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BPDA N°2
Le mineur accompagné : pars viscerum matris ou demandeur d’asile à part entière ? À propos de l’arrêt rendu par le Conseil d’État le 27 novembre 2023 dans l’affaire « enfant N. S. »
15/11/2024

Le lien familial entre l'enfant et ses parents, lorsque ces derniers sont eux-même demandeurs d'asile, complexifie le traitement procédural de la demande d'asile du mineur accompagné, devant l'OFPRA comme devant la CNDA. La contribution revient ici sur la jurisprudence récente du Conseil d'Etat qui apporte d'importantes précisions en la matière. 

Le statut juridique du mineur est traditionnellement le fruit d’un équilibre entre son assimilation aux adultes qui l’élèvent et la prise en compte de son individualité de personne juridique capable en devenir. Selon les aspirations sociales et politiques de l’ordre juridique qui le définit, la balance penchera en faveur de l’un ou de l’autre, étant à ce jour acquis que le compromis doit nécessairement s’opérer dans l’intérêt supérieur de l’enfant. 

L’apparition du mineur en tant que véritable sujet du droit de l’asile est relativement récente et témoigne à sa manière de l’objectivisation de la matière depuis la fin du XXe siècle. Longtemps, l’asile fut envisagé comme un outil juridique et politique visant à protéger les activités et opinions individuelles exposées aux représailles de pays « ennemis ». L’enfant était donc naturellement empêché de le solliciter en son nom propre à défaut de motif sur lequel il aurait pu se fonder. L’adulte réfugié, cependant, s’était très tôt vu reconnaître un droit à l’unité de famille, lui garantissant que soit accordé à son enfant le même statut que le sien à titre dérivé[1]. La fin de la guerre froide et l’influence du droit de l’Union européenne ont progressivement recentré le droit de l’asile vers une logique plus objective, visant avant tout à protéger contre des risques de mauvais traitements. Le motif pour lequel ces derniers sont craints n’est alors potentiellement plus qu’imputé, s’il n’est pas tout simplement indifférent en matière de protection subsidiaire. Le risque peut émaner des autorités publiques, de personnes privées, voire d’un contexte sécuritaire général, et conduire à l’octroi de l’asile alors même qu’il n’est pas explicitement invoqué par le demandeur[2]. Ces évolutions ont ainsi permis d’ouvrir le droit d’asile à de nouvelles catégories de victimes qui en étaient auparavant écartées, tels que les femmes et les mineurs. 

1. Les origines de l’affaire enfant N. S. : subjectivisation du mineur et lutte contre son instrumentalisation procédurale 

Après l’ouverture de l’asile aux persécutions émanant de personnes privées[3], le risque d’excision est rapidement devenu le motif plus invoqué par les enfants qui sollicitent la reconnaissance d’une protection internationale en leur nom propre. S’il a initialement donné lieu à une jurisprudence peu lisible et centrée sur le droit d’asile du parent de la Commission de recours des réfugiés (ci-après  «  CRR ») puis de la Cour nationale du droit d’asile (ci-après  « CNDA »), le Conseil d’État a finalement rappelé en 2012 qu’à l’instar de tout mineur répondant aux conditions d’un réfugié, un enfant exposé à une mutilation sexuelle pouvait se voir reconnaître cette qualité en son nom propre et en raison de son appartenance à un groupe social[4]. Cette avancée jurisprudentielle a permis de placer près de 20 000 mineures sous la protection de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (ci-après « OFPRA »)[5]. Mais si le motif de l’excision a jalonné les pratiques d’octroi de l’asile aux mineurs en leur nom propre, il n’est pas le seul fondement pour lequel un mineur peut solliciter une protection. Peuvent être invoquées d’autres caractéristiques innées (ex : albinisme), familiales (enfant adultérin, naturel) ou sociales (enfant soldat, enfant sorcier), mais également des craintes conjointes ou émanant indirectement des opinions ou des activités de ses parents (v. infra, 2., B. (2), sur la notion de « craintes propres »).

L’ouverture de l’asile aux mineurs en leur nom propre s’est rapidement accompagnée d’une série de mesures légales et réglementaires visant à encadrer la procédure applicable à ce nouveau sujet. Sans même évoquer la situation spécifique des mineurs isolés (mineurs non accompagnés – MNA), le mineur, même accompagné, demeure un être particulièrement vulnérable, a fortiori dans un parcours migratoire. Des procédures spécifiques aux demandes fondées pour un risque d’excision ont donc été adoptées afin de définir les modalités de preuve médicale et de suivi administratif des enfants protégés[6]. Les conditions de l’audition du mineur ont également été encadrées, lui permettant d’être entendu seul si l’Office suspecte qu'il ait pu subir des persécutions ou des atteintes graves dont les membres de sa famille n'auraient pas connaissance ou en seraient les auteurs[7].

La majorité des dispositifs légaux mis en place s’agissant des mineurs accompagnés traduisent toutefois la volonté du législateur de lutter contre l’instrumentalisation de leurs demandes par leurs parents à des fins dilatoires, abusives ou frauduleuses. La ratio legis n’est alors plus tant la vulnérabilité du mineur que l’objectif de réduction des délais et des coûts de la demande d’asile. Afin d’établir un suivi administratif des dossiers, le législateur a d’abord imposé que chaque demande instruite par l’OFPRA fasse l’objet d’un enregistrement préfectoral préalable[8], mettant ainsi fin à la création de dossiers de mineurs par l’Office à partir de ceux de leurs parents. Mais c’est la loi du 10 septembre 2018[9] qui, transposant en droit interne la notion de « demande d’asile familiale » prévue par l’article 7 de la directive 2013/32/UE (dite « Procédures »), a véritablement bouleversé la procédure applicable aux demandes des mineurs accompagnés. Elle pose pour principe que la demande d’asile présentée par un étranger qui se trouve en France avec ses enfants mineurs soit regardée comme présentée en son nom et en celui de ces derniers[10]. Si le dispositif s’avère protecteur à l’égard des enfants de bénéficiaires de la protection subsidiaire[11], qui ne pouvaient jusqu’alors se prévaloir du principe de l’unité de famille réservé aux proches de réfugiés[12], il vise parallèlement à limiter les demandes d’asile présentées par les parents déboutés au nom de leurs enfants, en assimilant ces derniers à la demande initiale de leurs parents. Il s’agissait ainsi de faire obstacle à la pratique dilatoire consistant pour des déboutés du droit d’asile à déposer « des demandes d’asile successives, au nom de leurs enfants, sur la base des mêmes moyens » que ceux invoqués à l’appui de leur propre demande, et qui imposait à l’autorité de l’asile « un nouvel examen de chacune de ces demandes » alors qu’elles avaient pour réel objectif « de prolonger leur séjour sur le territoire français »[13]

Si la rédaction de la loi aurait pu donner lieu à une interprétation minimaliste, le Conseil d’État, par une approche résolument finaliste et pragmatique, s’est efforcé de « donner tout son poids au principe du caractère familial des demandes d’asile »[14]. Par une décision du 6 novembre 2019[15], il a d’abord considéré que le dispositif s’appliquait de manière rétroactive : ainsi la demande introduite en 2017 par une mineure albanaise qui était présente en France au moment de la demande d’asile de son père, débouté par la CNDA quelques mois auparavant, devait être regardée comme une demande de réexamen pour laquelle l'Office pouvait s’abstenir de procéder à un entretien. Ont donc été placées en procédure de réexamen par les préfectures et, si besoin sur requalification de l’OFPRA, les demandes d’asile présentées au nom de mineurs dès lors qu’ils étaient sur le territoire français lors de l’enregistrement de la demande d’asile de leurs parents finalement déboutés. 

En outre, par une décision du 27 janvier 2021 prise dans le cadre d’un litige opposant l’OFII à une femme nigériane s’agissant de son droit au bénéfice des conditions matérielles d’accueil (CMA)[16], le Conseil d’État est venu étendre l’application du dispositif à l’ensemble des mineurs présents postérieurement à l’enregistrement de la demande d’asile de leurs parents, et ce jusqu’à la décision définitive prise sur cette dernière. Il considère à cet égard qu’: 


« [i]l appartient à l'étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile de présenter une demande en son nom et, le cas échéant, en celui de ses enfants mineurs qui l'accompagnent. En cas de naissance ou d'entrée en France d'un enfant mineur postérieurement à l'enregistrement de sa demande, l'étranger est tenu, tant que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou, en cas de recours, la Cour nationale du droit d'asile, ne s'est pas prononcé, d'en informer cette autorité administrative ou cette juridiction. La décision rendue par l'office ou, en cas de recours, par la Cour nationale du droit d'asile, est réputée l'être à l'égard du demandeur et de ses enfants mineurs, sauf dans le cas où le mineur établit que la personne qui a présenté la demande n'était pas en droit de le faire ». 


Ainsi, la demande présentée par une mère au nom de son fils mineur, né postérieurement à l’enregistrement de sa demande d’asile mais présent à la date à laquelle la CNDA avait définitivement rejeté sa propre demande, devait être regardée comme une demande de réexamen permettant ainsi de refuser à la famille le bénéfice des conditions matérielles d’accueil. 

Cette décision a considérablement complexifié le traitement procédural des demandes présentées au nom de mineurs lorsque la demande d’asile de leurs parents est pendante. 

En enjoignant au parent en cours de demande d’asile d’informer l’OFPRA ou, en cas de recours, la CNDA de l’arrivée ou la naissance d’un enfant et ainsi de ses craintes, le Conseil d’État avait néanmoins pu sembler vouloir renvoyer l’examen de la demande d’asile d’un mineur né ou arrivé sur le territoire en cours de procédure à l’autorité administrative ou judiciaire selon le stade d’avancement de celle de son parent. C’est au moins en ce sens que l’OFPRA l’avait compris et mis en œuvre ; partant, la demande présentée au nom d’un mineur né en cours de procédure était transmise à l’officier de protection en charge de la demande du parent tant que l’Office ne s’était pas prononcé sur celle-ci ; en revanche, lorsque la demande parvenait à l’OFPRA alors qu’il avait déjà été statué négativement sur celle du parent et qu’un recours était pendant, le dossier était alors transmis à la CNDA afin qu’elle se prononce sur le besoin de protection nouvellement invoqué. 

La pratique ainsi retenue par l’OFPRA suscitait toutefois des interrogations, sinon des critiques, s’agissant du respect de la personnalité juridique de l’enfant et de son droit à faire valoir un besoin individuel de protection, tel que le risque de subir l’excision. En effet, informée de la naissance d’une fillette potentiellement exposée à telle mutilation, la CNDA était parfois invitée par l’Office à se prononcer alors que l’enfant, née postérieurement à l’entretien de ses parents, n’avait par définition pas pu faire valoir ce motif devant l’OFPRA. La position adoptée par les différentes formations de jugement de la Cour face aux dossiers de mineurs qui lui étaient adressés n’était cependant pas homogène. On pouvait ainsi identifier quatre grands types de raisonnements : 
- Certaines formations considéraient qu’il convenait d’annuler partiellement la décision de l’OFPRA sur la demande du parent en ce qu’elle concernait l’enfant, privé de la garantie essentielle que constitue l’entretien; 
- D’autres acceptaient de se prononcer sur la demande du mineur s’il s’agissait d’une décision positive ; 
- D’autres encore s’en tenaient à écarter les conclusions présentées au nom de l’enfant, jugées « irrecevables » à défaut de décision préalable de l’OFPRA ; 
- D’autres, enfin, choisissaient d’ignorer simplement les conclusions ou la demande transmises au nom de l’enfant. 
Selon ces deux dernières approches, le mineur, privé d’invoquer son besoin de protection avant le prononcé de la décision sur le recours du parent, était alors voué à patienter jusqu’à ce que la Cour statue définitivement sur la demande de celui-ci pour les invoquer à l’appui d’une demande de réexamen[17]. La confusion générale était en outre entretenue par une approche divergente des préfectures, qui refusaient pour certaines d’enregistrer les demandes d’asile des mineurs nés en cours de procédure[18]

C’est finalement dans le cadre de la demande d’asile de l’enfant N. S. que la CNDA puis le Conseil d’État ont tenté de concilier les garanties procédurales du mineur avec la volonté du législateur de limiter les demandes dilatoires ou de réexamen déguisées. L’aménagement ne concerne toutefois que les demandes présentées au nom d’un enfant pendant la procédure de son parent. S’agissant des demandes formées par les mineurs postérieurement au rejet définitif de la demande de leurs parents, le Conseil d’État a, quelques mois plus tard, tranché en faveur d’une approche beaucoup plus stricte, et qui interroge quant à la cohérence d’ensemble du régime procédural applicable à la demande d’asile du mineur accompagné (v. infra, 3/). 

2. La jurisprudence enfant N. S. : une tentative de conciliation entre les droits procéduraux de l’enfant et la lutte contre les demandes d’asile dilatoires (demande du mineur accompagné par un parent en cours de procédure)

Née quelques semaines après l’audition de son père à l’OFPRA d’une mère qui n’avait elle-même pas formé de demande d’asile, la mineure sénégalo-ivoirienne N. S. avait présenté, quelques mois après le rejet de celle de son père par l’Office, une demande fondée sur le risque qu’elle soit soumise à une mutilation sexuelle. Son père ayant formé un recours devant la CNDA, l’Office, conformément à sa pratique résultant de la jurisprudence du 27 janvier 2021, avait transmis à la Cour la demande présentée au nom de cette enfant, afin que la juridiction se prononce sur son droit à bénéficier d’une protection internationale, et avait informé par courriel son père de cette transmission.  

A. La position adoptée par la CNDA 

Présentant un recours distinct au nom de la mineure contre le courriel de l’OFPRA qu’il interprétait comme un refus d’introduire la demande de la mineure, le conseil de cette dernière en sollicitait l’annulation et le renvoi de l’examen de la demande à l’OFPRA, dans la mesure où il estimait que la garantie essentielle de la mineure à bénéficier d’un entretien avait été méconnue. La CNDA a jugé que le recours soulevait plusieurs questions juridiques sérieuses et, afin d’harmoniser sa jurisprudence sur cette question, l’a audiencé en grande formation. 

Par une décision du 7 mars 2023, la CNDA a renvoyé l’examen de la demande de l’enfant N. S. à l’OFPRA. Après avoir repris les principaux considérants de la décision du Conseil d’État du 21 janvier 2021, elle a      ajouté que les dispositions du CESEDA : 
« ne font pas non plus obstacle à ce que les parents d’un enfant né après l’enregistrement de leur demande d’asile présentent une demande pour cet enfant alors que la procédure concernant leur demande initiale est encore en cours. Il appartient à l’OFPRA d’examiner ces éléments nouveaux dans le cadre de l’examen de la demande initiale s’il n’a pas encore statué sur cette demande. Il lui appartient également de statuer sur la demande présentée pour l’enfant s’il a déjà statué sur la demande des parents, quand bien même un recours est encore pendant devant la Cour nationale du droit d’asile et que ces derniers pourraient invoquer ces nouveaux éléments devant la Cour à l’appui de leur propre recours. Dans un cas comme dans l’autre, il appartient à l’Office de procéder à un nouvel entretien des parents de l’enfant si les craintes propres invoquées pour l’enfant n’ont pu être évoquées lors de l’entretien sur la demande initiale »[19].

Dans la mesure où les craintes propres invoquées en son nom n’avaient pu être évoquées lors de l’entretien mené avec son père dans le cadre de la demande d’asile de ce dernier, l’enfant était donc fondé à contester la décision de refus d’examen de l’OFPRA, qui était ainsi tenu d’auditionner à nouveau son représentant légal. 

B. L’approche retenue par le Conseil d’État 

Saisi d’un pourvoi formé par l’OFPRA contre la décision rendue le 7 mars 2023 par la CNDA, le Conseil d’État a, dans une décision du 27 novembre 2023[20], confirmé pour l’essentiel le considérant de principe retenu par la grande formation, en l’assortissant toutefois de deux limites. 

Reconnaissant que pouvaient être tirées de la décision du 27 janvier 2021 des « conséquences maximalistes », le rapporteur public Clément Malverti avait cependant rappelé à la juridiction que la « délicate » question qui lui était posée supposait « de concilier deux séries d’exigences potentiellement contradictoires : d’une part, le droit pour le demandeur d’asile à un examen individuel de sa demande et à un entretien personnel, d’autre part, le principe du caractère familial des demandes d’asiles, en vertu duquel la décision prise sur une demande d’asile est réputée l’être à l’égard du demandeur et de ses enfants mineurs »[21].

Afin d’aménager ces objectifs, l’obligation reposant sur l’OFPRA de convoquer à nouveau les parents déjà auditionnés sur les craintes de leur enfant devait selon lui :
-    D’une part, « être circonscrite à l’hypothèse dans laquelle l’enfant se prévaut de craintes qui lui sont propres, car lorsque ces dernières sont similaires à celles dont se prévalent les parents, l’OFPRA doit être réputé les avoir examinées lors de l’examen de la demande des parents » ;
-    D’autre part, être écartée « lorsque le demandeur n’a pas informé l’OFPRA des craintes propres de son enfant dans un délai raisonnable à compter de sa naissance ou de son entrée en France », les parents devant le cas échéant « être regardés comme ayant eux-mêmes consenti à ce que les craintes propres du mineur fassent uniquement l’objet d’un examen par la CNDA »[22].

Suivant les conclusions de son rapporteur public, le Conseil d’État est ainsi venu apporter, sinon un revirement de la solution retenue dans sa décision du 27 janvier 2021, à tout le moins des précisions quant au régime applicable à la demande du mineur présentée après l’enregistrement de la demande d’asile de son parent. Il a ainsi rappelé qu’: 
« 'il appartient à l'étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile de présenter une demande en son nom et, le cas échéant, en celui de ses enfants mineurs qui l'accompagnent et de faire valoir, s'il y a lieu, les craintes propres de persécution de ses enfants lors de [son propre] entretien (…). Il en va également ainsi en cas de naissance ou d'entrée en France d'un enfant mineur postérieurement à l'enregistrement de sa demande, l'étranger étant tenu d'informer dans les meilleurs délais l'Office de cette naissance ou entrée, y compris lorsque l'Office a déjà statué sur sa demande ».

Selon le Conseil d’État, la question de la nécessité de conduire un nouvel entretien sur les craintes d’un mineur se pose lorsque celui-ci est entré ou né en France après l’audition du parent sur sa propre demande d’asile. En effet, « [e]n cas de naissance ou d'entrée en France d'un enfant mineur antérieurement à l'entretien avec l'étranger, la décision rendue par l'Office est réputée l'être à l'égard du demandeur et de l'enfant » dans la mesure où le parent avait la possibilité de faire valoir les craintes de ce dernier à l’occasion de son entretien personnel à l’OFPRA.

En revanche, « [s]i cette naissance ou cette entrée intervient postérieurement à l'entretien avec l'étranger, et si l'enfant se prévaut de craintes propres de persécution, il appartient à l'OFPRA de convoquer à nouveau l'étranger afin qu'il puisse, le cas échéant, faire valoir de telles craintes (…) ».

Par conséquent, le mineur doit être considéré comme ayant été privé d’un examen individuel et de la garantie essentielle que constitue l’audition lorsque l’Office s’est abstenu de procéder à une nouvelle convocation alors qu’il est né ou entré en France après l’audition de son parent et fait valoir, dans un délai raisonnable, des « craintes propres de persécution ». Il appartient dès lors à la CNDA d'annuler la décision de l'OFPRA et de lui renvoyer l'examen de la demande du mineur « si, d'une part, elle n'est pas en mesure de prendre immédiatement une décision positive sur la demande de protection de l'enfant au vu des éléments établis devant elle et, d'autre part, elle estime que l'absence de prise en compte de l'enfant ou de ses craintes propres par l'Office n'est pas imputable au parent de cet enfant ». 

Si le raisonnement du Conseil d’État semble ainsi dégager une solution simple et équilibrée afin de concilier la garantie de l’examen individuel avec le concept de demande d’asile familiale, sa mise en œuvre concrète restait à définir. D’un point de vue procédural d’abord, la décision du Conseil d’État supposait la mise en place d’un processus à l’OFPRA permettant d’identifier la nature du besoin de protection invoqué par un parent au nom d’un mineur après l’enregistrement de sa propre demande d’asile afin de l’instruire si nécessaire (1). En outre, elle suppose d’expliciter la notion de « craintes propres de persécution » du mineur, aisément compréhensible s’agissant du risque d’excision des jeunes filles, mais plus difficile à appréhender s’agissant d’autres motifs susceptibles d’être invoqués (2). 

(1). Les conséquences procédurales sur les demandes d’asiles introduites à l’OFPRA au nom de mineurs par des parents dont la demande d’asile est pendante

Les principes dégagés par le Conseil d’État supposent de tenir compte de la date à laquelle la demande d’asile du mineur est présentée à l’OFPRA et de celle à laquelle l’entretien de l’un de ses parents (ou des deux) s’est tenu. 

a. Les demandes d’asile présentées simultanément à l’OFPRA par un parent et ses enfants présents sur le territoire ne posent que peu de difficultés. Le cas échéant, l’autorité préfectorale est en effet tenue d’enregistrer simultanément l’ensemble des mineurs en tant que demandeurs d’asile et de les faire figurer sur l’attestation de demande d’asile (ADA) du parent[23]. A réception du dossier, l’OFPRA l’introduit comme une demande d’asile familiale. Lorsque les deux parents sont présents, les mineurs sont par défaut rattachés au dossier de leur mère (« parent 1 »). Une lettre est adressée à ce parent l’informant de l’introduction de sa demande et de celle de ses enfants mineurs présents sur le territoire. Ces demandes feront, en principe, l’objet d’une instruction conjointe (« parent 1 » et « mineurs A »), sauf s’il apparaît à la lecture des dossiers ou lors de l’audition du parent que l’un ou plusieurs des mineurs font état d’un motif supposant une instruction séparée et/ou une décision individuelle. Contrairement à la CNDA[24], l’OFPRA ne prend jamais, dans le même instrument, de décisions ayant des sens différents : la demande d’un mineur donnant lieu à une décision positive alors que celle de son parent est rejetée sera nécessairement instruite de manière séparée. Le cas échéant, le nom du mineur n'apparaît pas sur la décision du parent, qui fait mention de la disjonction du dossier de l’enfant.  

b. Lorsque la demande est présentée au nom d’un mineur par un parent après l’introduction de sa propre demande d’asile, mais avant la date de son entretien à l’OFPRA, la situation s’apparente à la précédente. Lors de son introduction, le formulaire adressé au nom du mineur est joint au dossier de son parent et transmis à l’agent déjà en charge de l’instruction de la demande de ce dernier en vue de poser, si nécessaire, des questions spécifiques lors de l'entretien à venir. Ici encore et selon les mêmes modalités, la demande de l’enfant pourra donner lieu à une instruction séparée s’il apparaît qu’il fait état de motifs propres ou que le sens de la décision n’est pas le même que celui de son parent. 

Dans ces deux situations, la garantie essentielle que constitue l’entretien de demande d’asile est satisfaite s’agissant du mineur dont le parent sera nécessairement invité, lors de son audition, à s’exprimer sur le besoin de protection invoqué au nom de son enfant. 

c. C’est à l’égard des demandes d’asile présentées au nom d’un enfant après l’entretien de son parent par l’OFPRA mais avant que soit prise une décision définitive que trouve pleinement à s’appliquer la jurisprudence enfant N. S. Le cas échéant, il revient à l’OFPRA de déterminer si l’enfant se prévaut, ce faisant, de « craintes propres de persécution », ou si au contraire les motifs allégués sont indissociables de ceux de son parent. En pratique, la demande du mineur est alors introduite par l’OFPRA et transmise à la division géographique en charge de l’instruction du dossier du parent. Cette dernière apprécie alors le caractère « indissociable » ou « propre au mineur » des motifs invoqués. 

- En cas de motifs « indissociables », la demande du mineur reste rattachée à celle de son parent. Si l’Office n’a pas encore statué sur celle-ci, elle est transmise à l’agent qui en est en charge et qui inclura le nom du mineur dans la décision du parent. Lorsque l’Office a déjà statué sur la demande de ce dernier, le dossier du mineur est alors transmis à la CNDA afin que celui-ci soit inclus dans la décision qu’elle prendra sur le recours formé devant elle par le parent. Si la CNDA estime au contraire de l’Office que l’enfant se prévaut de « craintes propres » qui devaient donner lieu à entretien, la décision familiale prise par l’Office sera partiellement annulée s’agissant du mineur réputé inclus de manière infondée, et l’examen du dossier individuel renvoyé à l’OFPRA pour entretien     .  

- Lorsqu’il apparaît en revanche que la demande du mineur fait état de « craintes propres », il faut encore de tenir compte de la date de naissance ou d’entrée en France de ce dernier :

  • En effet, si celui-ci était présent sur le territoire à la date d’entretien de son parent lequel était en mesure d’en faire état à cette occasion, la décision rendue par l'Office est réputée l'être à l'égard du demandeur et de l'enfant selon les termes de la décision du Conseil d’État.
  • En revanche, si l’enfant est né ou entré en France après l’entretien de demande d’asile de son parent et fait valoir des « craintes propres », la division géographique est tenue de procéder à un nouvel entretien, sauf si, pour un motif imputable au parent, celui-ci n’a pas présenté la demande du mineur dans un délai raisonnable. L’intérêt supérieur de l’enfant impose d’apprécier cette exception avec discernement car elle ne saurait conduire à le priver, en raison d’une simple négligence de son parent, d’une protection internationale qui lui est indispensable. 

(2). A la recherche d’une définition des « craintes propres de persécution du mineur ». 

Ainsi qu’il l’a été dit et pour les raisons historiques précédemment rappelées, la notion de « craintes propres » mobilisée par le Conseil d’État s’entend sans trop de difficultés s’agissant des demandes présentées au nom d’une enfant exposée au risque d’excision dans son pays d’origine. S’agissant d’autres motifs, elle donne lieu à bien davantage d’hésitations, notamment de la part de la CNDA. Afin de tenter d’en définir les contours, il convient de la confronter à d’autres qualifications proches employées en matière de protection internationale des membres d’une même famille. 

