instar des condamnations avec sursis en matière pénale, de l’inciter à adopter un comportement plus respectueux de la loi ou de la sécurité des personnes et des biens ».

En permettant de priver un réfugié de carte de résident et du droit consécutif au travail en cas de perte du statut de réfugié pour menace grave à l'ordre public, ces évolutions législatives rapprochent le droit interne du socle de droits garantis par le droit européen qui ne s’étend ni au séjour ni au travail.

En matière d’éloignement :

Alors que l’article 33§2 de la Convention de Genève prévoit que le non refoulement vers un pays où il serait menacé « ne pourra toutefois être invoqué par un réfugié qu'il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l'objet d'une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays », cette dérogation n’est permise ni en droit de l’Union européenne ni, en conséquence, en droit français.

C’est ainsi qu’au point 4 de l’ordonnance du 2 mars 2021, M. S., n° 449901, le juge des référés du Conseil d’État a jugé qu’ « il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’Homme, notamment depuis l’arrêt de Grande chambre du 28 février 2008 Saadi c/ Italie n° 37201/06, en premier lieu, que la protection prévue par [l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales selon lequel “nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants”] est absolue et impose de ne pas expulser une personne lorsqu’elle court dans le pays de destination un risque réel et sérieux d’être soumise aux traitements qu’elles prohibent, en deuxième lieu, qu’il n’est pas possible de mettre en balance le risque de mauvais traitements et les motifs qui fondent l’expulsion, et en troisième lieu, que l’existence d’un risque de mauvais traitements doit être examinée à la lumière de la situation générale dans le pays de destination et des circonstances propres au cas de l’intéressé, compte tenu notamment des garanties dont l’État d’accueil a, le cas échéant, fourni les assurances ».

Au point 8 de sa décision du 28 mars 2022, M. D., n° 450618, le Conseil d’État a également jugé qu’il résulte de l’article 33 de la convention de Genève, de l’article 21 de la directive 2011/95/UE du 13 décembre 2011 et de l’article L. 511-7 du CESEDA « qu’il peut être dérogé au principe de non-refoulement lorsqu’il existe des raisons sérieuses de considérer que le réfugié constitue une menace grave pour la sureté de l’État ou lorsque ayant été condamné en dernier ressort en France soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrorisme ou puni de dix ans d'emprisonnement, il constitue une menace grave pour la société. Toutefois, ainsi que l’a jugé la Cour de justice de l’Union européenne par l’arrêt précité du 14 mai 2019 (C-391/16, C-77/17 et C-78/17), un État membre ne saurait éloigner un réfugié lorsqu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’il encourt dans le pays de destination un risque réel de subir des traitements prohibés par les articles 4 et 19 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Ainsi, lorsque le refoulement d’un réfugié relevant de l’une des hypothèses prévues au 4 de l’article 14 ainsi qu’au 2 de l’article 21 de la directive du 13 décembre 2011 ferait courir à celui-ci le risque que soient violés ses droits fondamentaux consacrés aux articles 4 et 19 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre concerné ne saurait déroger au principe de non-refoulement sur le fondement du 2 de l’article 33 de la convention de Genève ».

Restent donc absolues les protections liées aux craintes du réfugié, fût-il privé de son statut.

Trois niveaux de protection peuvent, en définitive, être distingués. Une pleine protection pour les réfugiés statutaires, une protection réduite aux droits prévus aux articles 3, 4, 16, 22, 31, 32 et 33 de la Convention de Genève pour les réfugiés non statutaires – sans dérogation possible au principe de non-refoulement – et une protection indirecte résultant de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et des articles 4 et 19 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne pour les personnes exclus du bénéfice de la qualité de réfugié.

Notes de bas de pages

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