Protection à titre individuel ou à titre dérivé - Selon la conception qui a longtemps prévalu de l’asile, la qualité de réfugié n’était reconnue qu’aux individus exposés à des persécutions infligées ou encouragées par l’autorité étatique. C’est ainsi qu’un parent, réfugié en sa qualité d’opposant politique, pouvait faire bénéficier ses enfants de la même protection en vertu du principe de l’unité de famille, alors même que ces derniers n’étaient pas eux-mêmes considérés comme exposés à un risque similaire. Depuis 2018, l’octroi de la protection la plus favorable du parent à son enfant est garanti par la loi[25]: c’est donc désormais essentiellement sur le fondement de l’extension légale de protection que les mineurs sont protégés à titre dérivé, le principe jurisprudentiel d’unité de famille ne s’appliquant plus qu’à la marge, par exemple aux mineurs sous la tutelle ou sous l’autorité parentale d’un tiers réfugié. L’octroi d’une protection à titre dérivé suppose cependant que soit préalablement écarté tout risque personnel de persécution de l’enfant. 

Craintes partagées - Le mineur peut partager avec son parent une caractéristique qui fonde le besoin de protection de ce dernier : il en va ainsi lorsque l’enfant et son parent craignent des persécutions en raison de leur genre, de leur appartenance ethnique ou de leur provenance d’une zone dans laquelle sévit un conflit armé. Le cas échéant, il ne saurait être octroyé au mineur une protection dérivée de celle de son parent : c’est bien alors individuellement qu’il craint, pour une raison qui, quoique partagée, lui est propre, de subir des persécutions ou des atteintes graves en cas de retour dans son pays. 

Craintes indirectes - Dans d’autres situations, l’enfant peut risquer de subir les représailles des opinions ou activités de son parent. Dans la majorité des cas, ces représailles sont subies pour le même motif, à tout le moins imputé, que les persécutions infligées au parent. Ainsi, le fils d’une activiste afghane en faveur du droit des femmes est-il exposé, en raison des activités de sa mère, aux représailles des talibans ou de la société afghane qui lui imputent les mêmes opinions politiques que cette dernière. Le cas échéant, le mineur se prévaut sans nul doute d’un risque individuel de persécution pour motif politique, bien que n’étant pas lui-même à l’origine de l’activité qui le génère. S’il est ainsi tributaire de celui de son parent, le risque de l’enfant doit donc toutefois conduire à la reconnaissance d’une protection individuelle et non dérivée[26]

Motif propre - Dans d’autres cas enfin, un mineur peut éprouver la crainte d’être persécuté ou de subir une atteinte grave pour un motif qui lui est propre, tel que subir une mutilation sexuelle en raison de son sexe féminin, des discriminations et traitements inhumains en raison de son albinisme ou de son identité de genre, etc... Ce sont alors les parents qui invoquent des craintes personnelles indirectes à raison du motif propre de leurs enfants. Notons que ceux-ci ne sont pas éligibles à une protection dérivée, le respect de l’unité de famille étant alors assuré par le droit au séjour[27]. C’est la raison pour laquelle la demande d’asile d’un parent peut être rejetée alors que l’asile est octroyé à son enfant : cela signifie que l’autorité de l’asile n’a pas considéré qu’il était personnellement exposé, même indirectement, à des traitements équivalents à une persécution ou une atteinte grave liée au motif propre de son enfant.

À comparer ces notions à celle de « craintes propres » retenue par le Conseil d’État, on constate avant tout qu’elle ne peut recouvrir l’ensemble des motifs donnant lieu à une protection à titre individuel plutôt que dérivé (unité de famille, extension de protection). Ainsi qu’il l’a été dit, ces dernières ne sont en pratique accordées qu’assez rarement, en l’absence de craintes personnelles du mineur ; dans le cas contraire et quand bien même le risque résulte indirectement de l’activité du parent, une protection lui est accordée à titre individuel. Or, la décision du Conseil d’État interprétée à la lumière des conclusions de son rapporteur public n’a pu vouloir soumettre à l’exigence d’un nouvel examen individuel des circonstances déjà invoquées par un parent et instruites par l’autorité de l’asile. De la même manière, parce qu’elles reposent sur une communauté familiale de faits, les craintes partagées et les craintes indirectes ne devraient pas davantage être regardées comme « propres » au mineur car l’audition du parent permet simultanément d’instruire le besoin de protection de l’enfant et d’établir ou non la crédibilité des faits qui en sont à l’origine. En revanche, lorsque l’enfant se prévaut d’un motif qui lui est spécifique ou exclusif[28], l’audition du parent sur son propre récit ne permet généralement pas de se prononcer sur la demande de l’enfant, laquelle suppose un examen individuel et le cas échéant un nouvel entretien. 

Cela étant, certaines allégations se situent à la lisière des motifs propres au mineur et des craintes partagées. Des conflits familiaux peuvent par exemple donner lieu à des menaces spécifiques à l’égard d’un enfant mineur. La persistance des pratiques de vendetta dans certaines parties de l’Albanie oblige ainsi les hommes des familles en conflit, y compris parfois les mineurs, à s’isoler (claustration) durant plusieurs mois afin d’éviter la vengeance de leurs adversaires. Si le mineur partage alors le même motif que son parent, il est toutefois exposé à un risque qui lui est propre et spécifique. Doit-on auditionner à nouveau les parents sur la demande de leur enfant alors que les faits de vendetta ont déjà été instruits et établis ou écartés lors de leur propre demande ? La question se pose de manière analogue dans le cadre des demandes liées à un mariage forcé. Certaines femmes invoquent ainsi, en leur nom propre, des craintes liées à une union imposée par leur famille traditionnaliste et, au nom de leur enfant né après leur fuite, des craintes fondées sur leur qualité d’enfant naturel ou leur naissance hors de ce mariage programmé. L’instruction de la demande de la mère suppose alors de se prononcer sur la crédibilité du profil rigoriste de sa famille et du projet de mariage allégué. L’instruction de celle du mineur, fondée sur sa qualité d’enfant naturel, est donc intrinsèquement liée à celle de ces différentes circonstances : lorsqu’elles sont avérées, le besoin de protection de l’enfant naturel l’est généralement sans qu’il soit nécessaire d’établir d’autres circonstances propres au mineur ; en revanche, si les faits allégués par la mère ne sont pas établis, il n’est en général pas possible de retenir le besoin de protection du mineur. L’analyse dépend au demeurant du motif invoqué par le parent et du contexte propre au pays d’origine des intéressés. La qualité d’enfant naturel pourrait en effet et dans l’absolu, constituer une « crainte propre » de l’enfant d’un parent qui, dans le cadre de sa demande individuelle, invoquerait pour sa part des faits différents (par exemple, un engagement politique). De même, elle pourrait caractériser une « crainte propre » des mineurs originaires d’un pays ou d’une zone géographique où le simple fait d’être né hors mariage expose, à lui seul, à un risque de persécution, quel que soit l’environnement familial et socioculturel duquel il provient. La CNDA ne semble pas avoir à ce jour adopté une position univoque : elle juge parfois que le motif est en soi indissociable de celui invoqué par la mère ; ou à l’inverse nécessairement propre au mineur ; plus rarement enfin, elle semble se pencher sur le cas individuel pour trancher en faveur de l’un ou de l’autre. 

D’autres situations interrogent encore sur la notion de « craintes propres ». Un mineur peut ainsi éprouver des craintes qui sont propres à sa qualité d’enfant mais toutefois partagées par d’autres membres de sa fratrie. Il en va ainsi des fillettes d’une même famille exposées à un risque d’excision dans leurs pays d’origine. Si chacune d’entre elles invoque indéniablement des « craintes propres », il existe toutefois une communauté de faits entre ces enfants mineurs, exposées à une même menace, émanant des mêmes acteurs. Dans la mesure où la demande est en outre portée par les mêmes représentants légaux, l’intérêt concret que présente la nouvelle audition d’un parent qui a déjà été entendu pour les mêmes faits invoqués au nom d’un premier enfant s’avère parfois incertain. La CNDA semble jusqu’alors vouloir maintenir une approche formelle et a ainsi pu considérer, dans une affaire dans laquelle deux sœurs invoquaient le même risque de subir une excision, qu’elle pouvait simultanément rejeter le recours formé par l’ainée et renvoyer à l’Office l’examen du dossier de la cadette, sa demande n’ayant pas donné lieu à un nouvel entretien des parents. Cette approche strictement individuelle, protectrice du droit de l’enfant, pourra en pratique s’avérer superflue lorsque le parent n’a aucun élément nouveau à avancer par rapport à ceux invoqués à l’appui de la demande de son premier enfant. Elle se justifie davantage lorsque les deux demandes sont espacées dans le temps et que la seconde fait état de circonstances nouvelles. 

Il ne semble ainsi pas possible d’établir a priori une liste de motifs constituant des « craintes propres » ou à l’inverse « indissociables ». Si un besoin de protection exclusivement invoqué à titre dérivé relève nécessairement de la seconde catégorie, tandis que les craintes fondées sur des faits propres, spécifiques ou exclusifs au mineur relèvent généralement de la première, la qualification dépend également des circonstances propres à chaque dossier, à savoir, du motif et des faits invoqués par le parent et du contexte qui prévaut dans le pays d’origine. La notion de « craintes propres » de l’enfant supposerait alors avant tout d’évaluer s’il invoque des faits nouveaux pertinents, qui n’ont pas déjà été évoqués par son parent lors de son propre entretien de demande d’asile. 

Il reste que la décision enfant N. S. ne concerne que la situation dans laquelle une demande est présentée par un parent pour son enfant avant la décision définitive prise sur sa propre demande : s’il fait alors valoir en son nom des « craintes propres », l’Office est tenu de l’auditionner à nouveau afin d’instruire ces nouvelles allégations. Lorsqu’en revanche, la demande est présentée pour un mineur par son parent définitivement débouté, son droit à l’entretien individuel se révèle désormais systématiquement conditionné à la démonstration de la « probabilité significative » du bien-fondé des motifs allégués. 

3. La décision enfant T. du 8 juillet 2024[29]: la délégation aux autorités de l’asile de l’appréciation de la nécessité de conduire une instruction (demande des mineurs accompagnés par un parent définitivement débouté). 

Contrairement aux demandes de mineurs présentées en cours de procédure du parent, le régime procédural applicable aux enfants de parents déboutés semblait jusque récemment générer moins d’hésitations. Le principe de la demande d’asile familiale transposé en droit français par la loi de 2018 suppose de considérer qu’un parent demandeur d’asile accompagné de ses enfants mineurs le sollicite également pour ces derniers : par voie de conséquence, la décision rendue sur cette demande par l’autorité de l’asile est réputée concerner également ces mineurs. Le Conseil d’État en avait ainsi déduit dès 2019 que, « [l]orsque l'office est saisi d'une demande émanant d'un mineur après que l'un de ses parents a déjà présenté une demande d'asile et que celui-ci a été entendu dans ce cadre, la demande émanant du mineur doit être regardée comme une demande de réexamen »[30]. Le pendant de ce principe s’agissant des décisions positives se traduit par l’extension légale de la protection prévue par l’article L. 531-23 du CESEDA[31]

La décision enfant N. S. du 27 novembre 2023 aurait pu interroger la procédure dont relevait désormais la demande du mineur d’un parent débouté, né après l’entretien de ce dernier, mais invoquant des craintes propres. Relevait-il encore de la procédure de réexamen, alors même que l’OFPRA aurait été tenu d’examiner individuellement sa demande s’il l’avait présentée en cours de procédure ? La décision prise par le Conseil d’État quelques mois plus tard dans l’affaire enfant T. est venue écarter tout doute sur ce point. 

L’affaire concerne une femme de nationalité guinéenne, qui avait sollicité l’asile en soutenant avoir été victime d’un mariage forcé. Son récit n’ayant pas été considéré comme suffisamment crédible par l’OFPRA ni par la CNDA, sa demande avait été rejetée. Ayant donné naissance à un enfant en France deux ans plus tard, elle a présenté une demande au nom de celui-ci en raison de craintes liées à sa qualité d’enfant naturel. Instruite selon la procédure de première demande, l’OFPRA n’avait toutefois pas conduit de nouvelle entretien de sa mère, estimant que celui déjà mené avant sa naissance permettait de se prononcer au fond sur le risque invoqué. Saisie d’un recours contre cette décision, la CNDA avait au contraire considéré que l’audition de la mère, antérieure à la demande formée pour le compte de son enfant, « ne saurait constituer celle exigée, par l'article L. 531-12 du CESDEA dans le cas où l'Office est saisi d'une première demande d'asile » et lui avait renvoyé l’examen de la demande du mineur. Dès lors que les faits invoqués à l’appui de la demande du mineur étaient sensiblement les mêmes que ceux de sa mère, l’OFPRA estimait que la notion de « craintes propres » dégagée par la jurisprudence enfant N. S. lui permettait de considérer que l’audition au nom du mineur avait déjà été menée. Un pourvoi a donc été formé par l’Office.

Le Conseil d’État n’a pas suivi les conclusions de son rapporteur public qui, qualifiant d’ « évidence » le constat qu’une décision ne peut être réputée rendue à l’égard d’un enfant qui n’est pas né, l’invitait à confirmer la décision de la CNDA. Il a au contraire considéré qu’« [e]n cas de naissance ou d'entrée en France d'un enfant mineur postérieurement au rejet définitif de la demande d'asile présentée par ses parents en leur nom propre, […] la demande d'asile présentée au nom de cet enfant constitue, au vu de cet élément nouveau, une demande de réexamen, sauf lorsque l'enfant établit que la personne qui a présenté la demande n'était pas en droit de le faire ». Rappelons que jusqu’alors, ces demandes étaient introduites par l’OFPRA en tant que premières demandes. 

Le mineur qui présente une demande d’asile après le rejet de celle de son parent est donc nécessairement assimilé à celui-ci : sa naissance constitue l’élément nouveau de sa propre demande. Quand bien même son parent n’aurait-il pu invoquer sa situation lors de son entretien de demande d’asile, et quand bien même ferait-il valoir des craintes « propres », il devra néanmoins apporter davantage afin de répondre aux conditions de recevabilité du réexamen. En particulier, les craintes invoquées devront être suffisamment probantes pour augmenter « de manière significative la probabilité que [le mineur] justifie des conditions requises pour prétendre à une protection »[32]

Partant, si l’enfant d’un demandeur bénéficie, selon la jurisprudence enfant N. S., du droit à un examen individuel des « craintes propres » invoquées en cours de procédure de son parent, le droit de l’enfant d’un débouté est conditionné, par la jurisprudence enfant T., à la probabilité significative que ses allégations soient fondées, telles qu’appréciées par l’autorité de l’asile sur le fondement de son dossier écrit.  

Cette différence de régime est peut-être toutefois moins tranchée qu’elle n’y paraît : ainsi qu’il l’a été dit, les « craintes propres » invoquées au nom d’un mineur alors que la demande de son parent est pendante ne peuvent être qualifiées qu’au regard des circonstances propres aux dossiers du parent et de l’enfant, ce qui conduit in fine l’autorité de l’asile à porter une appréciation proche de celle de la recevabilité de faits nouveaux en procédure de réexamen (v. supra, 2., B. (2)). 

La solution apportée par le Conseil d’État présente à tout le moins l’avantage de ne pas faire reposer la qualification procédurale sur les motifs invoqués à l’appui de la demande. Elle conduit au demeurant le juge à s’inscrire une nouvelle fois en faveur de la confusion du mineur avec son parent au détriment de la reconnaissance de sa personnalité juridique. Si l’on comprend les intérêts pratiques de l’assimilation, qui permet d’écarter les demandes dilatoires ou abusives de parents déboutés et ainsi limiter la possibilité qu’ils se maintiennent frauduleusement sur le territoire, l’autorité de l’asile reste investie du respect de l’intérêt supérieur de l’enfant et des garanties de la procédure de demande d’asile. 

On pourrait enfin s’interroger quant au maintien de l’assimilation de l’enfant à sa demande familiale après sa majorité. À ce jour, il semble acquis que le majeur réputé débouté dans sa minorité en raison du rejet de la demande de son parent et qui présente une demande d’asile relève du réexamen. Ici encore, si le discernement des autorités de l’asile dans l’examen des conditions de recevabilité devrait permettre de garantir le principe essentiel de l’audition du demandeur, l’appréciation leur reste pleinement déléguée. En outre, tandis que le Conseil d’État a récemment considéré que la majorité mettait en principe fin à la protection obtenue à titre dérivé d’un parent[33], une mise en cohérence des régimes substantiel et procédural de la demande d’asile familiale pourrait conduire à considérer que la majorité de l’enfant met fin, sous l’ensemble de ses aspects, à son assimilation à son parent.

 

Notes de bas de page 

  1. [1] CRR, 16 octobre 1953, Rueda Navarro, nº 23 ; CE, Ass., 2 décembre 1994, Mme Agyepong, nº 112842, Lebon, p. 523.
  2. [2] V. p. ex. CE, 28 décembre 2017, n°404768.
  3. [3] Jusqu’à la loi n°2003-1176 du 10 décembre 2003, l’asile n’était reconnu qu’aux personnes exposées aux persécutions émanant des autorités publiques, soit directement, soit « en fait encouragées ou tolérées volontairement » par ces dernières.
  4. [4] CE, Ass., 21 décembre 2012, Mme F., n° 332491. Son parent n’est en revanche pas éligible à la protection internationale s’il n’est pas lui-même, indirectement ou pour des motifs qui lui sont propres, exposé à des mauvais traitements dans son pays d’origine (CE, 20 novembre 2013, M. F. et Mme D épouse F., n° 368676).
  5. [5] OFPRA, « Journée internationale de tolérance zéro à l'égard des MGF », 2023.
  6. [6] V. les articles L. 531-11 et L. 561-8 du CESEDA et l’arrêté du 6 février 2024 pris en application, NOR : IOMV2330687A.
  7. [7] Article L. 531-14 du CESEDA. En dehors de ces situations, le mineur est en principe auditionné par l’intermédiaire de son ou ses représentants légaux, mais peut parfois être invité à s’exprimer lui-même en leur présence. L’OFPRA invite le mineur à s’exprimer lui-même s’il l’estime indispensable à l’instruction de sa demande d’asile et dans son intérêt supérieur.
  8. [8] Article L.531-2 du CESEDA ; CE, 18 juin 2018, n° 415335.
  9. [9] Loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, JORF n°0209 du 11 septembre 2018.
  10. [10] Principe codifié à l’article L. 521-3 du CESEDA.
  11. [11] V. article L. 531-23 du CESEDA ; CE, 21 janvier 2021, n°439248 ; CNDA 14 octobre 2021, enfants A., n° 21018964, 21018965, 21018966 et 21018967 R.
  12. [12] CE, 18 décembre 2008, OFPRA c/ A…,n°28324.
  13. [13] Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, Rapport sur le projet de loi, pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif (n° 714), présenté par Mme Élise Fajgeles, députée, le 9 avril 2018, pp. 235-236.
  14. [14] Conseil d’État, OFPRA c. M. S…, n°472147, conclusions présentées par M. Clément MALVERTI, Rapporteur public lors de la Séance du 8 novembre 2023, p. 3.
  15. [15] CE, 6 novembre 2019, Mme B... A..., n°422017.
  16. [16] CE, 27 janvier 2021, Mme E. C., n°445958.
  17. [17] C. VIEL, « « Mineur accompagnant » : les opportunités de faire valoir les craintes personnelles s'amenuisent », Éditions législatives, Veille permanente, 7 juillet 2022.
  18. [18] La Cimade, « Demande d’asile au nom de mineurs : le Conseil d’État rectifie sa jurisprudence », 18 juillet 2023, Demande d’asile au nom  de mineurs : le Conseil d'Etat rectifie sa jurisprudence - La Cimade.
  19. [19] CNDA, Grande formation, 7 mars 2023, enfant N. S., n°22031440.
  20. [20] CE, 27 novembre 2023, Mme C… B…, (ci-après « enfant N. S. »), n°472147.
  21. [21] Ibid., Conclusions présentées par M. Clément Malverti, Rapporteur public, p. 1.
  22. [22] Ibid., p. 8, §4.3.
  23. [23] Pendant plusieurs mois après l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2019, de la demande d’asile familiale, l’autorité préfectorale omettait parfois d’enregistrer certains enfants mineurs présents, soit qu’elle exigeait leur présence physique lors du retrait du formulaire de demande en préfecture, soit qu’elle tenait compte de la volonté du parent de ne pas présenter de demande au nom de son enfant, soit encore qu’il leur était dissimulé. Dans la mesure, toutefois, où la décision prise sur la demande du parent est en tout état de cause réputée l'être à l'égard de ses enfants mineurs quand bien même n’auraient-ils pas été enregistrés en préfecture, ces pratiques se sont aujourd’hui résorbées.
  24. [24] La CNDA statue généralement par une seule décision sur l’ensemble des recours d’une même famille : il arrive alors qu’une décision octroie une protection internationale à un mineur tout en rejetant simultanément le recours de ses parents (décisions dites de « satisfaction partielle »).
  25. [25] V. article L. 531-23 du CESEDA et supra, 1.
  26. [26] Ce principe s’efface cependant devant celui de l’octroi de la protection la plus favorable (CE, 11 mai 2016, Mme I. n° 385788). Ainsi, l’enfant mineur d’une femme protégée à raison de son ancienne appartenance à un réseau de proxénétisme est sans doute exposée à des représailles du groupe criminel. Ces représailles ne peuvent toutefois être liées à aucun des motifs prévus par la convention de Genève, l’enfant n’étant pas exposé à ces mauvais traitements en raison de sa qualité d’ex-prostituée, réelle ou imputée. Alors qu’il relèverait donc de la protection subsidiaire à titre individuel, c’est la protection la plus favorable à laquelle il est éligible à titre dérivé qu’il convient de faire prévaloir. L’enfant se verra ainsi reconnaitre la qualité de réfugié, à l’instar de sa mère, sur le fondement de l’extension légale de protection de l’article L. 531-23 du CESEDA.
  27. [27] CE, 20 novembre 2013, M. F. et Mme D épouse F., n° 368676, v. supra, 1..
  28. [28] Selon les conclusions du rapporteur public Laurent Domingo dans l’affaire enfant T. (CE, 8 juillet 2024, n°475883, p. 3, v. infra, 3.) les seules « craintes propres » qui pourraient ainsi être invoquées par un enfant qui vient de naître seraient le risque d’excision.
  29. [29] CE, 8 juillet 2024, Mme C… D… (ci-après « enfant T. »), n°475883.
  30. [30] CE, 6 novembre 2019, Mme. C., n°422017.
  31. [31] V. supra, 2., B., 2..
  32. [32] Article L. 531-42 du CESEDA.
  33. [33] CE, 17 juin 2024, n° 488447 ; CE, 21 mars 2024, n°472308.

Notes de bas de pages

BPDA N°2
Quel avenir pour la demande d'asile des mineurs non accompagnés à l'heure du nouveau Pacte asile et migration ?
15/11/2024

Les mineurs non accompagnés constituent une catégorie particulière de demandeurs d’asile. Ils bénéficient généralement de dérogations et d’adaptations du droit commun applicable en matière d’asile afin de les protéger au mieux en l’absence de leurs représentants légaux. Le nouveau Pacte sur l’asile et la migration de l’Union européenne revient sur les garanties apportées précédemment par le Régime d’asile européen commun. Notamment, il a privilégié, à plusieurs stades des procédures qu’il encadre, une application du droit commun à ces mineurs au détriment du respect de leurs droits. En ce qui concerne la principale adaptation qui leur est accordée, c’est-à-dire la désignation systématique et sans délai d’un représentant légal, le nouveau régime semble incomplet. Malgré quelques avancées, la mise en œuvre de cette désignation, en particulier lors de la nouvelle procédure de filtrage, risque de poser un certain nombre de difficultés pratiques. Le Pacte ne semble pas avoir fait de l’intérêt supérieur de ces enfants une considération primordiale.

La notion de « mineur non accompagné » a véritablement pris corps avec les évolutions successives du droit des réfugiés. De fait, l’une des premières occurrences de l’expression peut être trouvée dans la constitution de l’Organisation internationale pour les réfugiés (ancêtre du Haut-Commissariat pour les réfugiés) de 1948 qui reconnaît la possibilité, pour ces enfants, de bénéficier du statut de réfugié[1]. Elle est également mentionnée dans l’Acte final de la conférence des plénipotentiaires des Nations Unies sur le statut des réfugiés et des apatrides, conférence ayant conduit à l’adoption de la Convention de Genève de 1951. Par la suite, la notion et ses implications ont été développées dans les années 1980 par le Haut-Commissariat pour les réfugiés. La notion est mentionnée à l’article 22 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant dédié aux enfants réfugiés[2]. Elle est déclinée dans le cadre de la politique de l’Union européenne en matière d’asile, d’abord par une Résolution spécifique adoptée en 1997[3], puis dans les instruments ayant composé successivement le Régime d’asile européen commun (ci-après « RAEC »). Le mineur non accompagné est, au sens du droit européen, « un mineur qui entre sur le territoire des États membres sans être accompagné d’un adulte qui, selon le droit ou la pratique de l’État membre concerné, en est responsable, et tant que ce mineur n’est pas effectivement pris en charge par un tel adulte, y compris un mineur qui cesse d’être accompagné après son entrée sur le territoire des États membres»[4].

Si la catégorie « mineur non accompagné » s’inscrit dans le domaine de l’asile, elle ne s’y limite plus. En France, ces mineurs peuvent bénéficier d’une prise en charge par les conseils départementaux au titre de la protection de l’enfance[5] et ils n’ont pas besoin de justifier d’un titre de séjour pour résider régulièrement sur le territoire national le temps de leur minorité[6]. Ces dernières années, le nombre d’entrées dans les dispositifs de protection de l’enfance ne cesse d’augmenter (environ 11 300 en 2021, 14 700 en 2022, 19 300 en 2023)[7] et il est sans commune mesure avec le nombre de mineurs non accompagnés ayant sollicité l’asile auprès de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (ci-après « OFPRA »), lui aussi en augmentation (634 demandes en 2020, 867 en 2021, 1003 en 2022, 1350 en 2023)[8].

Pourtant, sur les aspects formels de la demande d’asile, la procédure a connu quelques adaptations pour tenter de répondre aux besoins spécifiques de ce public. Tout d’abord, au moment du dépôt de leur demande d’asile en préfecture, les mineurs non accompagnés doivent se voir désigner un représentant, qui correspond en France à l’administrateur ad hoc désigné « sans délai » pour les assister « dans le cadre des procédures administratives et juridictionnelles relatives à la demande d’asile »[9]. Ensuite, ils bénéficient de règles dérogatoires de détermination de l’État membre de l’Union européenne responsable de leurs demandes puisqu’ils échappent à la règle du premier pays d’entrée. L’État responsable est en effet  celui où un membre de leur famille réside régulièrement ou, à défaut, celui où ils ont introduit leur demande. Enfin, la directive « procédures » du RAEC avait édicté des conditions particulières d’examen de leur demande[10], mises en œuvre par l’OFPRA (officier de protection spécialement formé, salle adaptée, possibilité de reclassement en procédure normale par l’OFPRA, etc.). Pour le reste, la procédure demeure la même que pour les majeurs, c’est-à-dire dans la déclinaison française : le pré-accueil dans les plateformes dédiées, l’enregistrement de la demande auprès du guichet unique des préfectures, l’entretien à l’OFPRA et l’éventuel recours devant la Cour nationale du droit d’asile (ci-après « CNDA »). Selon toute vraisemblance, le schéma procédural qui sera mis en œuvre par les pôles territoriaux « France asile », créés par la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration sera le même pour les mineurs non accompagnés, aucune disposition particulière n’ayant été prévue.

Plus globalement, la demande d’asile présente au moins trois intérêts pour les mineurs non accompagnés, si tant est qu’ils réussissent à obtenir le statut de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire. Premièrement, l’octroi d’une protection internationale constitue un moyen complémentaire de protection qui permet la reconnaissance des craintes des jeunes en cas de retour dans leur pays d’origine et qui règle également la question de l’obtention du titre de séjour à la majorité. Il faut ici préciser que le taux de protection est particulièrement élevé, généralement de l’ordre 70-80 % par l’OFPRA et de 80-90 % en incluant les recours CNDA[11], ce qui atteste de la réalité de leurs besoins en matière de protection internationale. Deuxièmement, elle permet une reconstitution par l’OFPRA de leur état civil qui peut leur être utile pour prouver leur minorité[12]. Troisièmement, ils pourront plus facilement solliciter et obtenir la réunification familiale avec leurs parents ou leurs frères et sœurs, la jurisprudence récente de la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après « CJUE ») ayant renforcé de façon opportune ce droit[13]

Si l’ensemble du régime actuel connaît de nombreuses difficultés de mise en œuvre en France (absence d’accès aux conditions matérielles d’accueil[14] ; effectivité de la désignation de l’administrateur ad hoc ; articulation avec les services de protection de l’enfance, etc.[15]), l’ensemble apparaît relativement équilibré. Néanmoins, cet équilibre risque d’être complètement altéré dans les mois à venir avec la mise en œuvre du nouveau Pacte sur l’asile et la migration, adopté en mai dernier après quatre ans de négociations. L’architecture de ce Pacte, composé de huit règlements et d’une directive, vise à répondre aux limites du RAEC ainsi qu’à limiter l’accès au territoire européen des ressortissants de pays tiers en situation irrégulière, au détriment, semble-t-il, des droits fondamentaux de ces ressortissants, y compris lorsqu’ils sont mineurs. Pourtant, quasiment tous les textes[16] font référence au principe d’intérêt supérieur de l’enfant soit en préambule, soit par un article dédié aux mineurs, soit les deux. Ils renvoient explicitement à l’article 24 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ou à la Convention internationale relative aux droits de l’enfant. La prise en considération de cet intérêt supérieur semble pourtant bien relative au regard des objectifs que s’est donnés le Pacte, aussi bien pour la mise en œuvre des procédures de droit commun à l’égard des mineurs non accompagnés (I) que pour la définition des règles encadrant la désignation d’un représentant, qui constitue la principale garantie spécifique à ces mineurs (II). Il sera ainsi question des garanties procédurales octroyées aux mineurs au moment du dépôt de la demande d’asile plutôt que des questions relatives à l’examen des craintes et aux effets de la reconnaissance d’une protection internationale à proprement parler, dont les évolutions sont plus mesurées. Au surplus, les évolutions procédurales emporteront très certainement des effets sur le traitement des mineurs non accompagnés en France, qu’il pourra être utile de discuter. 

I. De la mise en œuvre renforcée des procédures de droit commun à l'égard des mineurs non accompagnés

Traditionnellement, les mineurs non accompagnés bénéficient de quelques adaptations de la procédure de droit commun en raison de leur vulnérabilité particulière. Tel était le cas pour la désignation de l’État membre responsable de leur demande d’asile sous l’empire des précédents règlements Dublin II et III. Ces spécificités ont néanmoins été limitées par le nouveau Pacte, non seulement en ce qui concerne la désignation de l’État membre responsable de leur demande (B), mais également plus tôt dans la procédure, dès la mise en œuvre des nouvelles procédures à l’entrée sur le territoire européen qui concerneront tous les ressortissants étrangers. En particulier, la procédure de filtrage interroge du point de vue des droits de l’enfant (A). 

A. L’indifférence de la procédure de filtrage aux droits des mineurs non accompagnés 

Le Pacte a entériné deux nouvelles procédures à la frontière : une procédure de filtrage de tous les ressortissants de pays tiers se présentant aux frontières extérieures de l’Union ou étant entrés de façon irrégulière sur le territoire de l’un des États membres[17] ; et une procédure d’asile à la frontière[18].

S’agissant du filtrage, il consiste en un contrôle sanitaire et une appréciation de la vulnérabilité préliminaire, en l’identification de la personne ou la vérification de son identité, en l’enregistrement de ses données biométriques dans Eurodac, en un contrôle de sécurité et au renseignement du formulaire de filtrage (article 8 du règlement « Filtrage »). Ces vérifications doivent être effectuées dans un délai de sept jours maximum, durée pendant laquelle « les États membres prévoient dans leur droit national des dispositions visant à faire en sorte que les [ressortissants étrangers] restent à la disposition des autorités compétentes chargées de procéder au filtrage […] afin de prévenir tout risque de fuite » (article 6). Même si le terme n’est pas employé, les expressions « maintenir à disposition » et « prévenir tout risque de fuite » laissent peu de doute quant à la nature de la mesure qui sera mise en œuvre : il s’agira d’une privation de liberté. Le dispositif, inspiré des hotspots, inquiète du point de vue du respect des droits fondamentaux, mais aussi au regard des conditions de sa mise en œuvre[19].

Or, cette inquiétude est d’autant plus forte pour les mineurs non accompagnés qu’aucune dérogation n’est prévue pour eux. En effet, l’article 5 du règlement dispose que le filtrage « s’applique à tous les ressortissants de pays tiers, qu’ils aient ou non présenté une demande de protection internationale, qui ne remplissent pas les conditions d’entrée [dans l’UE] et qui : a. sont interpellés à l’occasion d’un franchissement non autorisé de la frontière extérieure d’un État membre par voie terrestre, maritime ou aérienne, à l’exception des ressortissants de pays tiers dont, pour des raisons autres que leur âge, l’État membre concerné n’est pas tenu de relever les données biométriques en application [du règlement  « Filtrage »] » La formule est relativement alambiquée, pourtant, il faut en comprendre que l’âge ne pourra justifier de dérogation. Ainsi, il ne fait aucun doute qu’ils entrent dans le champ d’application du règlement. Cette absence de dérogation interroge puisque ces mineurs sont exemptés de la procédure d’asile à la frontière[20], c’est-à-dire qu’ils pourront entrer sur le territoire de l’Union, faire examiner leur demande d’asile par le premier État d’entrée et bénéficier des conditions matérielles d’accueil dans ce pays. La mise en œuvre de la procédure de filtrage à l’égard des mineurs y compris lorsqu’ils sont non accompagnés montre qu’aucune vulnérabilité, quelle qu’elle soit, ne saurait entraver l’objectif que s’est fixée l’Union d’un contrôle accru des frontières extérieures doublé d’une volonté de limiter les mouvements dits « secondaires » entre États membres. 

Dans le même temps, l’article 13 du règlement dispose qu’au « cours du filtrage, l’intérêt supérieur de l’enfant est toujours une considération primordiale, conformément à l’article 24, paragraphe 2, de la Charte ». Sur ce point, trois remarques s’imposent. Tout d’abord, la conformité d’une généralisation de la privation de liberté à tous les mineurs, accompagnés ou non, avec le principe d’intérêt supérieur de l’enfant laisse dubitatif. À l’heure où la France vient enfin d’interdire la rétention de tous les enfants[21], quel que soit leur âge, et après de multiples condamnations de la Cour européenne des droits de l’homme[22], cette généralisation sonne comme un retour en arrière. Elle va à l’encontre de toutes les recommandations des organes de promotion et de protection des droits humains en matière de privation de liberté des enfants migrants, puisque, rappelons-le, « chaque enfant a, en tout temps, un droit fondamental à la liberté et le droit de ne pas être placé en détention pour des motifs liés à l’immigration »[23]

Ensuite, il aurait pu être a minima envisageable de fixer un seuil d’âge, en dessous duquel les enfants n’auraient pas été soumis à la procédure de filtrage. Le Pacte retient à ce titre plusieurs seuils d’âge. Ainsi, les données biométriques d’un mineur de six ans ne peuvent être enregistrées dans le fichier Eurodac[24] et les données des mineurs de 14 ans ne peuvent être utilisées à des fins répressives[25]. Également, le règlement « Crise » prévoit qu’en cas d’instrumentalisation des demandeurs d’asile, les mineurs de douze ans accompagnés soient exemptés de la procédure d’asile à la frontière ou que celle-ci cesse après une évaluation individuelle du caractère fondé de leur demande[26]. Cette catégorisation des mineurs selon leur âge aurait pu être utilisée pour la procédure de filtrage.

Enfin, la nature des garanties accordées par le règlement « Filtrage » au bénéfice des mineurs en général et des mineurs non accompagnés en particulier ne peut que renforcer les inquiétudes liées au respect de leurs droits. D’une part, les exigences relatives aux lieux où pourraient être placés les ressortissants étrangers sont particulièrement souples puisqu’il est seulement spécifié que « le filtrage est effectué en tout lieu adéquat et approprié désigné par chaque État membre »[27]. La même disposition semble supposer une distinction dans le traitement des étrangers, entre ceux qui auraient demandé l’asile et ceux qui ne l’auraient pas fait, car il est précisé que « les règles pertinentes en matière de rétention énoncées dans la directive 2008/115/CE s’appliquent au cours du filtrage en ce qui concerne les ressortissants de pays tiers qui n’ont pas introduit de demande de protection internationale ». Pourtant, il paraît difficilement imaginable qu’au stade du filtrage les États membres créent des structures différenciées selon les profils, d’autant que la majorité des ressortissants étrangers, s’ils ne remplissent pas les conditions du Code frontières Schengen pour entrer sur le territoire de l’Union, n’auront d’autre choix que de demander la protection internationale. Ainsi, il semble qu’en toute hypothèse, il faudra se référer à la directive « Retour » de 2008 pour savoir dans quelles conditions la rétention se déroulera. Les garanties qu’elle prévoit pour les mineurs sont minimales[28] : le placement en rétention est une mesure de dernier ressort prise pour la période la plus brève possible ; le droit aux loisirs et aux activités récréatives doit être garanti ; le placement doit avoir lieu, dans la mesure du possible, dans des « institutions disposant d’un personnel et d’installations adaptés [à leurs] besoins »[29]. Il aurait été opportun de profiter du vote de ce nouveau Pacte pour revoir les exigences minimales en matière de rétention des enfants[30]

D’autre part, les autres garanties accordées par le règlement « Filtrage » paraissent tout aussi insuffisantes puisque l’obligation de désignation d’un représentant semble très souple à ce stade de la procédure. En effet, il est prévu qu’un représentant compétent et formé lui soit désigné, que ce représentant doit être distinct de la personne chargée du filtrage, et qu’à défaut d’une telle désignation le mineur puisse tout de même demander l’asile[31] (article 13). Or le représentant est le garant de son information sur ses droits puisque l’article 11 du règlement précise que le mineur doit être informé de la procédure de filtrage d’une façon qui soit adaptée à son âge et en présence de son représentant. Également, lors des contrôles sanitaires et de vulnérabilité « un soutien approprié au regard de sa santé physique et mentale dans des installations adéquates […] est apporté d’une manière adaptée aux enfants et à leur âge par du personnel formé et qualifié pour s’occuper de mineurs, et en coopération avec les autorités nationales de protection de l’enfance »[32]. Comme l’expérience des hotspots a pu le démontrer[33], il est difficile de voir dans quelle mesure les autorités de protection de l’enfance pourraient agir efficacement dans le contexte du filtrage.

Dans l’ensemble, il est difficile de considérer que l’économie du dispositif de filtrage fasse de l’intérêt supérieur des mineurs non accompagnés une considération primordiale. En témoigne également la possibilité de recourir à la force pour contraindre le mineur à donner ses données biométriques au moment de l’enregistrement dans le fichier Eurodac[34].
Précisons néanmoins que le règlement définit les conditions de réalisation du filtrage sur le territoire d’un État membre, une fois que l’étranger en situation irrégulière est entré (article 7) là encore sans organiser de régime spécifique pour les mineurs non accompagnés. Pour autant, ces derniers n’étant pas en situation irrégulière en France, puisqu’il n’est pas exigé d’eux qu’ils détiennent un titre de séjour, cette disposition ne devrait, en principe, pas trouver à s’appliquer pour eux. Malgré cela, lorsque la procédure de filtrage à l’entrée sur le territoire européen sera finalement mise en œuvre, il sera plus difficile pour les mineurs non accompagnés de rejoindre la France, puisqu’ils bénéficient rarement du visa nécessaire pour entrer sur ce territoire, et d’y solliciter une prise en charge, que ce soit au titre de la protection de l’enfance ou par le biais de l’asile. Ils risquent alors d’être contraints, comme beaucoup d’autres, à prendre plus de risques pour atteindre le pays souhaité et même dans cette hypothèse, il n’est pas certain qu’ils puissent y déposer leur demande d’asile. 

B. La désastreuse modification du critère Dublin

Le système de Dublin et les modalités de répartition qu’il prévoit ont prouvé toutes leurs limites à l’automne 2015 et contribuent depuis au « déséquilibre persistant » des politiques européennes en matière d’asile et d’immigration[35]. Ces modalités pèsent particulièrement sur les trois principaux pays d’entrée des ressortissants étrangers dans l’Union : la Grèce, l’Italie et l’Espagne. En principe, les seuls demandeurs d’asile ne se voyant pas appliquer la règle selon laquelle l’État membre responsable d’une demande d’asile est le premier État d’entrée dans l’Union sont les mineurs non accompagnés. Tel était le cas sous l’empire des règlements Dublin II puis III. Le Pacte, avec le règlement « Gestion asile migration »[36], revient de façon prévisible, mais regrettable, sur cette exception. L’article 25 du règlement hiérarchise les critères de détermination de l’État membre responsable, ils sont classés dans l’ordre de leur application. Ils distinguent l’hypothèse où le mineur a un membre de sa famille résidant légalement sur le territoire d’un État membre, de l’hypothèse où il n’en a pas.

Dans le premier cas, les trois critères sont les mêmes que ceux du règlement Dublin III au mot près. L’État membre responsable de la demande d’asile d’un mineur non accompagné est celui où réside régulièrement un membre de sa famille ou l’un de ses frères et sœurs. Si le mineur est marié, mais que son conjoint ne réside pas régulièrement dans l’Union européenne, l’État membre responsable est celui où réside sa mère, son père, l’adulte responsable de lui, son frère ou sa sœur. À défaut, il peut être confié à un proche qui est en capacité de s’en occuper. Dans ces trois cas, le transfert vers l’État membre responsable n’est effectué que s’il est dans l’intérêt supérieur du mineur de rejoindre la personne identifiée. Également, le règlement « Gestion asile migration » précise que la Commission peut adopter des actes délégués concernant l’identification de la famille, les critères permettant établir l’existence de liens familiaux avérés ainsi que les critères pour vérifier la capacité du proche d’accueillir le mineur. Ainsi, dans cette première hypothèse, le Pacte maintient les garanties préexistantes.

C’est surtout au regard de la seconde hypothèse que le dispositif retenu est insatisfaisant. En effet, lorsque le mineur non accompagné n’a pas de famille dans l’Union européenne ou que celle-ci ne réside pas régulièrement sur le territoire de l’un des États membres, il était prévu que l’État responsable était celui où il avait introduit sa demande d’asile[37]. Sur ce point, la CJUE a considéré que dans le cas où le mineur a déposé plusieurs demandes d’asile, l’État responsable est celui où il se trouve et où il a introduit une demande d’asile, si cela est dans son intérêt supérieur[38]. Peu de temps après cette décision, il a été proposé de réviser le règlement « Dublin III » en ce sens[39]. Néanmoins, cette proposition n’a pas abouti et a rapidement été remplacée par une autre, celle qui a finalement été entérinée par le Pacte. L’État membre responsable est donc le premier pays d’entrée où les empreintes du mineur auront été enregistrées dans le fichier Eurodac dès le stade du filtrage puisqu’il y aura nécessairement été soumis. L’application du critère de droit commun a été justifiée par la nécessité « de décourager les mouvements secondaires […] qui ne servent pas au mieux [les] intérêts [des mineurs non accompagnés] »[40]. Or, l’on voit mal comment le fait d’imposer un nouveau transfert à des mineurs ayant déjà connu de nombreuses ruptures peut être dans leur intérêt supérieur[41], particulièrement lorsqu’ils ont déjà été pris en charge dans les dispositifs de protection de l’enfance, comme c’est souvent le cas en France. 

Bien sûr, la mise en œuvre du critère est entourée des quelques garanties habituelles : la désignation d’un représentant qui participe à la procédure de détermination de l’État membre responsable, la nécessité pour l’État sollicitant le transfert de transmettre à l’État responsable les informations concernant le mineur, sa scolarité, sa santé (articles 48 et 50 du règlement « Gestion »). Surtout, il est prévu que l’intérêt supérieur de l’enfant soit évalué et que si le transfert ne correspond pas à cet intérêt, l’État puisse décider de ne pas procéder au transfert et d’examiner lui-même la demande d’asile. Sur ce point, deux remarques s’imposent. Premièrement, l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant tient notamment compte des possibilités de regroupement familial, du bien-être et du développement de l’enfant, des considérations tenant à la sûreté et à la sécurité du mineur, de son avis en fonction de son âge et de sa maturité, des informations fournies par son représentant et par tout autre élément (article 23 (4)), même transmis tardivement (article 18 (2)). L’évaluation devra être menée par du personnel formé et compétent. Cette évaluation ne pourra néanmoins pas prendre en considération le fait que de nombreux mineurs ayant demandé l’asile aient de la famille en situation irrégulière dans l’État où ils se trouvent et ont déposé leur demande. Également, l’évaluation et l’appréciation de ce qu’est l’intérêt supérieur du mineur varieront nécessairement d’un État à l’autre. 

Secondement, reconnaître la faculté à l’État de considérer que le transfert n’est pas dans l’intérêt du mineur et qu’il doit examiner sa demande lui-même était incontournable au regard de l’article 24 de la Charte, mais ne peut constituer une réponse satisfaisante aux spécificités de ce public. Au maintien d’un critère protecteur, le législateur européen a préféré offrir aux États une large marge d’appréciation. Tout sera alors affaire de volonté politique. En France, à défaut de limiter autant que possible les transferts de mineurs non accompagnés, la procédure de demande d’asile perdra tout intérêt pour eux. Ils préfèreront, sur les conseils des professionnels les accompagnant, solliciter un titre de séjour en préfecture à leurs 18 ans plutôt que de risquer un transfert vers un État membre où ils n’ont aucune attache. Ainsi, les efforts menés par l’OFPRA depuis plusieurs années pour faire connaître la procédure d’asile et permettre aux mineurs qui peuvent s’en réclamer de la mettre en œuvre ne porteront plus leurs fruits[42]. Pourtant, le nombre de demandes d’asile des mineurs non accompagnés a passé en 2022 la barre symbolique des 1000 demandes qui n’avait plus été atteinte depuis les années 2000 où de nombreux mineurs arrivaient en zone d’attente à l’aéroport Roissy Charles de Gaulle[43]. Cette modification compromet alors l’effectivité de la protection internationale pour ces mineurs vulnérables. Dans le même sens, la désignation d’un représentant connaît un certain nombre de difficultés de mise en œuvre, que le Pacte a tenté de rationaliser, avec plus ou moins de succès.

II. De l’insuffisance des conditions de désignation d’un représentant pour les mineurs non accompagnés 

La principale garantie reconnue au bénéfice des mineurs non accompagnés est la désignation d’un représentant légal qui le représente et l’assiste lors des différentes procédures prévues par les divers instruments du Pacte. Six des neuf instruments du Pacte ont une disposition organisant cette désignation[44]. Globalement, il est possible de constater une volonté d’améliorer le dispositif qui se manifeste par les nombreuses précisions apportées depuis le RAEC. Néanmoins, cette désignation est conditionnée au fait que « l’autorité compétente » ne soit pas arrivée à la conclusion que le demandeur était « sans aucun doute âgé de plus de 18 ans », auquel cas elle n’est pas « tenue de désigner un représentant ». Se pose ainsi la question de l’évaluation de l’âge du demandeur que le Pacte envisage de façon totalement différente du RAEC, mais les nouvelles garanties apportées ne le sont que dans des hypothèses trop restreintes (A). Également, la multitude des dispositions encadrant cette désignation est synonyme d’une certaine fragmentation de ce droit puisque quelques procédures connaissent des spécificités (B).

A. Un encadrement de l’évaluation de l’âge nécessaire, mais restreint

Seules deux dispositions précisent les conditions dans lesquelles il est possible d’arriver à la conclusion que le demandeur est « sans aucun doute âgé de plus de 18 ans ». Elles figurent toutes les deux dans le règlement « Procédures » : l’article 25 prévoit les conditions de réalisation de cette évaluation dans le cadre de la procédure de la demande d’asile de droit commun tandis que l’article 53 envisage cette évaluation lors de la procédure d’asile à la frontière.
Concernant la procédure de demande d’asile de droit commun, la nouvelle disposition constitue une réelle évolution par rapport à ce qu’envisageait la directive « Procédures » également son article 25 (5). Celui-ci se contentait d’organiser la possibilité de recourir à l’examen médical s’il existait un doute sur l’âge et précisait qu’à l’issue de l’examen, si le doute persistait sur l’âge, le demandeur devait être présumé mineur. 

L’article 25 du règlement « Procédures » retient un tout autre dispositif. Ainsi, il est prévu que « lorsque, sur la base des déclarations du demandeur, de preuves documentaires disponibles ou d’autres éléments pertinents, des doutes existent quant à la question de savoir si le demandeur est mineur, l’autorité responsable de la détermination peut entreprendre une évaluation pluridisciplinaire, incluant une évaluation psychosociale, qui est effectuée par des professionnels qualifiés, afin de déterminer l’âge du demandeur dans le cadre de l’examen d’une demande ». L’évaluation ne peut reposer uniquement sur le physique du jeune et ses documents doivent être considérés comme étant authentiques jusqu’à preuve du contraire. Il ne peut être recouru à l’examen médical qu’en dernier recours, lorsque le représentant du mineur y consent. L’examen est réalisé par des professionnels compétents après que le mineur et son représentant aient été informés de la nature de cet examen, de ses conséquences, de la possibilité de refuser et des effets d’un tel refus. Le refus de se soumettre à l’examen ne doit pas empêcher l’autorité responsable de se prononcer sur la demande de protection internationale et ce refus ne peut à lui seul fonder le rejet de la demande. Finalement, les éléments issus de l’examen médical et de l’évaluation pluridisciplinaire sont analysés « conjointement, de manière à pouvoir obtenir les résultats les plus fiables possible » et lorsque le doute persiste ou que l’examen comporte une tranche d’âge inférieure à 18 ans, le demandeur est présumé mineur.

Ce dispositif n’est pas sans rappeler la façon dont l’évaluation de l’âge est organisée en droit français, notamment par les articles 47 et 388 du Code civil. Si le fait que l’examen médical ne puisse plus être utilisé qu’en dernier recours doit être salué, le dispositif risque de connaître les mêmes dérives qu’il connaît en France, c’est-à-dire une évaluation sociale souvent stéréotypée et menée dans des conditions inadaptées et des documents d’état civil sans cesse remis en cause que ce soit sur leur forme, sur les conditions d’obtention ou encore sur la question de savoir s’ils peuvent être rattachés à l’intéressé lorsque sont en cause des actes de naissance et autres jugements supplétifs ne comportant pas de photographie[45].

Malgré ces similitudes, il faut s’interroger sur la conformité du droit français à cette disposition sur deux aspects. En premier lieu, il pose la question de l’autorité en charge de la réalisation de cette évaluation. L’article 25 précise que c’est l’autorité responsable de la détermination pour l’État responsable qui procède à l’évaluation de l’âge, c’est-à-dire l’autorité qui examine les demandes d’asile : l’OFPRA. Or, en l’état de la procédure, l’Office ne réalise jamais lui-même l’évaluation de l’âge, les mineurs pour lesquels il existe un doute sont normalement orientés au stade du dépôt de la demande d’asile vers les conseils départementaux qui assurent leur prise en charge[46]. Il arrive également que la désignation de l’administrateur ad hoc n’ait jamais lieu car le procureur de la République les considère comme majeurs, ce qui bloque l’enregistrement de leur demande d’asile[47]. La disposition pourrait permettre de clarifier l’articulation de ces procédures : qui réalise l’évaluation de l’âge ? à quel moment ? comment la décision de reconnaissance ou de non reconnaissance de la minorité est prise en compte par la préfecture et à l’OFPRA ? Cela pourrait, à terme, fluidifier leur enchaînement. En second lieu, le règlement prévoit que le représentant donne son consentement à la réalisation de l’examen médical, là où l’article 388 du Code civil dispose que le mineur donne son accord. L’absence de représentant légal lors de l’examen médical est l’une des principales critiques qu’il est possible d’émettre à l’égard du recours à ces examens. Espérons que l’évolution du droit européen en matière d’asile entraînera une modification législative qui profitera à tous les mineurs non accompagnés qu’ils soient demandeurs d’asile ou non. En effet, même si le règlement est d’application directe, il ne concerne que les évaluations de l’âge réalisées dans le cadre d’une demande d'asile. Toutefois, en France, cette évaluation est généralement antérieure au dépôt de la demande d'asile et dépend d’un corpus juridique distinct (du Code de l’action sociale et des familles et non du CESEDA), ce qui appellerait, en principe, une intervention du législateur.

Cette amélioration des conditions d’évaluation de l’âge dans le cadre de la procédure de droit commun de demande d’asile ne fait que renforcer le contraste existant avec les règles applicables aux procédures à la frontière. En effet, aucune disposition du règlement « Filtrage » ne traite cette difficulté tandis que le règlement « Procédures » se borne à préciser qu’en « cas de doute concernant l’âge du demandeur, les autorités compétentes procèdent rapidement à une évaluation de l’âge conformément à l’article 25 » (article 53 (1)). La référence à une évaluation rapide est particulièrement floue et ne permet pas de comprendre quelles garanties prévues à l’article 25 doivent être effectivement respectées, puisqu’il est évident qu’elles ne pourront pas toutes l’être. Surtout, on ne peut que regretter l’absence d’encadrement de cette évaluation au stade du filtrage alors que la question de la minorité se posera nécessairement à ce moment-là. Or les sept jours (théoriques) de filtrage ne permettront qu’une évaluation très limitée de l’âge, qui risque de ne prendre en considération que le physique et d’hypothétiques documents d’état civil, en contradiction avec toutes les règles édictées par le règlement « Procédures ». Par ailleurs, l’expérience française a déjà montré avec acuité que l’évaluation de l’âge est très difficilement réalisable en quelques jours[48]. Cette procédure est donc laissée à l’arbitraire alors qu’elle constitue le point d’entrée dans l’Union puisque, rappelons-le, le jeune reconnu mineur non accompagné ne pourra se voir, sauf rares exceptions, se voir appliquer la procédure de demande d’asile à la frontière et devra être autorisé à entrer sur le territoire de l’Union. Surtout, elle conditionne la désignation du représentant légal du mineur.

B. Une fragmentation des hypothèses de désignation d'un représentant légal 

La désignation d’un représentant au bénéfice des mineurs non accompagnés est envisagée par plusieurs dispositions du Pacte sur l’asile et la migration. C’est plus précisément l’article 27 de la directive « Accueil » qui semble fixer le cadre général de cette désignation[49] tandis que les règlements envisagent certaines hypothèses particulières de mise en œuvre.

Au titre de l’article 27 de la directive « Accueil », la désignation peut se dérouler en deux temps, éventuellement complétée d’un troisième temps prévu par le règlement « Qualification ». Selon cette disposition, « une personne apte à agir provisoirement en tant que représentant » peut être désignée dans un premier temps. Dans un deuxième temps, un représentant est désigné « dès que possible, et au plus tard dans un délai de quinze jours ouvrables à compter de la date de présentation de la demande [d’asile] ». À l’issue de la procédure d’asile, dans un dernier temps, si le mineur se voit reconnaître le statut de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire, il doit se voir désigner un tuteur, qui peut être la même personne que le représentant (art. 33 (1) du règlement « Qualification »). Dans ces trois hypothèses, il peut s’agir d’une personne physique ou morale (qui doit alors désigner une personne physique) dont les intérêts ne peuvent entrer en conflit avec ceux du mineur (art. 27 (2) et (3) de la directive « Accueil »). Il doit être compétent et formé pour accompagner le mineur et ne doit pas avoir d’antécédents judiciaires ou avoir commis « d’infractions contre des enfants ou d’infractions soulevant de sérieux doutes quant à sa capacité à assumer une fonction comportant des responsabilités à l’égard d’enfants » (art. 33(2) du règlement « Qualification »). Son remplacement n’est possible qu’en cas de nécessité et une autorité administrative ou judiciaire doit être chargée du contrôle de la bonne exécution de ses missions. 

En ce qui concerne son rôle et ses missions, le représentant est informé de « tous les faits pertinents » concernant le mineur. Il le rencontre, le tient informé et prend en compte son avis. Il l’assiste pour l’introduction et l’examen de sa demande d’asile, lors de la procédure de détermination de l’État responsable et pour l’enregistrement dans le fichier Eurodac (art. 23 (6) du règlement « Procédures »). À l’issue de la procédure d’asile, il s’assure que le mineur ait accès à ses droits et, si besoin, l’assiste lors du recours contre la décision de refus d’octroi d’une protection de l’enfance (art. 33(2) du règlement « Qualification »). Pour la première fois, un nombre de mineurs pouvant être accompagnés par un même représentant est fixé : ce nombre est limité à 30 mineurs en temps normal et à 50 en cas de situation exceptionnelle (articles 27 (1) et (7) de la directive « Accueil »). Sur ce point, il est pour le moins étonnant de noter que le règlement « Qualification » ne reprend pas ces chiffres en ce qui concerne les tuteurs désignés à l’issue de la demande d'asile, précisant uniquement qu’ils peuvent représenter « qu’un nombre proportionné et suffisamment limité de mineurs non accompagnés » (article 33 (3)), alors que les tuteurs sont a priori ceux qui accompagneront le plus longtemps ces mineurs. 

En cas de situation exceptionnelle ou dans l’hypothèse d’un nombre disproportionné de demandes, les États membres doivent prévoir cette désignation dans leurs plans d’urgence. Celle-ci peut alors être « reportée de dix jours ouvrables et le nombre de mineurs non accompagnés par représentant peut être revu à la hausse, jusqu’à une limite maximale de cinquante mineurs non accompagnés » à condition d’en informer la Commission et l’Agence pour l’asile (art. 27 (1) de la directive « Accueil »).

Dans l’ensemble, ce dispositif est largement insuffisant pour répondre aux enjeux que posent les procédures de filtrage. La désignation du représentant se fait a minima dans cette hypothèse car il est prévu que « lorsqu’un représentant n’a pas été désigné, une personne formée à la sauvegarde de l’intérêt supérieur et au bien-être général du mineur accompagne et assiste le mineur non accompagné lors du filtrage d’une manière adaptée aux enfants et à leur âge et dans une langue qu’il peut comprendre », étant précisé que « cette personne est la personne désignée pour agir provisoirement en tant que représentant en vertu de la directive (UE) 2024/1346 lorsque cette personne a été désignée au titre de ladite directive » (art. 13(2) du règlement « Filtrage »). Cette personne doit avoir les « compétences nécessaires » et doit agir « afin de sauvegarder l’intérêt supérieur et le bien-être général du mineur et afin que le mineur non accompagné puisse bénéficier des droits et se conformer aux obligations au titre du présent règlement » (article 13(3) du règlement « Filtrage »). Ce ne peut être le professionnel en charge de réaliser le filtrage et elle ne peut recevoir « d’ordre d’aucune personne chargée du filtrage ou des autorités de filtrage ». Elle ne pourra accompagner qu’une trentaine de mineurs non accompagnés « dans des circonstances normales ». Et surtout il est précisé que « le fait qu’un représentant ou une personne agissant provisoirement en tant que représentant n’a pas été désigné […] n’est pas de nature à empêcher un mineur non accompagné d’exercer son droit de demander une protection internationale ». Le législateur européen semble ainsi avoir anticipé les difficultés de désignation d’un représentant au stade du filtrage. 

Dans l’ensemble, le dispositif apparaît particulièrement complexe en ce que les règles applicables varient d’une procédure à l’autre, parfois sans réelle cohérence. Il est alors loisible de se demander s’il n’aurait pas été plus opportun de proposer un instrument dédié qui aurait eu le mérite de la clarté et qui aurait peut-être permis de répondre aux questions laissées en suspens : que se passe-t-il si le délai de désignation n’est pas respecté ? ; dans quelle temporalité doit-on passer de la personne apte à agir provisoirement au représentant et du représentant au tuteur ? ; les obligations prévues dans certains règlements (confidentialité, vérification des antécédents judiciaires, etc.) sont-elles valables dans tous les cas ? ; à partir de quel stade peut-on considérer qu’il y a un nombre disproportionné de demandes déposées par des mineurs non accompagnés ?

Il apporte tout de même un certain nombre de précisions utiles qui devront être intégrées au droit français : la vérification des antécédents judiciaires, la nécessité de prévoir un contrôle de l’action du représentant, la limitation du nombre de mesures, etc.[50] Espérons également que le délai de quinze jours soit de rigueur et qu’à son issue, un mécanisme soit pensé pour contraindre l’autorité en charge de la désignation à le faire. 


In fine, le nouveau Pacte sur l’asile et la migration, malgré quelques avancées salutaires, est particulièrement préjudiciable pour les mineurs non accompagnés, notamment au regard de la procédure de « filtrage » et du changement de critère de désignation de l’État membre responsable. Surtout, il illustre toutes les limites du principe d’intérêt supérieur de l’enfant : son indétermination, sa malléabilité, en particulier lorsqu’il se heurte à des considérations d’ordre politique et sécuritaire. Au regard des observations réalisées, l’intérêt supérieur de l’enfant apparaît comme une considération non pas primordiale, mais bien secondaire de ce nouvel édifice législatif. Pourtant, il n’est pas inutile de rappeler que tous les États membres de l’Union européenne ont ratifié la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, que le principe a été inclus dans la Charte des droits fondamentaux et qu’il est systématiquement rappelé dans tous les instruments du Pacte. L’interprétation qu’en fournissent le Comité des droits de l’enfant, la Cour européenne des droits de l’homme et surtout la Cour de Justice de l’Union européenne aurait dû guider le législateur européen. Telle n’était pas son ambition puisque pour les mineurs non accompagnés comme pour les ressortissants étrangers, la garantie de leurs droits fondamentaux est accessoire. 

 

Notes de bas de page

  1. [1] United Nations, Constitution of the International Refugee Organization, 15th December 1946, Annex 1, Part 1, Section A « Definition of refugees », § 4 : « the term “ refugee ” also applies to unaccompanied children who are war orphans or whose parents have disappeared, and who are outside their countries of origin ».
  2. [2] L’article 22 dispose plus précisément que « les États parties prennent les mesures appropriées pour qu'un enfant qui cherche à obtenir le statut de réfugié ou qui est considéré comme réfugié en vertu des règles et procédures du droit international ou national applicable, qu'il soit seul ou accompagné de ses père et mère ou de toute autre personne, bénéficie de la protection et de l'assistance humanitaire voulues pour lui permettre de jouir des droits que lui reconnaissent la présente Convention et les autres instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme ou de caractère humanitaire auxquels lesdits États sont parties ». 
  3. [3] Résolution du Conseil de l’Union européenne du 26 juin 1997 concernant les mineurs non accompagnés ressortissants de pays tiers (JOCE du 19 juillet 1997, C.221/23).
  4. [4] Cette définition est celle figurant aux articles 2 ou 3 des différents instruments du Pacte sur l’asile et la migration et qui sont dédiés aux définitions. Elle correspond à la définition qui était déjà donnée par les instruments du RAEC.
  5. [5] Art. L. 111-2 du Code de l’action sociale et des familles (ci-après  « CASF »).
  6. [6] Cela se déduit d’une lecture combinée des articles L. 611-3 1° et L. 631-4 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (ci-après « CESEDA »).
  7. [7] Mission mineurs non accompagnés, Rapport annuel d’activité 2022, 2023, p. 7 et Tableau de suivi des MNA 2023, accessible en ligne (consulté le 5 septembre 2024) : https://www.justice.gouv.fr/documentation/ressources/tableaux-suivi-annuels-mineurs-non-accompagnes.
  8. [8] OFPRA, Rapport d’activité 2023 : à l’écoute du monde, juillet 2024, p. 60.
  9. [9] Art. L. 521-9 CESEDA.
  10. [10] Art. 25 de la Directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (JOUE du 29 juin 2013).
  11. [11] Pour les taux en 2022 et 2023 V. OFPRA, Rapport d’activité 2023, juillet 2024, p. 60.
  12. [12] Cette possibilité a néanmoins été fortement nuancée par la Cour de cassation qui a retenu que l’acte d’état civil reconstitué par l’OFPRA, en ce qu’il est fondé sur les déclarations du jeune, ne fait foi que jusqu’à preuve du contraire. V. Civ. 1re, 15 mars 2023, n° 22-18.147, D. 2023, p. 554 ; D. actu. 31 mars 2023, obs. N. ALLAIX ; JCP N n° 13, mars 2023, act. 453 ; Dr. fam. n° 6, juin 2023, comm. 95, note I. MARIA.
  13. [13] Cour de justice de l’Union européenne, Grande chambre, 30 janvier 2024, Landeshauptmann von Wien, aff. C-560/20, D. actu. 6 février 2024, obs. E. MAUPIN ; AJ fam. 2024, p. 168, obs. L. JARDIN ; Europe n° 3, mars 2024, comm. 108, note F. GAZIN.
  14. [14] D. BURRIEZ, « La protection des mineurs isolés demandeurs d’asile : vers une nouvelle confrontation entre l’État et les départements ? », AJDA 2020, p. 2125.
  15. [15] Sur tous ces aspects, V. chapitre dédié L. JARDIN, La protection des mineurs non accompagnés en France, thèse dactyl., dir. J. FERNANDEZ et B. MALLEVAEY, Université Paris Panthéon-Assas, 2022, § 1164 et s.
  16. [16] À l’exception du règlement 2024/1352 dédié à la partie opérationnelle du filtrage (lien entre les différents traitements de données à caractère personnel pour faciliter l’identification des personnes étrangères).
  17. [17] Art. 5 et 7 du règlement (UE) 2024/1356 du Parlement européen et du Conseil du 14 mai 2024 établissant le filtrage des ressortissants de pays tiers aux frontières extérieures et modifiant les règlements (CE) n° 767/2008, (UE) 2017/2226, (UE) 2018/1240 et (UE) 2019/817 (JOUE du 22 mai 2024) dit règlement « Filtrage ».
  18. [18] Art. 43 du règlement (UE) 2024/1348 du Parlement européen et du Conseil du 14 mai 2024 instituant une procédure commune en matière de protection internationale dans l’Union et abrogeant la directive 2013/32/UE (JOUE du 22 mai 2024), dit règlement « Procédures ».
  19. [19] V. C. BRICE-DELAJOUX, « Réflexions à propos de l’adoption imminente de la réforme du droit d’asile européen », BPDA n° 1, avril 2024.
  20. [20] Une exception est prévue lorsqu’il « existe des motifs raisonnables de considérer que le demandeur constitue un danger pour la sécurité nationale ou l’ordre public de l’État membre » (article 53 du règlement « Procédures »). Elle devrait, en l’occurrence, devrait concerner peu de cas.
  21. [21] Art. 40 de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration (JO n° 0022 du 27 janvier 2024, texte n° 1) désormais prévu à l’art. L. 741-5 du CESEDA.
  22. [22] M. SAULIER, « Quand cesserons-nous d’enfermer des enfants ? », RJPF n° 7-8, juillet 2023, p. 47.
  23. [23] Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille et Comité des droits de l’enfant, Observation générale conjointe n° 4 (2017) du Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille et n° 23 (2017) du Comité des droits de l’enfant sur les obligations des États en matière de droits de l’homme des enfants dans le contexte des migrations internationales dans les pays d’origine, de transit, de destination et de retour, 16 novembre 2017, CMW/C/GC/4− CRC/C/GC/23, § 5.
  24. [24] Art. 23 du Règlement (UE) 2024/1358 du Parlement européen et du Conseil du 14 mai 2024 relatif à la création d’« Eurodac » pour la comparaison des données biométriques aux fins de l’application efficace des règlements (UE) 2024/1351 et (UE) 2024/1350 du Parlement européen et du Conseil et de la directive 2001/55/CE du Conseil et aux fins de l’identification des ressortissants de pays tiers et apatrides en séjour irrégulier, et relatif aux demandes de comparaison avec les données d’Eurodac présentées par les autorités répressives des États membres et par Europol à des fins répressives, modifiant les règlements (UE) 2018/1240 et (UE) 2019/818 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil (JOUE du 22 mai 2024), dit règlement « Eurodac ».
  25. [25] Art. 14 du même règlement.
  26. [26] Art. 11 du règlement (UE) 2024/1359 du Parlement européen et du Conseil du 14 mai 2024 visant à faire face aux situations de crise et aux cas de force majeure dans le domaine de la migration et de l’asile, et modifiant le règlement (UE) 2021/1147 (JOUE du 22 mai 2024) dit règlement « Crise ».
  27. [27] Art. 8 (1) du règlement « Filtrage ».
  28. [28] V. PADILLA (F.), « La “directive retour” : analyse critique sous l’angle du respect des droits fondamentaux et des droits de l’enfant », JDJ n° 285, 2009/5, p. 51.
  29. [29] Art. 17 de la directive 2008/115/CE du parlement européen et du conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (JOUE du 26 décembre 2008), dite directive « Retour ».
  30. [30] Des exigences similaires sont d’ailleurs prévues par l’article 12 de la Directive (UE) 2024/1346 DU Parlement européen et du Conseil du 14 mai 2024 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant une protection internationale (JOUE du 22 mai 2024) mais elle n’envisage la rétention du mineur non accompagné que si la mesure vise à le protéger.
  31. [31] Art. 13 du règlement « Filtrage ».
  32. [32] Art. 12 du règlement « Filtrage ».
  33. [33] Pour un historique de leur instauration et des difficultés de mise en œuvre, voir K. PARROT, L. IMBERT, « La “crise migratoire” fantasmée ou l’échec programmé de la forteresse Europe », La Revue des juristes de Sciences PO n° 12, 16 décembre 2016, p. 131. Rappelons que le Haut Commissariat pour les réfugiés s’était retiré des hotspots grecs en 2016 en raison des conditions de vie insuffisantes (« Pour le HCR, les “hotspots” sont devenus des “centres de détention” », Le Monde, 22 mars 2016). 
  34. [34] Art. 14 (1) du règlement « Eurodac ».
  35. [35] H. LABAYLE, « La crise des politiques européennes d'asile et d'immigration, regard critique », RFDA, 2017, p. 893.
  36. [36] Règlement UE) 2024/1351 du Parlement européen et du Conseil du 14 mai 2024 relatif à la gestion de l’asile et de la migration, modifiant les règlements (UE) 2021/1147 et (UE) 2021/1060 et abrogeant le règlement (UE) n° 604/2013 (JOUE du 22 mai 2024).
  37. [37] Art. 8 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (JOUE du 29 juin 2013).
  38. [38] Cour de justice de l’Union européenne, 6 juin 2013, MA, BT, DA c. Secretary of State for the Home Department, aff. C-648/11, Rec. CJUE ; AJDA, 2013, p. 1684, chron. M. AUBERT, E. BROUSSY, H. CASSAGNABERE ; D., 2013, p. 1476 et p. 2073, obs. P. BONFILS et A. GOUTTENOIRE et 2014, p. 445, obs. S. CORNELOUP ; RTD eur., 2015, p. 178, chron. F. BENOIT-ROHMER ; Europe n° 8-9, août 2013, comm. 342, note F. GAZIN ; JCP A n° 25, 17 juin 2013, act. 528 ; RJPF, octobre 2013, n° 10, p. 33.
  39. [39] Commission européenne, Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (UE) n° 604/2013 en ce qui concerne la détermination de l’État membre responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un mineur non accompagné dont aucun membre de la famille, frère ou sœur ou proche ne se trouve en séjour régulier dans un État membre, 26 juin 2014, COM(2014) 382 final, 2014/0202 (COD), p. 3 et article. 4 ter
  40. [40] Commission européenne, Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de lÉtat membre responsable de lexamen dune demande de protection internationale introduite dans lun des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (refonte), 4 mai 2016, COM(2016) 270 final, 2016/0133(COD), considérant n° 20 du préambule.
  41. [41] S. CORNELOUP et P. DE CORSON, « Les critères du règlement Dublin III », in L. AIT AHMED, E. GALLANT, H. MEUR (dirs.), Quelle protection pour les mineurs non accompagnés ?, Actes du colloque organisé le 21 juin 2018, coll. Bibliothèque de l’IRJS - André Tunc, Paris, IRJS éds., 2019, p. 41.
  42. [42] OFPRA, Rapport d’activité 2023 : à l’écoute du monde, ibid., p. 84.
  43. [43] Sur les chiffres de la demande d’asile à la frontière des mineurs non accompagnés, voir V. TCHEN, Fasc. 233-58 : « Étrangers – Entrée en France – Contrôle aux frontières », JCl. Administratif, juin 2024, § 114.
  44. [44] Il s’agit de l’article 27 de la Directive « Accueil », de l’article 23 du Règlement (UE) 2024/1347 « Qualification », de l’article 23 du Règlement « Procédures  », de l’article 23 du Règlement (UE) 2024/1351 « Gestion asile et migration  », de l’article 13 du Règlement « Filtrage » et de l’article 14 du Règlement (UE) 2024/1358 « Eurodac ».
  45. [45] Pour une synthèse de ces difficultés, voir P. DE CORSON, « La procédure d’évaluation de la minorité des jeunes étrangers isolés, vecteur de protection ou d’exclusion ? », in B. MALLEVAEY, L. JARDIN (dir.), L’âge en droit de l’enfance, de la famille et des personnes, coll. Colloques et essais, Bayonne, Institut Francophone pour la Justice et la Démocratie, 2024, p. 147.
  46. [46] T. FLEURY GRAFF, A. MARIE, Droit de l’asile, coll. Droit fondamental, Paris, P.U.F., 2e éd., 2021, § 91.
  47. [47] Sur cette question, voir D. BURRIEZ, « Mineurs isolés sur le territoire : une atteinte au droit de solliciter l’asile en France », RDLF, 2018, chron. n° 21.
  48. [48] V. L. JARDIN, La protection des mineurs non accompagnés en France, thèse, ibid., § 419 et s.
  49. [49] Plusieurs dispositions y renvoient spécifiquement et certaines d’entre elles reprennent les mêmes garanties, tel que l’article 23 du Règlement  « Procédures ». 
  50. [50] Sur ces aspects, V. L. JARDIN, La protection des mineurs non accompagnés en France, thèse, ibid., § 1202 et s.

Notes de bas de pages

BPDA N°2
De quelques difficultés relatives à la nationalité du mineur dans la demande d'asile
15/11/2024

Les multiples conflits et la dégradation de la situation sécuritaire dans de nombreux pays ont une influence directe sur les déplacements de population à l’échelle mondiale. Une des conséquences à ces déplacements est la naissance d’enfants dont les parents n’ont pas forcément la même nationalité et une naissance dans un pays différent des pays d’origine des parents. En droit d’asile, l’Administration et le juge s’intéressent à la nationalité des demandeurs d’asile pour examiner où ces derniers ne veulent ou ne peuvent retourner en raison de craintes de persécution. Les mêmes instances se trouvent régulièrement à devoir se prononcer sur la nationalité de mineurs, en particulier dans le cas où un parent invoque des craintes de persécution personnelles à son enfant. Les différents cas d’accès à la nationalité d’un demandeur d’asile mineur entraînent une multiplicité des solutions juridiques à appliquer. 

En droit de l’asile, il appartient à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (ci-après « OFPRA ») et, le cas échéant, à la Cour nationale du droit de l’asile (ci-après « CNDA ») de se prononcer sur la nationalité des requérants[1]. Préalable indispensable à toute demande d’asile, cet examen peut soulever plusieurs questions auxquelles le juge de l’asile devra répondre, à peine d’erreur de droit[2].

La Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés invite à protéger les personnes se trouvant hors du pays dont elles ont la nationalité et qui ne peuvent ou ne veulent « se réclamer de la protection de ce pays »[3]. En France, l’article 29 du Code civil prévoit que « [l]a juridiction civile de droit commun est seule compétente pour connaître des contestations sur la nationalité française ou étrangère des personnes physiques ». Cependant, le législateur ainsi que le Conseil d’État ont confié au juge de l’asile la compétence d’établir la nationalité ou les nationalités d’un étranger à la lecture des lois des pays concernés[4].

Aux termes du 2 de la section A de l’article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 : « dans le cas d’une personne qui a plus d’une nationalité, l’expression “du pays dont elle a la nationalitéˮ vise chacun des pays dont cette personne a la nationalité, et ne sera pas considérée comme privée de la protection du pays dont elle a la nationalité, toute personne qui, sans raison valable fondée sur une crainte justifiée, ne s'est pas réclamée de la protection de l’un des pays dont elle a la nationalité ». L’article 4, 3. de la directive dite « qualification » 2011/95/UE du 13 décembre 2011 précise qu’ « il convient de procéder à l’évaluation individuelle d’une demande de protection internationale en tenant compte des éléments suivants : a) tous les faits pertinents concernant le pays d’origine au moment de statuer sur la demande, y compris les lois et règlements du pays d’origine et la manière dont ils sont appliqués ; […] e) le fait qu’il est raisonnable de penser que le demandeur pourrait se prévaloir de la protection d’un autre pays dont il pourrait revendiquer la citoyenneté ». Enfin, aux termes de l’article L. 531-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (ci-après « Ceseda »), pour statuer sur une demande d’asile, « [l]'office tient compte également, le cas échéant, du fait que le demandeur peut se prévaloir de la protection d'un autre pays dont il est en droit de revendiquer la nationalité ». Pour se voir reconnaître la qualité de réfugié, un demandeur d’asile devra ainsi prouver qu’il a des craintes de persécution en cas de retour dans tous les pays dont il a la nationalité.

Un réfugié peut être entré sur le territoire français accompagné de sa famille ou cette dernière peut l’avoir rejoint postérieurement à l’obtention du statut de réfugié. À cet égard, l’Acte final de la Conférence des Nations Unies sur le Statut des réfugiés et des apatrides recommande aux États de prendre les mesures nécessaires pour la protection de la famille du réfugié[5]. La jurisprudence du Conseil d’État est venue clarifier l’étendue de cette protection au fil des années[6] au travers notamment d’une décision en Assemblée[7], fait rare en matière du contentieux de la demande d’asile[8]. Sur ce fondement, un mineur peut bénéficier de la protection internationale par extension de celle reconnue à son parent au titre soit du principe de l’unité de famille prévu spécifiquement pour le statut de réfugié[9] soit de l’extension de la protection aux mineurs prévue tant pour le statut de réfugié que pour le bénéfice de la protection subsidiaire[10]. Mais un enfant peut également être en danger pour des raisons qui lui sont propres.


Il n’est alors plus question ici d’unité de famille ou d’extension de la protection reconnue au parent. Un mineur peut se voir octroyer les mêmes protections qu’un demandeur d’asile majeur du fait de craintes personnelles : le statut de réfugié ou la protection subsidiaire. Par exemple, une mineure pourra obtenir le statut de réfugié de par son appartenance au groupe social des jeunes filles non mutilées risquant d’être excisées, sans pouvoir se prévaloir de la protection effective des autorités[11]. L’examen de ces craintes individuelles amène à s’intéresser plus précisément à la situation de l’enfant mineur, comme à sa ou ses nationalités, plutôt qu’uniquement à celle de ses parents. En effet, là où la détermination de la nationalité d’un requérant majeur semble balisée de longue date par les textes et la jurisprudence, la lecture croisée des lois étrangères relatives à l’attribution et l’acquisition de la nationalité des parents peut rendre complexe la détermination de la nationalité ou de la plurinationalité d’un requérant mineur. Cette détermination nécessite d’identifier les différents cas d’accès à la nationalité d’un mineur (I). Il convient également d’apprécier les conséquences de l’acquisition de la majorité ou de la naturalisation française sur la protection internationale reconnue à un mineur (II). 

I. Le droit d'asile à l'épreuve de la détermination de la nationalité du mineur 

En fuyant des persécutions, les demandeurs d’asile ont rarement le temps ou l’opportunité de recueillir les documents susceptibles de prouver leur nationalité. De plus, par méconnaissance des lois étrangères en matière de nationalité, certains demandeurs d’asile ne savent pas présenter avec précision les circonstances ayant présidé à l’acquisition de leur nationalité.

L’Histoire nous enseigne qu’une même personne peut perdre sa nationalité voire en acquérir une autre à l’occasion de la disparition et de l’apparition d’États. La dislocation de l’URSS le 26 décembre 1991 a eu, entre autres conséquences, l’émergence et la réémergence de nouvelles nationalités. La citoyenneté soviétique ayant disparu, chaque citoyen a dû rejoindre la nationalité d’un (ou de plusieurs !) des États venant d’apparaître. Dès 1992, le cumul des citoyennetés n’est plus strictement interdit sur les territoires de l’ex-URSS, bien qu'il ne soit autorisé que dans les cas où la Fédération de Russie a conclu un accord bilatéral sur la double citoyenneté. La demande d’asile des requérants de l’ex-URSS a ainsi fait l’objet d’une jurisprudence ancienne, riche et didactique. Par exemple, le Conseil d’État a jugé dans un arrêt Spivak : « Considérant que M., qui possédait la nationalité soviétique avant la dissolution de l’Union des républiques socialistes soviétiques, et qui résidait habituellement en Ouzbékistan, a refusé d'une part de se voir attribuer la nationalité de cette République, en invoquant les risques de persécution qu'il y encourait en sa qualité de russophone, d'autre part d'acquérir par enregistrement la nationalité de la République fédérative de Russie, comme il en avait la possibilité en application de la loi du 28 novembre 1991, modifiée le 28 janvier 1992 ; […] il s'était, sans raison valable, privé de la protection des autorités de la République fédérative de Russie dont il est en droit d'acquérir la nationalité (...) »[12]. La règle est claire : un requérant ne peut refuser de se prévaloir d’une nationalité alors qu’elle lui était accessible de plein droit[13]. Ce même principe a été également établi pour les personnes sollicitant le statut d’apatride[14] ou lorsqu’un requérant peut bénéficier d’une nouvelle nationalité qu’il ne pouvait obtenir lors du départ du pays d’origine[15].

Qu’en est-il des mineurs ? Selon chaque pays, la possibilité, pour chaque parent, d’avoir ou non plus d’une nationalité vient complexifier la détermination de la nationalité d’un mineur. Les textes internationaux[16] et européens[17] s’alignent sur la nécessité de protéger les enfants mineurs au-delà de la situation administrative de leurs parents. Cette exigence appelle une attention toute particulière lorsque les parents d’un enfant invoquent les craintes individuelles qui pèsent sur ce dernier. Comme pour toute demande d’asile, la ou les nationalités de l’enfant doivent être examinées. Distinguons les hypothèses envisageables : les deux parents ont la même nationalité (A), l’enfant bénéficie d’une nationalité que ses parents n’ont pas (B), les parents ont des nationalités différentes (C).

A. Les deux parents ont la ou les mêmes nationalités et aucun des deux ne bénéficie d’une autre nationalité

Bien que certains États imposent quelques restrictions au « droit du sang » ou jus sanguinis, ce principe est très largement reconnu à travers le monde. Lorsqu’il peut être établi que les deux parents d’un enfant ont la ou les mêmes nationalités et qu’aucun des parents ne bénéficie d’une autre nationalité, le raisonnement juridique semble univoque. Leurs enfants bénéficient de cette ou ces mêmes nationalités et il reviendra à l’OFPRA ainsi qu’au juge de l’asile d’examiner les craintes en cas de retour dans le ou les pays correspondants à ces nationalités.

B. L’enfant bénéficie de la nationalité de ses parents ainsi qu’une nationalité que ses parents n’ont pas

Alors qu’un mineur bénéficie de la nationalité de ses parents, il peut aussi bénéficier de la nationalité du pays où il est né. C’est le cas pour les pays où est reconnu le « droit du sol » ou jus soli. Alors que ce droit est omniprésent dans les pays du continent américain, il demeure assez rare sur le continent africain[18]. À titre d’exemple, le code de la nationalité du Tchad prévoit à son article 12 : « Sont Tchadiens : les enfants nés au Tchad de parents étrangers ». 

Dans une décision d’octobre 2018, classée C+[19], la CNDA  devait statuer sur les craintes personnelles (pour risque d’excision) d’une mineure malienne, de parents maliens, mais possédant également la nationalité du Mozambique, pays à l’égard duquel elle ne faisait valoir aucune crainte. La Cour a considéré que la mineur se trouvait « dans l’impossibilité de se prévaloir de la protection normalement attachée au lien de nationalité qui l’unit à ce pays ». Elle note à cet égard que sa mère, dont elle dépend entièrement, moralement et matériellement, n’a pas vocation à retourner au Mozambique si bien qu’elle est dans l’impossibilité d’obtenir auprès de ces autorités une protection effective pour sa fille. Dès lors que la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989 prévoit en son article 9 que « [l]es États parties veillent à ce que l'enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré […]. », il parait logique que soit examinée la manière dont la situation des parents influe sur leur enfant et notamment la possibilité pour les parents d’être légalement admis dans le pays de nationalité de leur enfant. Sans possibilité pour les parents de séjourner dans ce pays, la nationalité du mineur ne trouve en quelque sorte privée d’effet et ne permet pas de conclure en l’absence de craintes au titre de la protection internationale. 

Cette solution a toutefois été durcie par le Conseil d’État qui a considéré que, dans une telle hypothèse, la Cour ne peut se contenter de l’absence de nationalité du parent, mais doit rechercher si ce dernier n’était pas tout de même en mesure de séjourner dans le pays[20]. Tirant les conséquences de cette décision, la Cour a eu l’occasion de préciser que « ce n’est qu’en cas d’impossibilité avérée pour les parents de séjourner dans l’autre pays de nationalité de leur enfant mineur, que celui-ci peut être valablement regardé comme étant privé de la protection d’un pays dans lequel il n’est exposé à aucune persécution »[21]. La Cour apprécie donc les démarches entreprises par les parents pour revendiquer leur droit à séjourner dans le pays en tant que parent d’un de ses ressortissants mineur[22]. La solution apparaît ici plus sévère que dans l’hypothèse où l’octroi de la protection internationale est apprécié à titre dérivé, c’est-à-dire en application de l’unité de famille ou de l’extension légale de la protection accordée au parent[23]. Dans une décision du 9 novembre 2021[24], la Cour de Justice de l’Union européenne a en effet considéré que le droit de l’Union européenne ne s’oppose pas « à ce qu’un État membre (…) accorde, à titre dérivé et aux fins du maintien de l’unité familiale, le statut de réfugié à l’enfant mineur d’un ressortissant de pays tiers auquel ce statut a été reconnu en application du régime instauré par cette directive, y compris dans le cas où cet enfant est né sur le territoire de cet État membre et possède, par son autre parent, la nationalité d’un autre pays tiers dans lequel il ne risquerait pas de persécution (…) »[25]. Et la Cour de préciser qu’il « [n]’est pas pertinent à cet égard le point de savoir s’il est possible et raisonnablement acceptable, pour ledit enfant et ses parents, de s’installer dans cet autre pays tiers »[26]. On voit ici apparaître une application de la considération primordiale que constitue l’intérêt supérieur de l’enfant[27].

C. Les parents ne bénéficient pas de la même nationalité

Dans le cadre d’un couple dont les membres ne partagent pas la même nationalité, la nationalité de leurs enfants va s’examiner principalement par la combinaison des lois régissant la nationalité de l’enfant dans chacun des pays dont les parents ont la nationalité. La « plurinationalité » est reconnue dans la majorité des États du monde alors que certains pays comme la République populaire de Chine ou le Cameroun interdisent la plurinationalité de jure. Cependant les difficultés administratives entourant la déchéance d’une nationalité font que certaines personnes peuvent se retrouver plurinationales de facto malgré la législation de leur pays de nationalité initial.

Dans le cas où la législation des États dont les parents ont la nationalité n’interdit pas la plurinationalité, la logique juridique veut qu’il appartienne au juge de l’asile d’examiner les craintes en cas de retour dans tous ces pays. Un examen plus approfondi est nécessaire dans le cas où la législation d’un des pays dont les parents ont la nationalité interdit la plurinationalité. Le Conseil d’État est venu se prononcer récemment sur cette question[28]. Un couple composé d’un père ressortissant de la République de Guinée et d’une mère ressortissante de la République démocratique du Congo avait déposé une demande d’asile au nom de leur fille, se prévalant des craintes individuelles que risquait de subir cette dernière. Or, si le Code civil guinéen n’interdit pas la plurinationalité[29], la loi congolaise sur la nationalité dispose que « [l]a nationalité congolaise est une et exclusive »[30]

Rappelant que l’examen de la nationalité doit se faire de jure et non de facto[31], le Conseil d’État a retenu la seule nationalité guinéenne de l’enfant, faisant fis d’éventuels doutes quant à l’existence d’une nationalité congolaise de facto (laquelle est susceptible de se poser si, par exemple, un passeport congolais était tout de même délivré au mineur)[32]

II. La fin de la protection internationale du mineur du fait d’une nationalité lui permettant de réclamer la protection du pays 


Le droit applicable aux réfugiés prévoit également l’exclusion[33] ainsi que la cessation[34] du statut de réfugié et du bénéfice de la protection subsidiaire. Tandis que l’exclusion du mineur bénéficiaire de la protection internationale est rarement mise en œuvre au regard des hypothèses justifiant cette mesure[35], se pose plus souvent la question de la cessation de la protection internationale dont le bénéfice a été reconnu au mineur. En son article 1C§5, la Convention de Genève prévoit qu’elle cessera de s’appliquer si « les circonstances à la suite desquelles elle a été reconnue comme réfugiée ayant cessé d'exister, elle ne peut plus continuer à refuser de se réclamer de la protection du pays dont elle a la nationalité ». Tel est le cas en cas d’acquisition de la majorité (A). La Convention reconnaît également un cas de cessation lorsque la personne reconnue réfugié « a acquis une nouvelle nationalité et jouit de la protection du pays dont elle a acquis la nationalité »[36]. Dans le cas de mineur, l’acquisition d’une nouvelle nationalité renvoie généralement à l’hypothèse d’une naturalisation obtenue dans le pays d’accueil (B). 

A. L'acquisition de la majorité 

Lorsque l’un des éléments ayant présidé à la protection d’un enfant est justement la minorité du requérant et que sa protection a été obtenue par extension de la protection accordée à ses parents, l’accès à la majorité peut justifier une nouvelle analyse du besoin de protection. Lorsque l’un des éléments ayant présidé la protection d’un enfant est la minorité, l’acquisition de la majorité constitue un élément susceptible de remettre en cause son besoin de protection. Tel est le cas lorsque le mineur a obtenu la protection internationale par application du principe de l’unité de famille ou de l’extension de la protection subsidiaire. Dans cette hypothèse, le Conseil d’État a jugé que si les principes généraux du droit applicable aux réfugiés (principe de l’unité de famille en l’espèce) « s’appliquent également aux enfants de ce réfugié qui étaient mineurs au moment de leur entrée en France, ils n’imposent pas que la qualité de réfugié soit reconnue ou maintenue à ces derniers lorsqu’ils sont devenus majeurs à la date à laquelle l’OFPRA se prononce, hormis dans le cas où ils sont à la charge de leurs parents et où il existe des circonstances particulières, tenant notamment à leur vulnérabilité, les mettant dans la dépendance de leurs parents, de nature à justifier l'application à leur profit de ces principes »[37]. La même solution a été retenue pour les mineurs dont les parents sont titulaires de la protection subsidiaire. Ainsi, il a été jugé que « si l’enfant mineur d’un bénéficiaire de la protection subsidiaire, devenu majeur, peut toujours faire valoir des motifs propres pour que lui soit reconnue la qualité de réfugié ou que lui soit accordé le bénéfice de la protection subsidiaire, les dispositions de l’article L. 531-23 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile n’impliquent pas, par elles-mêmes, que le bénéfice de la protection subsidiaire soit maintenu à cet enfant lorsqu’il devient majeur »[38]. L’extension de la protection internationale au mineur apparaît ici comme liée à la seule situation de dépendance de ce dernier à l’égard de son ou ses parents, si bien qu’elle a vocation à cesser lorsque, devenu majeur, il ne peut plus se prévaloir d’une telle situation. Cette « autonomie » vis-à-vis des parents ne fait alors plus obstacle à ce qu’il se réclame de la protection de son pays d’origine dont il est le national. 

En pratique, une fois la majorité acquise, l’OFPRA peut ainsi mettre en œuvre la procédure de cessation et examiner le besoin de protection du jeune majeur. Celui-ci peut faire valoir des craintes propres afin d’obtenir une protection à titre « primaire » et non plus dérivé. À l’issue de cet examen, l’Office prend soit une décision maintenant le statut de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire (pour des craintes propres) soit une décision mettant fin à la protection reconnue à titre dérivé. Dans cette dernière hypothèse, le jeune majeur pourra toutefois souvent obtenir un titre de séjour pérenne, dont la durée de validité sera souvent calquée sur la durée du titre de réfugié, eu égard à l’ancienneté et la stabilité de sa résidence en France.

B. La naturalisation 

Un mineur réfugié peut être se voir naturalisé de différentes manières : d’une part, par l’acquisition de la nationalité française par l’un de ses parents[39]; d’autre part, en cas de naissance en France, à raison de sa résidence en France[40]. Dans toutes ces situations, l’acquisition de la nationalité française est de nature à s’opposer à la définition du réfugié qui ne peut obtenir ou maintenir cette qualité qu’en dehors du pays dont il a la nationalité. Le Conseil d’État en a récemment tiré les conséquences, considérant que « l’acquisition d’une nouvelle nationalité par une personne ayant la qualité de réfugié constitue un motif légitime de cessation du statut dont il bénéficie »[41], l’étranger pouvant se réclamer de la protection d’un autre pays que son pays d’origine. La haute juridiction distingue deux hypothèses. Dans le cas d’une naturalisation française, cette dernière met fin par elle-même à la protection internationale, sans qu’il soit besoin pour l’OFPRA de prendre une décision. Si l’étranger a acquis, par naturalisation, la nationalité d’un autre État, il revient à l’OFPRA de mettre en œuvre la procédure de cessation prévue à cet effet.

On le voit la qualité de mineur met à l’épreuve la détermination de la nationalité du demandeur d’asile et complexifie l’appréciation de son besoin de protection. Il en va de même, dans la période récente, des aspects procéduraux de la demande d’asile du mineur, lesquels ont fait l’objet d’une jurisprudence récente du Conseil d’État[42].

Notes de bas de page

  1. [1] Article L. 521-13 du Ceseda : « L'étranger est tenu de coopérer avec l'autorité administrative compétente en vue d'établir son identité, sa nationalité ou ses nationalités, sa situation familiale, son parcours depuis son pays d'origine ainsi que, le cas échéant, ses demandes d'asile antérieures. Il présente tous documents d'identité ou de voyage dont il dispose ».  
  2. [2] CE, 19 juillet 2017, n°402476, inédit au recueil : « En se fondant sur ce seul motif pour rejeter la demande de la requérante tendant au bénéfice du statut de réfugié, sans se prononcer sur sa nationalité, ni, en cas de difficulté sérieuse, sans renvoyer la question à l'autorité judiciaire, la cour a commis une erreur de droit ».
  3. [3] Article 1.A.2 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés.
  4. [4] Article L521-13 du Ceseda et voir ainsi CE, 26 mai 2014, n°344265, publié au recueil : « Considérant, d’une part, qu’il appartient à la Cour nationale du droit d’asile, qui statue comme juge de plein contentieux, de se prononcer elle-même sur le droit d’un demandeur d’asile à la qualité de réfugié […] il lui revient le cas échéant, pour déterminer la nationalité d’un demandeur d’asile, d’interpréter les dispositions d’une loi étrangère qui déterminent les règles d’attribution ou d’acquisition de cette nationalité (…) ».  
  5. [5] Article IV B de l’Acte final de la Conférence de Plénipotentiaires des Nations Unies sur le Statut des Réfugiés et des Apatrides : « La Conférence (…) recommande aux Gouvernements de prendre les mesures nécessaires pour la protection de la famille du réfugié et en particulier pour :1) Assurer le maintien de l’unité de la famille du réfugié, notamment dans le cas où le chef de la famille a réuni les conditions voulues pour son admission dans un pays ;2) Assurer la protection des réfugiés mineurs, notamment des enfants isolés et des jeunes filles, spécialement en ce qui concerne la tutelle et l’adoption ».
  6. [6] CE, 6 décembre 2023, n° 469817, mentionné dans les tables du recueil : « En vertu des principes généraux du droit applicables aux réfugiés, résultant notamment des stipulations de la convention de Genève, une personne ayant la même nationalité qu’un réfugié et qui, à la date à laquelle ce dernier a demandé son admission au statut, était unie à lui par le mariage ou entretenait avec lui une liaison suffisamment stable et continue pour former avec lui une famille, doit, sous réserve de l’application des clauses d’exclusion prévues par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, se voir reconnaître la qualité de réfugié par l’OFPRA, à condition que ce mariage ou cette liaison n’ait pas cessé à la date à laquelle l’office se prononce. Si ces principes généraux s’appliquent également aux enfants de ce réfugié qui étaient mineurs au moment de leur entrée en France, ils n’imposent pas que la qualité de réfugié soit reconnue ou maintenue à ces derniers lorsqu’ils sont devenus majeurs à la date à laquelle l’OFPRA se prononce, hormis dans le cas où ils sont à la charge de leurs parents et où il existe des circonstances particulières, tenant notamment à leur vulnérabilité, les mettant dans la dépendance de leurs parents, de nature à justifier l'application à leur profit de ces principes ».
  7. [7] CE, Ass., 2 décembre 1994, n° 112842, publié au recueil.
  8. [8] Nous recensons : CE, Ass., 18 avril 1980, n°13914, publié au recueil ; CE, Ass., 16 janvier 1981, n°20527, publié au recueil ; CE, Ass. 2 décembre 1994, n° 112842, publié au recueil ; CE, Ass., 21 décembre 2012, n°332607, publié au recueil ; CE, Ass., 21 décembre 2012, n°332491, publié au recueil ; CE, Ass., 21 décembre 2012, n°332492, publié au recueil ; CE, Ass., 13 novembre 2013, ns°349735, 349736, publié au recueil.
  9. [9] Article IV B de l’Acte final de la Conférence de Plénipotentiaires des Nations Unies sur le Statut des Réfugiés et des Apatrides, op.cit.
  10. [10] Article 23 de la Directive 2011/95/UE (dite « Qualification ») du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection.
  11. [11] Article 1. A. 2. de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ; article L. 561-8 du Ceseda ; CE, 21 décembre 2012, n°332491, publié au recueil.
  12. [12] CE, 2 avril 1997, Spivak, n°160832, mentionné aux tables du recueil.
  13. [13] CE, 26 mai 2014, n°344265, publié au recueil.
  14. [14] CE, 27 décembre 2022, n°457625, mentionné dans les tables du recueil : « si M. A... fait valoir qu'il aurait renoncé à cette nationalité, cette renonciation unilatérale ne lui ouvrirait pas, par elle-même, le droit à se voir reconnaître la qualité d'apatride ».
  15. [15] CE, 13 février 2013, n°355953, inédit au recueil.
  16. [16] Par exemple, la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989.
  17. [17]   Par exemple, l’article 7 de la Charte sociale européenne signée le 18 octobre 1961. 
  18. [18] B. Manby, Les lois sur la nationalité en Afrique Une étude comparée, New York, Open Society Institute, 2009 : « Les pays qui ont les plus fortes protections contre l’apatridie pour les enfants sont ceux qui suivent le principe du jus soli, octroyant la nationalité à tout enfant né sur leur sol soit automatiquement, soit par option. Peu de pays africains (aujourd’hui seulement la Guinée équatoriale, le Lesotho, le Mozambique, la Tanzanie et le Tchad) fondent leur loi sur le jus soli en premier lieu (à l’exception des enfants de diplomates ou de représentants d’États) ».
  19. [19] CNDA, 19 octobre 2018, n°18002145 C+.
  20. [20] CE, 13 mars 2020, n°426701, inédit au recueil : « Pour reconnaître la qualité de réfugiées aux enfants mineures de Mme, la Cour nationale du droit d’asile s’est fondée sur le fait que, bien que possédant la nationalité canadienne, pays à l’égard duquel elles ne faisaient état d’aucune crainte, elles ne pouvaient pas se prévaloir de la protection de ce pays. Pour ce faire, elle s’est bornée à relever que leur mère, qui n’a pas la nationalité canadienne, n’avait pas “vocation à retourner » dans ce pays. En statuant ainsi, sans rechercher s’il était établi que cette dernière n’était pas en mesure d’y séjourner, la Cour a commis une erreur de droit ».
  21. [21] CNDA, 15 mai 2023, n°23005029.
  22. [22] Voir par exemple, CNDA, 8 avril 2022, n°20015144, 20015145 et 20015146 (statuant sur renvoi du Conseil d’Etat) : « Si Mme B. soutient que la protection dont bénéficieraient ainsi ses filles au Canada est néanmoins privée d’effectivité du fait de son impossibilité de séjourner avec elles dans ce pays, elle se borne à produire une décision de refus du 29 mars 2017 que les autorités canadiennes ont opposé à sa demande de délivrance d’un visa de résident temporaire, sans justifier d’aucune autre démarche qu’elle aurait accomplie depuis pour revendiquer son droit à séjourner au Canada en tant que mère d’enfants canadiens. Dans ces conditions, Mme B., qui a exprimé lors de l’audience son souhait de rester en France ainsi que les raisons pour lesquelles elle ne souhaitait pas s’installer au Canada, ne justifie pas être dans l’impossibilité de séjourner régulièrement dans ce dernier pays. Il s’ensuit que Mmes B., en tant que ressortissantes canadiennes, ne peuvent prétendre, en leur nom propre, au bénéfice d’une protection internationale, laquelle revêt un caractère subsidiaire à la protection octroyée par l’Etat dont elles ont la nationalité ».
  23. [23] Article L. 531-23 du Ceseda : « Lorsqu'il est statué sur la demande de chacun des parents présentée dans les conditions prévues à l'article L. 521-3, la décision accordant la protection la plus étendue est réputée prise également au bénéfice des enfants. Cette décision n'est pas opposable aux enfants qui établissent que la personne qui a présenté la demande n'était pas en droit de le faire » et en ce sens, voir CE, 21 janvier 2021, n°439248, mentionné dans les tables du recueil ; CE, 19 novembre 2021, n°449686, inédit au recueil ; CE, 23 septembre 2022, n°455233, inédit au recueil.
  24. [24] CJUE, 9 novembre 2021, Bundesrepublik Deutschland, affaire C-91/20.
  25. [25] Ibidem, §62. 
  26. [26] Eod. loc
  27. [27] Article 3§1 de la Convention internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 1989 : « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ».
  28. [28] CE, 16 février 2024, n°468454, inédit au recueil.
  29. [29] Article 106 du Code civil de la République de Guinée : « Toute personne majeure de nationalité guinéenne résidant habituellement à l'étranger qui acquiert volontairement une nationalité étrangère ne perd la nationalité guinéenne que si elle le déclare expressément dans les conditions prévues aux articles 125 et suivants du présent code ».
  30. [30] Article 1 de la Loi n°87.010 du 1er août 1987 portant Code de la famille de la République Démocratique du Congo. 
  31. [31] CE, 26 mai 2014, n°344265, publié au recueil. 
  32. [32] CE, 16 février 2024, n°468454, op.cit. « Il résulte ensuite des énonciations de sa décision qu’après avoir relevé que l’enfant mineure, dont le père est guinéen, se présentait comme guinéenne et qu’elle pouvait éprouver des craintes fondées en cas de retour en République de Guinée du fait de son appartenance au groupe social des enfants et femmes non mutilés en Guinée, la Cour nationale du droit d’asile a retenu que sa mère étant congolaise, ses parents n’établissaient pas qu’elle serait dans l’impossibilité de se prévaloir de la nationalité congolaise, et que ses craintes n’étaient pas établies en cas de retour en République démocratique du Congo. 6. Par suite, en jugeant que les parents de la requérante n’établissaient pas qu’elle serait dans l’impossibilité de se prévaloir de la nationalité congolaise, alors qu’il ressortait de la combinaison des textes applicables qu’elle avait cités ainsi qu’il a été dit au point 4, qu’il était impossible, dès lors que la nationalité guinéenne de l’enfant était établie, qu’elle puisse également avoir la nationalité congolaise, la Cour nationale du droit d’asile a entaché sa décision d’une erreur de droit ». 
  33. [33] Article 1F de la Convention de Genève, Articles L. 511-6 (statut de réfugié) et L. 512-1 (protection subsidiaire) du Ceseda.
  34. [34] Article 1C de la Convention de Genève, Articles L. 511-8 (statut de réfugié) et L. 512-3 (protection subsidiaire) du Ceseda.
  35. [35] V. par exemple, CE, 7 avril 2010, ns°319840, 327959, publié au recueil.
  36. [36] Article 1.C.3 de la Convention de Genève. 
  37. [37] CE, 6 décembre 2023, n°469817, mentionné dans les tables du recueil.
  38. [38] CE, 17 juin 2024, n°488447, mentionné dans les tables du recueil.
  39. [39] Article 22-1 du Code civil : « L'enfant mineur dont l'un des deux parents acquiert la nationalité française, devient français de plein droit s'il a la même résidence habituelle que ce parent ou s'il réside alternativement avec ce parent dans le cas de séparation ou divorce ».
  40. [40] Articles 21-11 (« L'enfant mineur né en France de parents étrangers peut à partir de l'âge de seize ans réclamer la nationalité française par déclaration, dans les conditions prévues aux articles 26 et suivants si, au moment de sa déclaration, il a en France sa résidence et s'il a eu sa résidence habituelle en France pendant une période continue ou discontinue d'au moins cinq ans, depuis l'âge de onze ans. Dans les mêmes conditions, la nationalité française peut être réclamée, au nom de l'enfant mineur né en France de parents étrangers, à partir de l'âge de treize ans, la condition de résidence habituelle en France devant alors être remplie à partir de l'âge de huit ans. Le consentement du mineur est requis, sauf s'il est empêché d'exprimer sa volonté par une altération de ses facultés mentales ou corporelles constatée selon les modalités prévues au troisième alinéa de l'article 17-3 ») et 21-7 du Code civil (« Tout enfant né en France de parents étrangers acquiert la nationalité française à sa majorité si, à cette date, il a en France sa résidence et s'il a eu sa résidence habituelle en France pendant une période continue ou discontinue d'au moins cinq ans, depuis l'âge de onze ans »).
  41. [41] CE, 1er juillet 2020, n°423272, publié au recueil Lebon.
  42. [42] CE, 27 novembre 2023, n°472147, mentionné dans les tables du recueil. V. L. MAZE, « Le mineur accompagné : pars viscerum matris ou demandeur d’asile à part entière ? À propos de l’arrêt rendu par le Conseil d’État le 27 novembre 2023 dans l’affaire “enfant N. S. ” », BPDA, ce numéro.   

Notes de bas de pages

Mon intérêt pour le droit d’asile a commencé par un engagement associatif qui m'a permis de faire du suivi de terrain de demandeurs d’asile LGBTQIA+. En parallèle, un engagement salarié en tant que juriste en centre de rétention m’a également apporté une expérience de terrain intense. À la suite d’une courte formation, je suis à présent formateur pour adultes en droit d’asile depuis quatre années. En parallèle à cette activité, je siège à la Cour Nationale du Droit d’Asile en tant qu’assesseur désigné par le Haut-Commissariat aux Nations-Unies pour les réfugiés.

BPDA N°1
Édito
Le droit d’asile a sa revue !
01/04/2024

La création du Bulletin de pratique et de droit d’asile repose sur le constat d’une constante évolution des règles applicables qui s’accompagne de leur complexification.

À l’heure où le droit d’asile en France a été réformé par la loi « Asile et immigration » du 26 janvier dernier et devrait être modifié par l’adoption prochaine de la réforme du Régime d’asile européen commun au sein de l’Union européenne, il apparaît nécessaire de faciliter la compréhension de la matière et de mettre en lumière les enjeux qui s’y attachent. Le BPDA, rattaché à l’Institut des hautes études internationales (IHEI) de l’Université Paris-Panthéon-Assas, entend participer à cet objectif en facilitant la publication des travaux relatifs au droit d’asile et en favorisant leur visibilité à travers une revue numérique accessible en libre accès. Le Bulletin s’inscrit à cet égard dans la continuité du DU Droit d’asile – Accueil et protection des étrangers persécutés créé en 2020 et qui a vocation à former les professionnels intervenants auprès des demandeurs d’asile ou des bénéficiaires de la protection internationale.

Le BPDA est ouvert aux contributions soulevant des problématiques juridiques liées à la protection des réfugiés dans ses différentes composantes : traitement procédural et substantiel de la demande d’asile (devant l’OFPRA et la CNDA), statut du demandeur d’asile, droits du réfugié…Sont concernés les travaux réalisés par les universitaires mais aussi par les professionnels et acteurs du droit d’asile. Le premier numéro du Bulletin illustre la diversité à laquelle il se destine, en livrant le regard d’un représentant de l’OFPRA, d’un juge de la CNDA et d’un universitaire sur certains enjeux juridiques actuels de la protection des réfugiés. Johan Ankri, Directeur des affaires juridiques, européennes et internationales à l’OFPRA évoque la montée en puissance de la problématique relative à l’ordre public au sein de la pratique de l’Office à la faveur de la loi « Asile » du 29 juillet 2015. Il analyse la manière dont l’administration en charge du traitement des demandes d’asile s’est adaptée à ce nouvel enjeu. L’ordre public est également au cœur de la contribution du juge Thomas Besson, Vice-Président de la CNDA, qui nous livre un état des lieux de la distinction entre qualité et statut de réfugié. Les enjeux sécuritaires illustrent ici la complexification du droit d’asile dont il a été question plus haut, cette distinction ayant donné lieu à de nouvelles règles, notamment celles relatives au retrait du statut de réfugié aux fins de préservation de l’ordre public. Claire Brice-Delajoux, Maître de conférences à l’Université Paris-Saclay, se tourne quant à elle vers l’avenir proche en analysant les perspectives de la réforme du Règlement européen de l’asile commun qui devrait être prochainement adoptée. Elle s’interroge sur la capacité des nouveaux dispositifs à atteindre les objectifs fixés : améliorer l’efficacité du système d’asile et renforcer la solidarité entre les États membres de l’Union. Ces premières contributions invitent le lecteur à questionner les équilibres du droit d’asile contemporain.

Notes de bas de pages

Delphine BURRIEZ est maître de conférences à l'Université Paris-Panthéon-Assas et est directrice du Bulletin de pratique et de droit de l’asile.
Elle dirige le DU Droit de l’asile : Accueil et protection des étrangers persécutés et publie régulièrement des travaux en lien avec le droit d’asile, dans ses aspects internes et internationaux.

BPDA N°1
La prise en compte de la problématique de l’ordre public dans l’examen des demandes d’asile : quel bilan huit ans après la loi Asile du 29 juillet 2015 ?
01/04/2024

La loi Asile du 29 juillet 2015, qui a fait de la menace grave pour la sûreté de l’État ou pour la société française un motif de refus ou de retrait du statut de réfugié, a marqué un tournant majeur dans la prise en compte et le traitement des questions d’ordre public par les autorités chargées de l’examen des demandes d’asile et de l’octroi de la protection internationale que sont l’Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d’asile.

Cette réforme – dont l’élaboration s’est inscrite dans le contexte de la vague d’attentats terroristes de l'année 2015 – a constitué une véritable révolution culturelle, en particulier pour l’OFPRA, qui s’est en conséquence profondément réformé, sur le plan organisationnel et fonctionnel, pour être à la hauteur des enjeux sécuritaires. Et cela dans un cadre juridique relativement nouveau, et donc nécessairement mouvant.

La loi Asile du 29 juillet 2015, qui a fait de la menace grave pour la sûreté de l’État ou pour la société française un motif de refus ou de retrait du statut de réfugié, a marqué un tournant majeur dans la prise en compte et le traitement des questions d’ordre public par les autorités chargées de l’examen des demandes d’asile et de l’octroi de la protection internationale que sont l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (ci-après OFPRA) et la Cour nationale du droit d’asile (ci-après CNDA).

Certes, l’ordre public – dont il convient de rappeler qu’il est, par sa sensibilité et sa complexité, un sujet d’une grande importance, mais qui concerne un très faible nombre de demandeurs d’asile et de bénéficiaires d’une protection internationale – était déjà, pour ces dernières, un sujet de préoccupation avant 2015. En effet, la loi du 10 décembre 2003 avait fait de la menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l’État une clause d’exclusion de la seule protection subsidiaire.

Mais la réforme de 2015 – dont il n’est pas inutile de rappeler que l’élaboration s’est inscrite dans le contexte de la vague d’attentats terroristes survenue dès le mois de janvier de cette année-là – a constitué ce qu’il semble possible de qualifier de véritable révolution culturelle, en particulier pour l’OFPRA, qui s’est en conséquence profondément réformée, sur le plan organisationnel et fonctionnel, pour être à la hauteur des enjeux sécuritaires que nous connaissons tous. Et cela dans un cadre juridique relativement nouveau, et donc nécessairement mouvant.

1. L’ordre public, une révolution culturelle depuis 2015

Avant 2015, l’ordre public – qu’il convient de bien distinguer de l’exclusion traditionnelle de la protection internationale[1] – n’était pas une préoccupation quotidienne des officiers de protection chargés de l’instruction des demandes d’asile. Ces derniers n’étaient pas spécialement formés à la problématique, ne prenaient que très rarement des décisions d’exclusion de la protection subsidiaire sur ce fondement[2] et se limitaient à procéder à des vérifications sécuritaires auprès des préfectures et de l’unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT) avant l’octroi de la protection subsidiaire.

Avec la loi du 29 juillet 2015 et l’adoption de l’article L. 711-6 (devenu L. 511-7) du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), le législateur a considérablement renforcé une mission jusque-là marginale pour l’OFPRA et la CNDA: celle d’apprécier le risque prospectif qu’un demandeur d’asile ou un bénéficiaire de la protection internationale représente, en France, pour l’ordre et la sécurité publics. Ces dispositions ont en quelque sorte été vécues comme l’attribution d’une compétence nouvelle.

Or, l’appréciation de la dangerosité d’un individu, davantage familière des magistrats et de l’administration pénitentiaire, était quasi étrangère aux autorités de l’asile, dont le cœur de mission est avant tout l’appréciation du risque prospectif de persécution ou d’atteinte grave en cas de retour dans le pays d’origine.

Quelques commentateurs ainsi qu’un certain nombre de professionnels de l’asile – notamment des avocats, des magistrats voire même des agents de l’OFPRA et de la CNDA – ont ainsi pu s’interroger quant à la légitimité, d’une part, des autorités de détermination que sont l’OFPRA et la CNDA à endosser cette mission de sécurité publique et à leur capacité, d’autre part, à le faire.

Près de neuf ans après la réforme de 2015, il est permis de considérer qu’au-delà même de la légitimité conférée par le seul effet de la loi, le principe de la prise en compte de l’ordre public dans le cadre de l’examen des demandes d’asile ne fait plus débat et que les inquiétudes à cet égard ont été levées. Il semble en effet acquis par tous que c’est là une condition nécessaire pour garantir l’intégrité du droit d’asile et assurer la pérennité de son acceptation sociale par une majorité de Français, dans un contexte géopolitique et politique où il n’est plus rare que l’asile soit remis en cause, en tant que droit fondamental, par une part croissante des opinions publiques et des classes politiques des démocraties occidentales.

L’OFPRA a sollicité, en 2023, près de 44.000 enquêtes auprès du Service national des enquêtes administratives de sécurité (SNEAS) et pris 420 décisions de refus ou de retrait d’une protection internationale en application d’une clause d’exclusion ou d’ordre public.

C’est ainsi une véritable culture de l’ordre public qui s’est progressivement instaurée à l’OFPRA, et qui se traduit par une vigilance renforcée au cœur de la pratique quotidienne des officiers de protection, par un traitement des questions d’ordre public qui se veut impartial, dans le respect de l’indépendance fonctionnelle de l’établissement public, et par la mise en œuvre d’un dispositif adapté.

2. Le dispositif mis en œuvre pour le traitement des questions d’ordre public

Ce dispositif, qui s’est graduellement construit depuis 2015, repose principalement sur trois volets : la formation, le partage d’informations et l’adaptation des processus internes.

La formation

La première brique du dispositif est la formation initiale et continue de tous les officiers de protection chargés de l’instruction des demandes d’asile. Elle est destinée à leur donner les connaissances et les réflexes nécessaires pour l’identification et le traitement des dossiers susceptibles de poser des enjeux d’ordre public, la prise en compte de la radicalisation religieuse et du risque terroriste ainsi que l’évaluation de la dangerosité d’un individu.

Cette formation repose à la fois sur l’expertise développée au sein de l’établissement ainsi que sur l’apport de partenaires extérieurs tels que des représentants de l’autorité judiciaire, des services spécialisés ou encore du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) et de l’École nationale de la magistrature (ENM).  

Le partage d’informations en matière d’ordre public

Avant 2015, l’OFPRA était rarement rendu destinataire d’informations relatives à l’ordre public concernant des demandeurs d’asile ou des bénéficiaires de la protection internationale, hormis les hypothèses précédemment mentionnées dans lesquelles il saisissait de lui-même les préfectures et l’UCLAT.

Depuis la loi du 29 juillet 2015, l’autorité judiciaire est tenue d’informer l’OFPRA et la CNDA, sur demande ou d’office et sans que le secret de l’instruction ne puisse leur être opposé, des informations recueillies dans le cadre de procédures civiles ou pénales laissant supposer, notamment, l’existence d’une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l’État[3]. L’échange mutuel d’informations entre l’autorité judiciaire et les autorités chargées de l’asile[4], organisé par une circulaire du garde des Sceaux du 27 septembre 2016, a ainsi été institutionnalisé avec un double objectif : préserver l’intégrité et la crédibilité du système de l’asile d’une part, assurer une meilleure cohérence des réponses administrative et pénale d’autre part.

Par ailleurs, depuis une instruction du ministre de l’Intérieur du 25 juillet 2018, les préfectures sont quant à elles tenues d’informer l’OFPRA de tous éléments pertinents laissant à penser qu’un demandeur d’asile ou une personne protégée pourrait représenter une menace grave pour l’ordre public.

C’est ainsi que l’OFPRA réceptionne un nombre croissant de signalements spontanés de ses partenaires (3.563 en 2023 contre 2.716 en 2020) s’agissant de la situation de demandeurs d’asile et de personnes protégées au regard de l’ordre public. Il a en outre construit un vaste réseau de partenaires institutionnels lui permettant d’obtenir des informations complémentaires, au premier rang desquels le Service national des enquêtes administratives de sécurité (SNEAS) mais également le Service du casier judiciaire national, le Parquet national antiterroriste, les établissements pénitentiaires ou encore certains services centraux des ministères de l’Intérieur et de la Justice.

L’organisation et les processus internes

Au regard du volume de plus en plus important des échanges d’informations en matière d’ordre public, un point unique a été institué, au sein de l’OFPRA, pour la réception et le traitement des informations en lien avec l’ordre public. La cellule de recueil et d’analyse des informations en lien avec l’ordre public, placée auprès du service juridique, a ainsi pour missions de réceptionner les signalements externes, de solliciter dès leur réception toutes les informations complémentaires nécessaires pour la mise en l’état des dossiers du point de vue de l’ordre public et de réaliser une première analyse juridique des conséquences à en tirer par les services d’instruction. 

L’établissement public s’est par ailleurs doté, à partir du début de l’année 2022, d’un nouveau service – le service du suivi du statut – spécialement dédié à l’instruction des procédures de fin de protection. Il convient, à cet égard, de rappeler, que l’OFPRA ne prenait pas de décisions de fin de protection sur le fondement de l’exclusion ou de l’ordre public avant 2015, dès lors que les dispositions relatives à la fin de protection ont été introduites par la loi du 29 juillet 2015.

Une section du droit de l’ordre public et des fins de protection a en outre été créée au sein du service juridique. Ses missions sont, d’une part de rendre dans un délai contraint un avis juridique sur les projets de décisions de rejet d’une demande d’asile ou de fin de protection fondées sur un motif d’ordre public et, d’autre part d’assurer la défense contentieuse devant la CNDA, des dossiers dans lesquels il existe des éléments susceptibles de caractériser une menace grave et actuelle pour l’ordre et la sécurité publics. Ces processus internes, qui mobilisent des moyens dédiés au conseil juridique et au contentieux en matière d’ordre public, veillent à garantir la sécurité juridique des décisions les plus sensibles rendues par l’établissement, à favoriser une exploitation objective des informations dont l’OFPRA dispose et à les communiquer à la CNDA afin qu’elle en tire toutes les conséquences en matière d’application des clauses d’exclusion et d’ordre public, dans un contexte où le cadre juridique applicable, nouveau et donc par essence évolutif s’est progressivement construit.

3. Les défis liés à un cadre juridique en construction

Grâce à la jurisprudence de la CNDA et du Conseil d’État des huit dernières années, les contours du cadre juridique de l’application des clauses d’ordre public, en particulier celles issues de la loi du 29 juillet 2015 renforcées par la loi Asile, Immigration et Intégration du 10 septembre 2018 puis par la loi Séparatisme du 24 août 2021, sont aujourd’hui mieux définis.

Certaines questions fondamentales ont ainsi pu être résolues, dont la plus significative est sans doute la hiérarchisation des motifs de rejet d’une demande d’asile et de fin de protection. Alors qu’il semblait possible de considérer que l’article L. 711-6 (devenu L. 511-7) du CESEDA relatif au refus ou à la fin de la protection conventionnelle pour un motif d’ordre public pouvait être opposé à des demandeurs d’asile ou des personnes protégées sans hiérarchisation avec les autres motifs de rejet ou de retrait d’une protection internationale, le Conseil d’État[5], éclairé par la Cour de justice de l’Union européenne[6] qui a posé la fameuse distinction entre qualité et statut de réfugié, a jugé que cette disposition ne peut trouver à s’appliquer qu’à la condition que la personne réponde aux conditions de reconnaissance de la qualité de réfugié, à savoir l’existence de craintes personnelles de persécution en cas de retour dans le pays d’origine et l’inopposabilité des clauses d’exclusion traditionnelles. En d’autres termes, le statut de réfugié ne peut être refusé ou retiré sur le fondement de la menace grave pour la sûreté de l’État ou la société française qu’après avoir écarté l’absence ou la disparition des craintes, le retrait pour fraude et l’application des clauses de cessation puis d’exclusion.

Le Conseil d’État[7] a par ailleurs jugé, en dépit de controverses doctrinales, que la notion de menace grave pour la société française, jusque-là inédite en droit interne, devait être rapprochée de celle de menace grave pour l’ordre et la sécurité publics ; que les termes de présence et d’activité sur le territoire qui distinguent la rédaction des clauses d’ordre public en matière de statut de réfugié et de protection subsidiaire devaient être interprétés comme une seule et même notion ; ou encore que l’actualité de la menace devait être appréciée à la date de la décision et pouvait donc être caractérisée à l’encontre d’un individu purgeant une peine d’emprisonnement pour de nombreuses années encore.

Les dernières jurisprudences sont tout aussi éclairantes s’agissant des critères et du curseur d’appréciation de la menace, par exemple quant au poids à accorder aux gages de réinsertion présentés dans le cadre de l’appréciation de l’actualité de la menace grave pour l’ordre public[8].

Quelques questions demeurent néanmoins en suspens, comme par exemple celle, fondamentale, de savoir si, au regard des décisions récentes de la Cour de justice de l’Union européenne du 6 juillet 2023[9], le 2° de l’article L. 511-7 du CESEDA est conforme au droit européen en ce que tout délit puni de 10 ans d’emprisonnement est assimilé à un « crime particulièrement grave » au sens des dispositions de la directive « Qualification »[10], ou encore celle, bien plus anecdotique, de savoir si, en cas de condamnation pénale prononcée à l’étranger pour un délit, le quantum de peine encourue de 10 ans mentionné au même article s’entend de celui prévu en droit pénal français ou dans le droit de l’État qui a rendu le jugement.

Nul doute que le chemin parcouru depuis 2015 par les autorités de l’asile dans la prise en compte des problématiques d’ordre public est immense et qu’elles poursuivront encore longtemps leur triple mission de protection au service de la « France terre d’asile » : protéger les victimes de persécutions et d’atteintes graves tout en protégeant la sécurité publique, pour protéger durablement le droit d’asile…

Notes de bas de page

  1. [1] V. article 1F de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 : « les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser : a) qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes ; b) qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme réfugiés; c) qu'elles se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies) et article L. 512-2 du CESEDA : « [l]a protection subsidiaire n'est pas accordée à une personne s'il existe des raisons sérieuses de penser :1° qu'elle a commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité ;2° qu'elle a commis un crime grave ;3° qu'elle s'est rendue coupable d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations unies ».
  2. [2] Le chiffre précis est inconnu car les décisions d’exclusion n’étaient pas comptabilisées, avant 2015, séparément des autres décisions de rejet d’une demande d’asile.
  3. [3] V. articles L. 513-6 et L. 513-7 du CESEDA.
  4. [4] V. article L. 121-10 du CESEDA : « conformément au second alinéa de l'article 40 du code de procédure pénale, le directeur général de l'office transmet au procureur de la République tout renseignement utile ayant conduit au rejet d'une demande d'asile ou d'apatridie motivé par l'une des clauses d'exclusion définies à la section F de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951, aux 1°, 2° ou 3° de l'article L. 512-2 du présent code ou au iii du 2 de l'article 1er de la convention de New York du 28 septembre 1954 ».
  5. [5] Conseil d’Etat, 19 juin 2020, n° 416032.
  6. [6] Cour de justice de l’Union européenne, Grande chambre, 14 mai 2019, , M. c. Ministerstvovnitra et X. et X. c. Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides, C-391/16, C-77/17 et C-78/17.
  7. [7] V. par exemple Conseil d’Etat, 19 juin 2020, n° 428140 et Conseil d’Etat, 10 juin 2021, n° 440383.
  8. [8] V. par exemple Conseil d’Etat, 23 octobre 2023, n°460596.
  9. [9] Cour de justice de l’Union européenne, 6 juillet 2023, XXX, C-8/22.
  10. [10] Directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection.

Notes de bas de pages

BPDA N°1
Réflexions à propos de l’adoption imminente de la réforme du droit d’asile européen
01/04/2024

L’annonce en décembre 2023, par le Parlement européen et le Conseil, de leur accord politique sur les derniers textes clés de la réforme du régime d’asile européen en négociation depuis 2016, ouvre la voie à sa finalisation.

Selon la communication officielle, deux ambitions seront bientôt concrétisées : améliorer l’efficacité de ce système d’asile et renforcer la solidarité entre États membres de l’Union par un allègement de la charge qui grève les États d’entrée. Une confrontation entre les dispositifs annoncés et ces objectifs conduit à contredire cet optimisme. En ce qui concerne le premier objectif, certains droits seront renforcés, mais le développement parallèle d’outils visant à fluidifier les systèmes d’asile nationaux se soldera par une fragilisation majeure du droit d’asile lui-même, ce qui ne permet pas de conclure à sa plus grande efficacité. Quant au second objectif, ni la liberté des États dans la nature de leurs contributions, ni les mécanismes correctifs ne devraient permettre de répondre à l’attente de solidarité.

« Une fois adoptées, les nouvelles règles renforceront l'efficacité du régime d'asile européen et renforceront la solidarité entre les États membres en permettant d'alléger la charge pesant sur les États membres dans lesquels la plupart des migrants arrivent »[1].

C’est en ces termes que le ministre espagnol des Affaires étrangères présentait, le 20 décembre 2023, les gains attendus de la réforme du régime d’asile européen commune (ci-après « RAEC ») désormais sur le point d’aboutir, après que Conseil et Parlement européen soient parvenus à un compromis politique sur cinq des instruments clés qui bloquaient la finalisation de ce projet. Ces motifs de satisfaction sont-ils justifiés ?

Quelques mots, au préalable, du cadre de cet accord, dernier épisode en date du processus de réforme du droit d’asile initié en 2016 par la Commission européenne suite à l’incapacité des européens à répondre collectivement à l’arrivée massive de demandeurs d’asile dans le contexte de la persistance de la guerre en Syrie. Le plan[2], qui envisage à l’époque, pour l’essentiel, de modifier les instruments existants, n’aboutit pas. La Commission européenne, née des élections de 2019, reprend le flambeau et présente à l’automne 2020 un nouveau « Pacte pour la migration et l’asile »[3] ayant, comme son nom l’indique, un objet beaucoup plus large que l’asile[4]. Préservant les propositions de 2016 sur lesquelles un accord entre le Conseil et le Parlement européen semblait accessible, le Pacte contient, sur le terrain de l’asile, de nouvelles propositions législatives[5] censées répondre aux blocages politiques entre les colégislateurs ou au sein du Conseil.

À ce jour[6], la réforme européenne de l’asile n’a toujours pas été définitivement adoptée. Pour autant, l’annonce, fin décembre 2023, du compromis politique évoqué dans nos premières lignes au sujet des propositions les plus discutées, laisse penser qu’elle le sera avant juin 2024, date du renouvellement du Parlement européen. Nulle prétention, donc, dans cette étude, à une analyse détaillée – qui serait prématurée – de cette réforme, un seul texte ayant été adopté jusqu’ici : le règlement transformant le Bureau européen d’appui en matière d’asile en une Agence de l’Union européenne pour l’asile (AUEA)[7]. Trois propositions sont stabilisées dans leur contenu depuis fin 2022 : celles portant sur le règlement « Qualification »[8], la directive « Accueil » révisée[9] et le nouveau règlement relatif à la réinstallation[10]. Quant au contenu des cinq propositions amendées, fondamentales au dispositif, et sur lesquelles un accord politique a été annoncé en décembre 2023, il a été diffusé par le Conseil au début du mois de février 2024[11]. Cela concerne les propositions de règlements relatifs à la gestion de l’asile et de la migration (ci-après « règlement Gestion asile et migration »), à l’établissement d’un filtrage aux frontières extérieures (ci-après « règlement Filtrage »), à l’institution d’une procédure commune en matière de protection internationale (ci-après « règlement Procédure »), à la modification du système Eurodac, enfin, aux situations de crise et de force majeure (ci-après « règlement Crise »).

La réforme paraît donc bien sur le point d’aboutir mais la prudence dans l’analyse doit rester de mise, d’une part parce que son adoption définitive si elle est probable, n’est pas certaine, d’autre part parce que le contenu des instruments n’est pas complètement stabilisé : à ce jour, aucune version française n’est diffusée et celles émanant du Conseil[12] et du Parlement européen[13] ne coïncident pas complètement, notamment sur leur numérotation, rendant les références textuelles hasardeuses.

Revenons à présent aux deux objectifs annoncés pour s’interroger sur la capacité de la réforme à les atteindre : renforcer l’efficacité du RAEC, d’une part (I), améliorer la solidarité entre États membres en allégeant la charge pesant sur ceux d’entre eux qui sont situés à l’entrée de l’Union, d’autre part (II). En réalité, ces deux objectifs sont partiellement imbriqués. L’amélioration du RAEC repose, en effet, en partie sur une meilleure solidarité entre États de l’Union. Évaluer séparément la pertinence des outils proposés pour répondre à ces deux objectifs n’est donc pas sans artifice, un certain nombre de points pouvant être abordés au soutien de l’appréciation des deux ambitions annoncées.

I. Une réforme pour une plus grande efficacité du régime d’asile européen ?

Que serait un régime européen d’asile plus efficace ? La réponse n’a rien d’une évidence. En outre, il n’est pas certain qu’elle soit la même selon que l’on regarde l’intérêt des personnes cherchant une protection ou celui des États. Attachons-nous à apprécier l’adéquation de la réforme projetée pour répondre, d’une part, aux besoins de protection (A), d’autre part, aux contraintes des États pour garantir le fonctionnement de leurs systèmes d’asile.

A. Une plus grande efficacité du point de vue des besoins de protection ?

Certaines dispositions visent, incontestablement, à renforcer les droits des personnes en demande d’asile ou ayant reçu une décision favorable (1). On peut également souligner ce qui serait de nature à favoriser l’égalité de traitement entre aspirants à la protection quel que soit l’État membre saisi (2).

1. Un renforcement ponctuel des droits

Au gré des différents instruments, certains droits devraient être renforcés, au stade de la demande d’asile ainsi qu’après l’obtention d’une décision de protection.

Dans la première catégorie, on peut évoquer, sans exhaustivité, l’ajout de critères supplémentaires permettant que soit désigné comme responsable de l’examen de la demande d’asile un autre État que celui de première entrée dans l’Union[14]. À cette fin, les critères familiaux seront élargis aux membres de la famille résidant dans un État membre sur la base d’un permis de séjour longue durée UE ou devenus citoyens après avoir bénéficié de la protection internationale ; l’obtention préalable d’un diplôme sera prise en compte ainsi qu’un état de dépendance du demandeur pour de multiples raisons vis-à-vis d’un enfant, frère, sœur ou parent. Cette ouverture est de nature à augmenter le nombre de personnes en mesure de choisir leur État d’accueil. Autres droits qui seront renforcés[15] : celui à une aide juridique gratuite dès le début de la procédure ou celui des mineurs non accompagnés - sauf s’ils présentent un risque pour la sécurité publique - à ne pas voir leur demande examinée dans le cadre d’une procédure frontalière. Sur le terrain de l’accueil des demandeurs[16], sont prévus un accès plus rapide à l’éducation des mineurs (deux mois) et une réduction à six mois du délai d’attente pour accéder au marché du travail en l’absence de décision de premier niveau (pour les procédures engagées sur le territoire des États seulement). Quant au nouveau règlement « Crise », il prévoit, dans des contextes d’arrivées massives, en parallèle de l’option d’une protection temporaire, la possibilité, sur recommandation de la Commission européenne, d’une procédure d’asile accélérée et prioritaire pour les personnes appartenant à des groupes identifiés prima facie.

Après l’obtention d’une décision favorable, le règlement « Qualification », à l’instar des autres nouveaux instruments, retient une conception plus large de la famille permettant, par exemple, d’étendre l’unité de famille aux relations formées par le demandeur avant son entrée dans l’Union mais pas nécessairement dans le pays d’origine ainsi qu’aux enfants majeurs non mariés du couple et toujours à sa charge. Il convient d’ajouter que d’autres dispositions sont protectrices, mais encadrent des mécanismes qui, par eux-mêmes, restreindront le droit à obtenir l’asile. Ainsi en est-il du motif de rejet d’une demande – qui deviendra obligatoire – dès lors qu’un asile interne est possible[17]. Des garde-fous sont alors prévus comme une présomption d’inapplicabilité lorsque l’État ou ses agents sont la source du risque de persécutions ou d’atteintes graves, ou l’obligation de vérifier que le demandeur serait en mesure de subvenir à ses besoins essentiels.

Si, enfin, la mise à l’honneur de la réinstallation à travers un instrument dédié, viendra améliorer la protection de ceux qui pourront en bénéficier, aucun droit à sa mise en œuvre n’est consacré[18].

Cette volonté de renforcer les droits s’étend-t-elle à la question de l’égalité entre les personnes en quête d’asile ?

2. Un régime d’asile commun garant de l’égalité de traitement entre demandeurs d’asile ?

Les écarts entre les États membres du point de vue des conditions de la prise en charge, de l’appréciation au fond des demandes et donc des chances d’obtenir une décision positive, ou encore des droits attachés à la protection accordée, révèlent une inégalité structurelle entre demandeurs et entre protégés selon les États sur le territoire desquels ils se trouvent[19]. Cette réalité condamne le système actuel à dysfonctionner et en particulier à alimenter les mouvements secondaires, les demandeurs d’asile étant naturellement tentés de rechercher le système qui leur est le plus favorable y compris à renouveler leur demande d’asile dans un second État en cas d’échec dans un premier. La réforme cherche à répondre à cette faiblesse congénitale avec néanmoins de sérieuses limites et des effets pervers.

Elle le fait d’abord en transformant en règlements « Qualification » et « Procédure » deux des trois directives matrices du RAEC[20]. À la différence de ces dernières, qui par nature ont permis la mise en place de systèmes d’asile nationaux parfois très éloignés, le choix de règlements comme nouveaux véhicules législatifs a vocation à imposer des règles identiques, directement applicables, en matière de procédure d’asile, d’appréciation du fond des demandes et de contenu des protections internationales. On peut mécaniquement espérer une plus grande convergence des droits d’asile nationaux, facteur d’équité dans le traitement des demandes. Dans le même sens, le règlement AUEA – déjà entré en vigueur – prévoit la prise en compte par les autorités nationales, lors de l’examen des demandes d’asile, de l’analyse commune de la situation dans les pays d’origine et des notes d’orientation de l’AUEA[21].

À ces deux facteurs, qui offrent des réponses pertinentes aux taux de protection parfois très différents pour une même nationalité selon les États, de sérieuses réserves doivent pourtant être opposées : pour le dernier, on s’interroge, notamment, sur la façon dont les juridictions nationales assureront la garantie de cette obligation[22] ; et pour le premier, c’est faire fi du très grand nombre de dispositions qui maintiennent une faculté d’agir pour les États de telle sorte que sur de nombreux points, les systèmes d’asile nationaux pourront, pour le meilleur[23] ou pour le pire[24], maintenir de larges marges de manœuvre. La convergence, garante d’un traitement équitable quel que soit le pays de l’UE, est donc singulièrement affaiblie mais présente, en outre, du fait de l’outil règlementaire, des effets pervers : en effet, sauf lorsque l’instrument a prévu le maintien du caractère facultatif de tel ou tel dispositif, l’uniformisation peut être réalisée vers le bas au regard du droit jusqu’alors applicable dans certains États. A priori donc, sauf disposition expresse, il ne devrait pas être possible de maintenir les règles plus favorables retenues par un État.

Par ailleurs, et pour finir sur la capacité de la réforme à garantir une plus grande égalité entre demandeurs d’asile, il est certain qu’appréhendée cette fois-ci au sein des différents États, un sérieux coup lui sera en revanche porté par la démultiplication des procédures applicables – nous le verrons bientôt – créant une fragmentation majeure des droits des personnes fondée notamment sur le taux moyen de protection des demandeurs dans l’UE au regard de leur nationalité.

B. Une plus grande efficacité du point de vue du fonctionnement des systèmes d’asile nationaux ?

Précisons d’emblée que la question de l’amélioration éventuelle de la solidarité entre États membres, qui constitue un des enjeux de l’efficacité des systèmes d’asile nationaux, sera analysée par la suite car intrinsèquement liée, également, au second objectif recherché.

Du point de vue des États, l’efficacité de leurs systèmes d’asile internes exige la fluidité de leur fonctionnement, c’est-à-dire l’adéquation entre les moyens mis en place et le nombre de demandeurs d’asile, étant entendu que leurs obligations englobent l’enregistrement et l’examen des demandes, l’accueil de ceux qui les formulent et l’intégration des personnes protégées. L’éloignement des déboutés ne relève en théorie pas de cette mission mais l’esprit du Pacte repose précisément sur l’imbrication entre lutte contre la migration illégale et asile[25] de telle sorte qu’un système d’asile efficace, du point de vue des États, intègre également cette ultime étape pour ceux dont la demande n’aboutit pas. Si cette dernière approche est contestable à certains égards, elle peut s’entendre, sous l’angle des systèmes d’asile, dès lors que c’est la demande de protection internationale qui a permis l’entrée sur le territoire[26]. La réforme regorge de dispositions destinées à répondre à cet objectif (1), lequel pourrait toutefois être contrarié par leur mise en œuvre (2).

1. Des moyens destinés à fluidifier les systèmes d’asile nationaux

À tous les stades évoqués, les leviers prolifèrent pour prévenir l’asphyxie des systèmes d’asile nationaux. Leur fluidité pourrait découler d’abord d’un allègement global de la charge des obligations d’accueil en conséquence d’une combinaison entre la nette diminution du nombre de personnes autorisées à entrer sur le territoire des États et l’accélération des délais de traitement. C’est l’effet attendu de la nouvelle procédure d’asile à la frontière[27] qui deviendra obligatoire notamment pour les demandeurs ayant une nationalité protégée en moyenne dans l’UE à 20% ou moins[28]. Les intéressés verront leur demande traitée en douze semaines maximum – contre six mois en principe pour un examen en procédure normale sur le territoire - et seront, en cas de rejet, éloignés également en moins de douze semaines.

En cas de situation exceptionnelle, caractérisée par des arrivées massives de nature à générer de graves dysfonctionnements, voire à paralyser le système d’asile d’un ou plusieurs États membres, le règlement « crise » organise la possibilité de déroger à l’ensemble des garanties et délais pour réduire mécaniquement et drastiquement les obligations des États. La procédure d’asile à la frontière pourrait ainsi s’appliquer pour les nationalités protégées en moyenne dans l’Union jusqu’à 50%. Ces dérogations atteindraient un cran supplémentaire, avec en particulier une procédure d’asile exclusivement à la frontière, dans des situations identifiées comme relevant d’une instrumentalisation des migrants par des États tiers ou des acteurs non étatiques dans le but de déstabiliser l’Union ou l’un de ses États sur le modèle de pratiques hostiles déjà observées[29].

L’allègement des systèmes d’asile nationaux sera global. En ce qui concerne les dispositifs sur le territoire, leur désengorgement sera massif, nombre de demandeurs d’asile n’en relevant plus. Il en résultera une meilleure rotation de l’offre d’hébergement ainsi qu’un gain en termes de ressources humaines tant pour examiner les demandes que pour accompagner ceux qui les soumettent. Au niveau des dispositifs frontaliers, les délais, beaucoup plus courts, devraient réduire le temps de prise en charge et donc les moyens affectés.

Ce même gain de temps, et donc de moyens, est attendu sur le terrain de l’éloignement des personnes inéligibles qui sera, sur le plan procédural, intrinsèquement lié au refus de protection internationale[30].

L’ensemble est consolidé, en amont, par la nouvelle procédure obligatoire de filtrage[31] opérée en principe aux frontières extérieures de l’Union[32] et destinée, en sept jours maximum, à identifier, effectuer les contrôles de sécurité, évaluer la santé et les vulnérabilités des personnes dépourvues d’un droit d’entrer dans l’Union, les diriger vers la procédure d’asile qui leur est applicable mais également organiser au plus vite leur renvoi dès lors qu’elles ne seraient pas demandeuses d’asile.

Le renforcement des motifs d’irrecevabilité, qui permettent de traiter plus rapidement les demandes parce qu’écartées sans examen au fond, d’une part, et la réduction du nombre de personnes finalement éligibles à la protection, d’autre part, viendraient de la même façon baisser la charge des systèmes d’asile nationaux à tous les stades de leur action. En ce sens, bien que la prise en compte d’un pays de premier asile ou d’un pays tiers sûr restera finalement facultative pour les États, la définition de ces concepts a été assouplie par rapport au droit actuellement applicable n’exigeant plus, en particulier, que l’État tiers ainsi qualifié ait ratifié la Convention de Genève de 1951[33]. Dans le même esprit, l’obligation – déjà évoquée – de ne pas faire droit aux besoins de protection lorsqu’un asile interne est possible devrait venir diminuer le nombre de personnes éligibles.

Les ressorts ne manquent donc pas pour alléger les États, mais la mise en œuvre de certains d’entre eux doit être discutée, au point que qualifier ce nouveau régime d’efficace laisse sérieusement dubitatif.

2. Une efficacité incertaine tributaire d’une mise en œuvre à hauts risques

On doit ici pointer la montée en puissance inévitable de la privation de liberté pour assurer la mise en œuvre de la procédure d’asile à la frontière – ainsi que du pré-filtrage – et interroger ses effets à l’aune de l’efficacité attendue des systèmes d’asile nationaux. Si la rétention administrative restera facultative pour les États dans ce cadre[34], elle semble incontournable pour garantir un des objectifs communs à ces deux outils : celui d’empêcher absolument l’accès au territoire de l’Union à certains ressortissants de pays tiers : aux non-demandeurs d’asile dépourvus du droit d’entrer dans un État membre, pour l’un, et à une partie des personnes auxquelles la protection internationale dans l’Union ne sera pas reconnue, pour l’autre. La privation de liberté dans ce contexte se présente comme la conséquence de la difficulté réelle pour les États à obtenir le départ des personnes non autorisées à rester dans l’Union. Si ce choix semble donc cohérent au regard de l’objectif poursuivi, il suscite interrogations et inquiétudes. En effet, cette privation de liberté pose de très sérieux défis en termes de protection des droits fondamentaux qui ne peuvent être ignorés dans la définition d’un système d’asile efficace.

Pourtant, la procédure de filtrage supposerait de mettre en place des centres de contrôle aux frontières extérieures – fictivement hors UE – pour un nombre considérable de personnes. Les chiffres peuvent fortement varier mais l’agence Frontex a comptabilisé 380 000 entrées irrégulières dans l’Union en 2023[35]. Les États structurellement concernés par les arrivées irrégulières des exilés[36] auront-ils la capacité et la volonté d’organiser de tels rouages dans des conditions conformes aux droits fondamentaux des personnes et en particulier au principe de non-refoulement et son corolaire, celui de déposer une demande d’asile ? Les cas de violations par des États en première ligne de leurs obligations actuelles[37] – en application du Code Schengen – n’invitent pas à l’optimisme.

La procédure d’asile à la frontière inquiète plus encore parce que les délais de rétention seront plus longs – jusqu’à vingt-quatre semaines - et l’ensemble du public sera demandeur d’asile. L’aspect éloignement suscite des interrogations spécifiques en raison de la difficulté structurelle des États de l’Union à obtenir des pays tiers la réadmission de leurs nationaux ou de personnes qui ne le sont pas mais qui ont transité par leur territoire. Le Pacte travaille en parallèle sur ce levier par le développement des accords de réadmission[38] mais la fragilité de ces instruments est désormais connue[39] de telle sorte qu’il est peu vraisemblable que la mécanique de retour imaginée, tant dans le cadre du pré-filtrage que dans celui de la procédure d’asile frontalière, fonctionne réellement avec comme conséquence l’allongement maximum des délais de rétention et l’embolie rapide de ces dispositifs parallèles. Ajoutons qu’en cas de crise ou de force majeure, le temps de la rétention administrative sera encore allongé : jusqu’à quatre semaines en pré-filtrage et quarante et une en procédure d’asile à la frontière. Dans ce contexte, l’expérience semblable des « hotspots » italiens et grecs fonctionnant en centres fermés et dont les défaillances en termes de protection des droits ont largement été documentées et parfois sanctionnées[40] justifie les plus grandes réserves. Certes, ces modèles doivent pouvoir être améliorés et le règlement « Procédure » prévoit l’arrêt d’une procédure frontalière lorsque les garanties en matière d’accueil ne sont plus remplies.

Par ailleurs, selon des mécanismes byzantins, chaque État se verra fixer par la Commission européenne un nombre annuel maximum de demandes d’asile à examiner à la frontière - le total pour l’Union devant s’élever pour la première année d’application à 30 000 places. Lorsqu’un État aura atteint sa capacité maximale, cette procédure deviendra facultative pour certains profils afin d’éviter l’engorgement. Cette soupape pourrait sur le papier prévenir les risques d’asphyxie des lieux de traitement de l’asile à la frontière et concomitamment de violations des droits élémentaires. Les points d’inquiétude, nombreux, persistent néanmoins.

D’abord parce que les défis logistiques sont immenses[41]. Ensuite parce que les garanties sur les droits fondamentaux dans ce cadre spécifique restent très incertaines. Sans exhaustivité, qu’en sera-t-il de l’effectivité du droit à l’asile lui-même car une célérité excessive et l’enfermement ne sont pas des facteurs favorables à un environnement serein nécessaire à l’exposé des craintes de persécution ? Qu’en sera-t-il du droit à un recours effectif sur une décision de rejet avec une justice qui pourrait s’exercer au sein des lieux d’enfermement ou en visioconférence, cadre et procédé heurtant tant l’indépendance du juge que la possibilité pour le demandeur de faire valoir ses craintes ? C’est peu dire dans ce contexte des attentes vis-à-vis des mécanismes de contrôle indépendants des droits fondamentaux tant dans le cadre de la procédure de filtrage que dans celle de l’asile à la frontière[42]. Si le règlement « Filtrage » dessine un cadre exigeant sur ce point, c’est aux États qu’il confie la construction et la charge de cette mission ce qui augure des niveaux de surveillance très variables.

La réforme projetée pourrait in fine consacrer une voie d’asile parallèle largement dépouillée en pratique des obligations des États en la matière qui aboutirait alors à un système d’asile non pas plus efficace mais fissuré et ne répondant pas à son office premier : garantir effectivement la protection internationale des ressortissants de pays tiers arrivant sur le territoire de l’Union. Qu’en est-il de l’ambition, affichée, d’améliorer la solidarité entre États membres ?

II. Une réforme pour plus de solidarité par un allègement de la charge des pays d’entrée ?

La réforme permettra, selon le ministre espagnol des Affaires étrangères, de renforcer la solidarité entre les États membres en allégeant la charge pesant sur ceux d’entre eux qui sont les plus exposés à l’arrivée des potentiels demandeurs d’asile. Si la réalisation de cet objectif est indispensable pour répondre aux faiblesses structurelles du système d’asile de l’Union, les nouveautés, toutes portées par le règlement « Gestion asile et migration », ne paraissent pas de nature à améliorer les dysfonctionnements actuels directement liés au système Dublin et à son application[43]. On rappellera rapidement que certains États de l’Union sont structurellement des pays de « première entrée » – principalement la Grèce, l’Italie, l’Espagne et Malte dans une moindre mesure – que le système Dublin conduit mécaniquement à rendre largement responsables de l’accueil et du traitement d’une très grande partie des demandes d’asile et qui, pour échapper à ce déséquilibre, contournent les règles applicables et favorisent les mouvements secondaires vers d’autres États qui sont structurellement des pays de destination, principalement l’Allemagne, la France, la Suède ou le Royaume-Uni[44].

Redonner de la cohérence au système commun de l’asile suppose de retravailler la solidarité entre États membres, autrement dit, de répartir équitablement la charge de l’asile entre eux.

Pourtant, contre toute attente, la réforme renforce à nouveau la désignation des pays d’entrée comme responsables des demandes d’asile (A) et propose des mécanismes de correction qui ne sont guère convaincants (B).

A. Le paradoxe d’une réforme qui renforce la responsabilité des pays d’entrée

La consolidation de la responsabilité des États d’entrée devrait découler des critères de détermination de l’État responsable (1) mais également des modifications des règles relatives à la durée de cette responsabilité (2).

1. Des critères de responsabilité confirmant la compétence générale des pays d’entrée

Comme cela a déjà été souligné, de nouveaux critères sont ajoutés pour favoriser la désignation d’États membres avec lesquels les aspirants à l’asile ont certains liens, mais la compétence par défaut reste celle du pays de première entrée. En parallèle, le filtrage de « pré-entrée » ne fera en réalité que consolider cette compétence, puisque sa fonction réside également dans l’identification et l’enregistrement dans Eurodac des informations sur les futurs demandeurs d’asile, et notamment les pays par lesquels ils sont arrivés irrégulièrement dans l’Union. Le nouveau dispositif s’attaque ainsi à la propension de certains États aux frontières extérieures[45] à fermer les yeux sur les obligations de contrôle qui sont déjà les leurs en vertu du Code frontières Schengen, et ce afin de contourner leur responsabilité en application du Règlement Dublin. La modification de la durée de la compétence des États va paradoxalement dans le même sens.

2. Des délais de responsabilité peu favorables aux pays d’entrée

Pour lutter contre les mouvements secondaires, tous les délais de responsabilité propres au système Dublin, lequel est de fait repris dans le règlement « Gestion asile et migration », sont allongés. Si ces ajustements répondent à une certaine logique dans ce dernier cadre, ils semblent en revanche plutôt favoriser, c’est-à-dire décharger, les États de destination et non ceux d’arrivée.

C’est le cas en ce qui concerne la responsabilité de l’État de première entrée, dont la durée passera de douze à vingt mois[46]. Même observation pour l’allongement à trois ans – contre dix-huit mois aujourd’hui – du délai avant qu’un État, qui a échoué à assurer le transfert d’un demandeur d’asile vers un autre État en raison de la fuite de ce dernier, ne devienne responsable à son tour. Or, globalement, les États qui recourent à la demande de prise ou de reprise en charge sont ceux de destination, à commencer par l’Allemagne et la France qui, en 2022, réalisent 60% des demandes sortantes et sollicitent, en priorité, des pays d’entrée, l’Italie, très majoritairement, suivie par l’Autriche, la Bulgarie et l’Espagne[47]. Si la Grèce n’apparaît pas dans cette dernière liste, c’est qu’en dépit des recommandations de la Commission européenne, aucun transfert n’y est réalisé depuis les fameuses décisions des cours européennes de 2011[48].

Dans cette même logique, la procédure de reprise est simplifiée - pour les personnes ayant déjà demandé l’asile dans un autre État membre, avec une simple notification. C’est une réponse aux taux dramatiquement bas des transferts effectifs - 8% en 2022 - alors que 70% des demandes concernent des reprises[49]. Certes, des États de destination sont aussi sollicités dans ce cadre (en particulier lorsque l’asile n’y a pas été accordé), mais cette facilitation devrait, combinée avec les autres dispositifs déjà évoqués, conduire à renvoyer plus de demandeurs d’asile vers les États d’entrée.

En réalité, la lutte contre les mouvements secondaires cherche à fixer les demandeurs d’asile dans le premier État responsable qui est, par défaut, celui d’arrivée. C’est donc un objectif qui ne peut conduire à soulager les États les plus sollicités, ceux qui sont précisément en première ligne des arrivées irrégulières.

Les mécanismes de solidarité envisagés ne sont pas de nature à corriger ce tableau.

B. Des mécanismes de solidarité non convaincants

La réforme fait le choix non pas de soulager les États les plus sollicités par les arrivées au moyen d’une nouvelle approche des règles du système Dublin, mais de recourir à des outils correctifs en aval. Ces outils, fondés sur une obligation de participation libre dans ses modalités (1), servent des mécanismes complexes et ajustables selon les besoins des États à soulager (2). L’ensemble laisse plus que dubitatif sur son caractère opérationnel et sa capacité à donner enfin corps à l’objectif impératif de solidarité entre les États.

1. Une solidarité à la carte pour les États contributeurs

Bien qu’il soit a priori l’outil le plus efficace pour soulager les États d’entrée, les colégislateurs ont renoncé à un mécanisme fondé sur la relocalisation automatique des demandeurs d’asile obligatoire et équitablement répartie entre l’ensemble des États. Cet échec fait écho à celui des programmes de ce type mis en place entre 2015 et 2017 et au veto lors des négociations des pays dits de « Visegrad » farouchement hostiles au mécanisme. Le compromis obtenu aboutit à mettre en place une solidarité obligatoire au profit d’États bénéficiaires mais qui garantisse le choix des moyens pour les États contributeurs. Ainsi, la contribution des États peut-elle prendre trois formes : la relocalisation de demandeurs ou de personnes protégées sur leur territoire, des contributions financières ou des mesures de solidarité alternatives axées sur le soutien opérationnel, des services, installations ou équipements techniques. Ces deux dernières modalités serviront le domaine « de la migration, de l’accueil, de l’asile, du retour et de la réintégration et de la gestion des frontières »[50]. Les contributions financières, en particulier, seront affectées aux actions menées dans les États membres mais également, plus surprenant, au soutien d’ « actions dans ou en relations avec des pays tiers »[51] destinées à contenir les flux migratoires vers l’Union ou améliorer les systèmes de migration et d’asile de ces pays tiers. La participation des États contributeurs est, dans ce second volet, complètement mise au service du projet global de maîtrise de toutes les migrations vers l’Union. Si la prise en compte holistique de certaines problématiques est nécessaire à leur bonne gouvernance, il n’est pas certain que cette flexibilité dans la solidarité et son affectation permette de faire fonctionner à court et moyen termes les mécanismes correctifs destinés à soulager les États surchargés.

2. Des mécanismes de solidarité complexes

Deux types de mécanismes complémentaires l’un de l’autre ont été imaginés.

Le principal repose sur une « réserve de solidarité » annuelle, permanente et disponible. Celle-ci sera constituée d’un certain nombre de relocalisations à réaliser depuis les États surchargés vers les États moins sollicités (au moins 30 000), d’un montant de contributions financières (au moins 600 millions d’euros) et de mesures alternatives de solidarité (déjà évoquées). Ces composantes seront ajustées annuellement au regard de la projection des besoins. La part indicative de chaque État membre sera calculée en fonction de la taille de sa population et de son PIB.

Un second mécanisme – dit « compensation de responsabilité » – complètera le premier si l’offre de relocalisations des États est insuffisante. Il s’agira alors, pour des États contributeurs, de renoncer à transférer et de prendre en charge des demandeurs d’asile relevant en principe de la responsabilité d’États bénéficiaires. Ce second outil s’appliquera automatiquement si les engagements globaux en matière de relocalisation sont inférieurs aux besoins établis par le Conseil pour l’année concernée ou s’ils sont inférieurs à 60% du total des places prévues fixé provisoirement à 30 000[52].

En cas de crise ou de force majeure, les mêmes mécanismes de solidarité seront mobilisés mais sur une base juridique propre qui prendra la forme d’une décision d’exécution du Conseil.

La mise en œuvre de ces outils nous paraît extrêmement complexe, incertaine et leur capacité à répondre aux défis de la solidarité assurément inadaptée. Les dispositifs, particulièrement lourds, interrogent d’emblée sur leur caractère opératoire et leur adaptabilité. Une gouvernance dédiée sera mise en place qui travaillera à partir d’une décision d’exécution du Conseil sur la base des projections de la Commission et un « coordinateur de solidarité » sera en charge de la dimension opérationnelle. Ce dispositif sera-t-il suffisamment réactif ? Des mécanismes d’ajustement au fil de l’eau sont prévus pour répondre aux besoins de solidarité qui n’auraient pas été anticipés dans le cadre de la planification annuelle mais leur lourdeur processuelle et l’absence de garanties en termes de moyens disponibles sont-ils compatibles avec la volatilité des arrivées aux frontières extérieures au gré de la géopolitique internationale ? Le caractère opératoire des nouveaux mécanismes interroge également au regard de la succession possible des situations de transferts entre États pour une même personne : d’un État bénéficiaire vers un État contributeur - dans le cadre d’une relocalisation, puis de ce dernier État vers un autre finalement responsable. Outre qu’il fait peu cas de l’humain, un tel fonctionnement paraît difficilement applicable si l’on se réfère à la faiblesse des taux de transferts effectifs dans l’actuel système. Quant au mécanisme de compensation de responsabilité, la définition de son champ d’application[53] conduit à comprendre qu’il aura pour effet de neutraliser les transferts, essentiellement à l’issue de mouvements secondaires, vers des États normalement responsables mais surchargés. Tel que configuré, il ne propose donc aucune solution aux États de première entrée, pour les personnes toujours sous leur responsabilité, alors même que les offres de relocalisation seraient par ailleurs insuffisantes pour faire face aux besoins identifiés. Il y a là une sorte d’incohérence à mettre en place un dispositif alternatif qui ne pourra jouer son rôle compensatoire que s’il existe des mouvements secondaires alors que ceux-ci devraient être résorbés par d’autres outils. En l’état, il n’est pas à exclure que la réforme produise un accroissement de la responsabilité des États d’arrivée, sans leur offrir de mécanismes garantis de solidarité dès l’entrée sur leur territoire. Cette non-réponse sera plus manifeste encore en cas de crises.

Les doutes les plus sérieux sur la capacité de la réforme du régime européen d’asile à répondre aux objectifs affichés viennent ainsi conclurent ces premières réflexions à son sujet. Ces doutes sont décuplés dans le contexte de crise ou d’instrumentalisation : la réforme organise alors la préservation des systèmes d’asile nationaux par de multiples dérogations aux règles applicables, affaiblissant le cadre de protection, et en misant sur des mécanismes de solidarité qui ne paraissent dans ce contexte pas plus efficaces qu’en période normale.

Si le choix de privilégier le point de vue des États, en termes d’efficacité des systèmes d’asile, a pu s’imposer sur celui des personnes cherchant protection dans cet environnement réceptif aux discours envahissants sur les menaces pesant sur l’Europe, son modèle et ses valeurs, on peut être surpris des non-réponses apportées à l’attente de solidarité. Pour quelles raisons les États d’entrée ont-ils accepté un tel accord ? L’explication la plus tangible réside dans l’objectif premier, au cœur de la réforme, de réduire en amont les migrations vers l’Europe par la promotion de l’« approche globale » fondée tant sur sa dimension interne qu’externe. Cette dernière met à l’honneur la voie des partenariats avec des pays tiers aux fins de prévenir la migration, y compris celle visant une protection internationale, et la reprise par ces États des ressortissants de pays tiers non autorisés à rester dans l’Union. Cette démarche n’est pas nouvelle[54], mais c’est la première fois qu’elle est ainsi inscrite au cœur des instruments législatifs qui régissent le droit d’asile de l’Union.

Aux vues des expériences les plus récentes, celle du partenariat avec la Tunisie à l’été 2023 qui semble n’avoir eu aucune influence positive sur les arrivées en provenance de ce pays et conduit à des violences à l’endroit des personnes migrantes[55], ou de l’accord entre l’Italie et l’Albanie signé en novembre 2023 et destiné à permettre à la première d’accueillir et de traiter sur le territoire du second les demandes d’asile des personnes secourues en mer, accord qui soulève des doutes sur sa conformité avec le droit européen de l’asile et des droits de l’homme[56], la méthode n’est pas convaincante. Cette pratique pourrait même se retourner contre les européens qui créent, ce faisant, les conditions de leur fragilité en confiant à des États tiers les clés de leur éventuelle instrumentalisation[57]. Elle incarne ainsi, assurément, un véritable renoncement des européens à une politique d’asile protectrice.

Notes de bas de page

  1. [1] Conseil de l’UE, « Le Conseil et le Parlement européen parviennent à une avancée dans la réforme du système d’asile et de migration de l’Union européenne », Communiqué de presse, 20 décembre 2023
  2. [2] Pour la liste des propositions formulées par la Commission en 2016, v. C. Brice-Delajoux, « Les évolutions du régime d’asile européen commun – Des évolutions en forme de paradoxe : entre protection renforcée et mise à distance progressive des prétendants à l’asile », Annuaire français des relations internationales, 2021, p.177.
  3. [3] Communication de la Commission sur un nouveau Pacte sur la migration et l’asile, COM (2020) 609 final du 23 septembre 2020
  4. [4] Le Pacte ambitionne en réalité de s’attaquer à la migration illégale, l’asile – désormais largement perçu comme un moyen d’entrer abusivement dans l’UE – étant, dans ce projet, imbriqué dans une approche globale de la question migratoire. Le Pacte, qui promeut une telle approche, vise ainsi tant les aspects « asile » que la protection des frontières, le séjour ou l’éloignement avec notamment la volonté de modifier la directive « retour » de 2018.
  5. [5] V. Commission européenne, « Paquet "Migration et asile" : documents du nouveau Pacte sur la migration et l’asile adoptés le 23 septembre 2020 »
  6. [6] Cet article a fini d’être rédigé dans le courant du mois de février 2024.
  7. [7] Règlement (UE) 2021/2303 du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 2021 relatif à l’Agence de l’Union européenne pour l’asile et abrogeant le règlement (UE) n°439/2010.
  8. [8] Dernière version envoyée par le Conseil à la Commission des Libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE) du Parlement européen (uniquement en anglais) le 9 février 2024 : Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection, et modifiant la directive 2003/109/CE du Conseil du 25 novembre 2003 relative au statut des ressortissants des pays tiers résidents de longue durée 
  9. [9] Dernière version envoyée par le Conseil à la Commission LIBE du Parlement européen (uniquement en anglais) le 9 février 2024 : Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil établissant des normes pour l’accueil des demandeurs de protection internationale (refonte)
  10. [10] Dernière version envoyée par le Conseil à la Commission LIBE du Parlement européen (uniquement en anglais) le 9 février 2024 (uniquement en anglais) : Proposition de règlement (UE) du Parlement européen et du Conseil établissant un cadre d’admission à la réinstallation dans l’Union et modifiant le règlement (UE) n°516/2014 du Parlement européen et du Conseil
  11. [11] V. les versions (en anglais seulement) de toutes les propositions amendées de la réforme de l’asile envoyées pour adoption à la Commission LIBE du Parlement européen par le Conseil jointes au communiqué de presse du 8 février 2024 : « Réforme relative à l’asile et à la migration : les représentants des États membre de l’UE donnent leur feu vert à l’accord avec le Parlement européen »
  12. [12] Version du Conseil adoptée à ce jour par le COREPER, eod. loc.
  13. [13] V. les versions adoptées par la Commission LIBE du Parlement européen accessibles jointes au communiqué de presse du 14 février 2024 : « Asylum and migration : Civil Liberties committee endorses a new legal framework »
  14. [14] Règlement « Gestion asile et migration », qui modifiera le règlement Dublin III (règlement (UE) 604/2013).
  15. [15] Règlement « Procédure ».
  16. [16] Directive « Accueil » modifiée.
  17. [17] Règlement « Qualification ».
  18. [18] V. à ce sujet notre article, C. Brice-Delajoux, « Le modèle de développement de la réinstallation dans l’Union européenne : un progrès face aux besoins de protection internationale ? », in N. Clinchamps, J.-J. Menuret (dirs.), Asile et migrations – Quelles solidarités ? Quelles responsabilités ?, Paris, Mare & Martin, 2023, p.136.
  19. [19] V. notre article, C. Brice-Delajoux, « Repenser leur droit d’asile commun : un impératif pour les européens », Revue du droit de l’Union européenne, 2018, p.110.
  20. [20] Il s’agit des directives « Accueil », « Procédure » et « Qualification ».
  21. [21] Règlement (UE) 2021/2303, op. cit., article 11(3).
  22. [22] Au-delà de la question de l’équité entre demandeurs d’asile, se pose également celle de l’indépendance de l’Agence quant à ses analyses de la situation des pays d’origine qui n’est aucunement assurée.
  23. [23] On pense par exemple au maintien du caractère facultatif de l’usage par les États de l’irrecevabilité des demandes fondées sur le concept de pays tiers sûr (règlement « Procédure »).
  24. [24] On pense par exemple à la faculté pour les États d’imposer une procédure d’asile à la frontière très large pour tout demandeur arrivé illégalement et non encore autorisé à entrer sur le territoire de l’Union. En parallèle de cette faculté, cette procédure est une obligation pour certains profils en particulier.
  25. [25] V. sur ce point C. Bailleix, « La porosité entre droit européen de l’immigration et de l’asile », in C. Brice-Delajoux, Droit des étrangers/Droit de l’asile : entre attraction et répulsion, Paris, Pedone, 2021, p.69.
  26. [26] L’entrée sur le territoire ou le statut de demandeur d’asile puisque la réforme ouvre la porte à une catégorie importante de demandeurs d’asile non autorisés à entrer sur le territoire des États membres.
  27. [27] Procédure prévue par le règlement « Procédure » qui, contrairement à celle actuellement applicable en France, est une véritable procédure d’examen à la frontière des demandes d’asile.
  28. [28] Cette procédure d’asile frontalière obligatoire concernera aussi d’autres profils : les personnes représentant un danger pour la sécurité nationale ou l’ordre public et celles ayant fourni de fausses informations lors du contrôle de filtrage. N’en seront préservés que les mineurs non accompagnés, sauf s’ils constituent un risque pour la sécurité publique.
  29. [29] On pense notamment aux manœuvres de la Biélorussie, en 2021, pour organiser le passage de migrants venus du Proche-Orient aux frontières polonaise, lituanienne et lettone ou plus récemment, en 2023, aux actions de la Russie de même nature, à sa frontières avec la Finlande, en représailles à son adhésion à l’OTAN.
  30. [30] Le règlement « Procédure » prévoit que la décision de retour – qui doit respecter la directive « retour » et le principe de non-refoulement – est incorporée dans le rejet de la demande d’asile ou fait l’objet d’un acte distinct, notifié en même temps ou sans retard.
  31. [31] Mise en place par le règlement « Filtrage ».
  32. [32] Ce contrôle devra être effectué aux frontières extérieures ou à proximité de celles-ci, dans des zones de transit, voire en d’autres endroits sur le territoire des États membres en particulier lorsqu’il s’agit de le mettre en œuvre à l’égard de ressortissants de pays tiers appréhendés dans un État membre en situation irrégulière et qui n’auraient pas été soumis à cette formalité lors de leur arrivée irrégulière dans l’Union.
  33. [33] Règlement « Procédure ».
  34. [34] Directive « Accueil » modifiée.
  35. [35] Chiffres provisoires de l’Agence Frontex : communiqué de presse du 26 janvier 2024.
  36. [36] Selon l’Agence Frontex, en 2023, 41% des passages irréguliers s’effectuent par la Méditerranée centrale ce qui conduit à une arrivée dans l’Union en Italie ou à Malte, 26% passent par les Balkans occidentaux avec une arrivée essentiellement par la Grèce et 16% empruntent la route de la Méditerranée orientale avec une arrivée en Espagne.
  37. [37] Les ONG se font régulièrement l’écho de la violation du principe de non-refoulement et de pushbacks par certains États membres situés aux frontières extérieures : v. notamment le plaidoyer de Forum Réfugiés relatif à Hongrie ou le rapport d’Amnesty International pour la Grèce (« Greece : violence, lies, and pushbacks – Refugees and migrants still denied safety and asylum at Europe‘s borders », 23 juin 2021).
  38. [38] Ce volet est prévu dans les « Composantes externes de l’approche globale » du règlement « Gestion asile et migration ».
  39. [39] Il suffit de se souvenir de la façon dont la Turquie, en dépit du volet « réadmission et contrôle de ses frontières » dans la déclaration « UE/Turquie » de mars 2016, décide de faire pression sur la Grèce en février/mars 2020 en organisant la venue de migrants à leurs frontières terrestres communes dans un contexte de tensions politiques avec les européens.
  40. [40] Pour un constat récent de violation de l’article 3 de la CEDH dans un « hotspot » sur l’ile de Lampedusa du fait des conditions de rétention : CEDH, 30 mars 2023, J.A. et autres c/ Italie, req. n°21329/18 ; pour le travail de documentation sur le cadre désastreux de ces centres, v. notamment le rapport de la Cour de Comptes européenne, « Réponse de l’Union européenne à la crise des réfugiés : l’approche dite « des points d’accès », 2017, ainsi que les rapports d’institutions et d’ONG cités par l’arrêt de la Cour aux §17 et s. et §38 et s.
  41. [41] V. la note de plaidoyer de Forum réfugiés, « Pacte sur la migration et l’asile dans l’Union européenne – Le respect des droits fondamentaux doit être au cœur des négociations interinstitutionnelles – Octobre 2023 » 
  42. [42] Règlements « Procédure » et « Filtrage ».
  43. [43] V. notamment notre article, C. Brice-Delajoux, « Repenser leur droit d’asile commun : un impératif pour les européens », op. cit., p.109.
  44. [44] V. C. Balleix, Enjeux et défis de la politique migratoire européenne, Paris, Dalloz, Coll. Les sens du droit, 2022, p.16.
  45. [45] La Grèce et l’Italie en particulier.
  46. [46] Sauf lorsque la première entrée fait suite à une opération de recherche et de sauvetage en mer.
  47. [47] V. ECRE, « The implementation of the Dublin III Regulation in 2022 », novembre 2023
  48. [48] CEDH, 21 janvier 2011, M.S.S. c/ Belgique et Grèce, req. n°30696/09 et CJUE, 21 décembre 2011, N. S. c/ Secretary of State for the home Department et M. E. e.a. c/ Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equalité and Law Reform, C-411/10 et C-493/10.
  49. [49] V. ECRE, « The implementation of the Dublin III Regulation in 2022 », novembre 2023, op. cit.
  50. [50] Règlement « Gestion asile et migration », Partie IV : « Solidarité ».
  51. [51] Ibid.
  52. [52] Cette compétence du ou des États contributeurs s’exercera à hauteur du nombre de places de relocalisation non-offertes par rapport aux besoins identifiés.
  53. [53] Il ne pourra s’appliquer que si l’État bénéficiaire a été désigné responsable sur la base de certains critères et celui, notamment, par défaut, fondé sur le premier pays d’entrée.
  54. [54] V. L. Imbert, « La coopération sans le(s) droit(s) : le foisonnement des accords "injusticiables" avec les pays tiers », Plein droit, 2017/3 n°114, pp.45-48.
  55. [55] Mémorandum d’accord entre l’UE et la Tunisie fondé sur une aide de 105 millions d’euros en échange de quoi cet État s’engage à lutter contre les départs de ses côtes vers l’Europe. Sur les premiers effets très négatifs de cet accord, v. M. Gwyn Jones, « Les membres du Parlement européen ont dénoncé mardi l’accord migratoire controversé entre l’UE et la Tunisie », Euronews, 12 septembre 2023.
  56. [56] V. A. Taylor, « Le Conseil de l’Europe critique l’accord migratoire Italie-Albanie », Euractiv, 14 décembre 2023.
  57. [57] V. J. Bouillard, « Chantage migratoire : l’Europe à la fois victime et fautive », L’Opinion, 21 décembre 2023.

 

Notes de bas de pages

BPDA N°1
Statut et qualité de réfugié : un état des lieux
01/04/2024

De la distinction résultant du droit de l'Union européenne entre la qualité et le statut de réfugié, résulte un ensemble de règles textuelles et jurisprudentielles relatives aux conditions de retrait du seul statut et à ses implications sur les contours de la protection due au réfugié.

1. À la source de la distinction entre la qualité et le statut de réfugié : l’articulation entre le droit de l’Union européenne et la Convention de Genève

La Convention du 28 juillet 1951 relative au « statut » des réfugiés définit à son article 1er, A, 2 la qualité de réfugié comme étant celle de toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ». Elle énumère ensuite les droits et libertés dont bénéficient ces réfugiés.

L’article 2 de la directive 2011/95/UE du 13 décembre 2011 dite « Qualification » distingue pour sa part, au d), le « réfugié » qui correspond à la définition donnée à l’article 1er, A, 2 de la Convention de Genève et, au e), le « statut de réfugié » défini comme « la reconnaissance, par un État membre, de la qualité de réfugié pour tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride ».

Par un arrêt du 14 mai 2019, la grande chambre de la Cour de justice de l’Union européenne est venue préciser la distinction entre qualité et statut de réfugié, en disant pour droit :

« 92 Il découle des considérations qui précèdent que la qualité de « réfugié », au sens de l’article 2, sous d), de la directive 2011/95 et de l’article 1er, section A, de la convention de Genève, ne dépend pas de la reconnaissance formelle de cette qualité par l’octroi du « statut de réfugié », au sens de l’article 2, sous e), de cette directive, lu en combinaison avec l’article 13 de cette dernière. (…)

98 En effet, outre ce qui a été dit au point 92 du présent arrêt, la circonstance que la personne concernée relève de l’une des hypothèses visées à l’article 14, paragraphes 4 et 5, de la directive 2011/95 ne signifie pas pour autant que celle-ci cesse de répondre aux conditions matérielles dont dépend la qualité de réfugié, relatives à l’existence d’une crainte fondée de persécution dans son pays d’origine.

99 Dans le cas où un État membre décide de révoquer le statut de réfugié ou de ne pas l’octroyer au titre de l’article 14, paragraphe 4 ou 5, de la directive 2011/95, les ressortissants de pays tiers ou les apatrides concernés se voient, certes, privés dudit statut et ne disposent donc pas, ou plus, de l’ensemble des droits et des avantages énoncés au chapitre VII de cette directive, ceux-ci étant associés à ce statut. Toutefois, ainsi que le prévoit explicitement l’article 14, paragraphe 6, de ladite directive, ces personnes jouissent, ou continuent de jouir, d’un certain nombre de droits prévus par la convention de Genève (voir, en ce sens, arrêt du 24 juin 2015, H. T., C‑373/13, EU:C:2015:413, point 71), ce qui, ainsi que l’a souligné M. l’avocat général au point 100 de ses conclusions, confirme qu’ils ont, ou continuent d’avoir, la qualité de réfugié, au sens, notamment, de l’article 1er, section A, de ladite convention, en dépit de cette révocation ou de ce refus. » (CJUE, arrêt du 14 mai 2019, M. c. Ministerstvo vnitra et autres, C‑391/16, C‑77/17 et C‑78/17). 

Le Conseil d’État reprend cette jurisprudence s’agissant des dispositions du CESEDA qui transposent l’article 14 § 4 et 5 de la directive « Qualification ». Dans sa décision du 19 juin 2020, M. K. OFPRA, nos 416032 et 416121, il a considéré que :

« Les dispositions de l’article L. 711-6 (L. 511-7) du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile doivent être interprétées conformément aux objectifs de la directive 2011/95/UE du 13 décembre 2011 dont ils assurent la transposition et qui visent à assurer, dans le respect de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, d’une part, que tous les États membres appliquent des critères communs pour l’identification des personnes nécessitant une protection internationale et, d’autre part, un niveau minimal d’avantages à ces personnes dans tous les États membres. Il résulte des paragraphes 4 et 5 de l’article 14 de cette directive, tels qu’interprétés par l’arrêt C-391/16, C77/17 et C-78/17 du 14 mai 2019 de la Cour de justice de l’Union européenne, que la « révocation » du statut de réfugié ou le refus d’octroi de ce statut, que leurs dispositions prévoient, ne saurait avoir pour effet de priver de la qualité de réfugié le ressortissant d’un pays tiers ou l’apatride concerné qui remplit les conditions pour se voir reconnaître cette qualité au sens du A de l’article 1er de la convention de Genève. En outre, le paragraphe 6 de l’article 14 de cette même directive doit être interprété en ce sens que l’État membre qui fait usage des facultés prévues à l’article 14, paragraphes 4 et 5, de cette directive, doit accorder au réfugié relevant de l’une des hypothèses visées à ces dernières dispositions et se trouvant sur le territoire dudit État membre, à tout le moins, le bénéfice des droits et protections consacrés par la convention de Genève auxquels cet article 14, paragraphe 6, fait expressément référence, en particulier la protection contre le refoulement vers un pays où sa vie ou sa liberté serait menacée, ainsi que des droits prévus par ladite convention dont la jouissance n’exige pas une résidence régulière. »

À cette distinction entre qualité et statut de réfugié, correspondent deux niveaux de protection en droit international et européen.

2. Les droits associés au statut et à la qualité de réfugié

L’individu relevant de la qualité de réfugié et bénéficiant, à ce titre, du statut afférant se voit reconnaître, par la Convention de Genève, des droits étendus, surtout sous l’angle de l’égalité de traitement avec les nationaux du pays d’accueil ou les ressortissants d'un pays étranger en situation régulière. C’est le cas en matière de liberté religieuse (article 4), de propriété mobilière et immobilière (article 13), de propriété intellectuelle et industrielle (article 14), de droit d'association (article 15), du droit d'ester en justice (article 16), de l’exercice des professions salariées, non salariées ou libérales (articles 17, 18 et 19), de logement (article 21), d’éducation publique (article 22), d’assistance publique (article 23), de législation du travail et de sécurité sociale (article 24), d’aide administrative (article 25), de liberté de circulation (article 26), de pièces d'identité (article 27), de titres de voyage (article 28), de charges fiscales (article 29), avec des règles spécifiques en matière d’entrée irrégulière, d’expulsion, de refoulement (articles 31, 32 et 33) et de naturalisation (article 34).

En droit de l’Union européenne, le contenu du statut de réfugié est prévu au chapitre VII de la directive « Qualification » qui vise notamment la protection contre le refoulement, le maintien de l’unité familiale, l’octroi d’un titre de séjour et de documents de voyage, l’accès à l’emploi, l’accès à l’éducation, l’accès aux procédures de reconnaissance des qualifications, la protection sociale, les soins de santé, l’accès au logement, la liberté de circulation à l’intérieur de l’État membre, l’accès aux dispositifs d’intégration.

L’individu ayant la qualité de réfugié mais ne bénéficiant pas du statut afférant (car celui-ci lui a été refusé ou retiré) dispose quant à lui d’un nombre plus limité de droits. Dans son arrêt du 24 juin 2015, H.T. c/ Land Baden-Wurttemberg, C-373/13, au point 71, la CJUE a jugé que « dans le cas où un État membre, en application de l’article 14, paragraphe 4, de cette directive, révoque, met fin ou refuse de renouveler le statut de réfugié octroyé à une personne, cette personne a le droit, conformément à l’article 14, paragraphe 6, de ladite directive, de jouir des droits qui sont énumérés notamment aux articles 32 et 33 de la convention de Genève ».

L’article 14, paragraphe 6 de la directive « Qualification » prévoit ainsi que « les personnes auxquelles les paragraphes 4 et 5 s’appliquent ont le droit de jouir des droits prévus aux articles 3, 4, 16, 22, 31, 32 et 33 de la convention de Genève ou de droits analogues, pour autant qu’elles se trouvent dans l’État membre ». Sont visés la non-discrimination quant à la race, la religion ou le pays d'origine (article 3), la liberté religieuse (article 4), le droit d’ester en justice (article 16), le droit à l’éducation (article 22) et les règles en matière de liberté de circulation, d’expulsion et de refoulement (articles 31, 32 et 33). Il s’agit là des garanties minimales liées à la qualité de réfugié qui restent acquises même en cas de refus ou de retrait du statut de réfugié. N’y figurent en revanche ni le droit au séjour, ni le droit au travail, ni les droits sociaux et patrimoniaux.

3. La fin de la qualité de réfugié

L’article L. 511-8 du CESEDA dispose que :

« L'Office français de protection des réfugiés et apatrides met fin, de sa propre initiative ou à la demande de l'autorité administrative, au statut de réfugié lorsque la personne concernée relève de l'une des clauses de cessation prévues à la section C de l'article 1er de la convention de Genève, du 28 juillet 1951. (…) L'office met également fin à tout moment, de sa propre initiative ou à la demande de l'autorité administrative, au statut de réfugié dans les cas suivants :

1° Le réfugié aurait dû être exclu du statut de réfugié en application des sections D, E ou F de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 ;

2° La décision de reconnaissance de la qualité de réfugié a résulté d'une fraude ;

3° Le réfugié doit, compte tenu de circonstances intervenues après la reconnaissance de cette qualité, en être exclu en application des sections D, E ou F de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951. »

Bien qu’il vise le « statut de réfugié », cet article concerne bien la qualité de réfugié. Il renvoie en effet à la fraude ainsi qu’aux clauses de cessation et d’exclusion, pour certains crimes notamment, qui sont prévues à l’article 1er de la Convention de Genève en tant qu’éléments définissant la notion de réfugié pour l’application de la convention.

4. La fin du statut de réfugié

L’article L. 511-7 du CESEDA dispose que :

« Le statut de réfugié est refusé ou il y est mis fin dans les situations suivantes :

1° Il y a des raisons sérieuses de considérer que la présence en France de la personne concernée constitue une menace grave pour la sûreté de l'État ;

2° La personne concernée a été condamnée en dernier ressort en France, dans un État membre de l'Union européenne ou dans un État tiers figurant sur la liste, fixée par décret en Conseil d'État, des États dont la France reconnaît les législations et juridictions pénales au vu de l'application du droit dans le cadre d'un régime démocratique et des circonstances politiques générales soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrorisme ou une apologie publique d'un acte de terrorisme ou puni de dix ans d'emprisonnement, et sa présence constitue une menace grave pour la société française. »

Dans sa décision du 19 juin 2020, OFPRA c/ M. N, n° 428140 le Conseil d’État a jugé qu’ « il résulte de ces dispositions que la possibilité de refuser le statut de réfugié ou d’y mettre fin, qui est sans incidence sur le fait que l’intéressé a ou conserve la qualité de réfugié dès lors qu’il en remplit les conditions, est subordonnée à deux conditions cumulatives. Il appartient à l’OFPRA et, en cas de recours, à la Cour nationale du droit d’asile, d’une part, de vérifier si l’intéressé a fait l’objet de l’une des condamnations que visent les dispositions précitées et, d’autre part, d’apprécier si sa présence sur le territoire français est de nature à constituer, à la date de leur décision, une menace grave pour la société au sens des dispositions précitées, c’est-à-dire si elle est de nature à affecter un intérêt fondamental de la société, compte tenu des infractions pénales commises - lesquelles ne sauraient, à elles seules, justifier légalement une décision refusant le statut de réfugié ou y mettant fin - et des circonstances dans lesquelles elles ont été commises, mais aussi du temps qui s’est écoulé et de l’ensemble du comportement de l’intéressé  depuis la commission des infractions ainsi que de toutes les circonstances pertinentes à la date à laquelle ils statuent ».

Dans sa décision du 10 juin 2021, OFPRA c/ M. A, n° 440383, le Conseil d’État a précisé que « la seule circonstance qu’un réfugié, condamné pour des faits qui, lorsqu’ils ont été commis, établissaient que sa présence constituait une menace grave pour la société, se soit abstenu, postérieurement à sa libération, de tout comportement répréhensible, n’implique pas, par elle-même, du moins avant l’expiration d’un certain délai, et en l’absence de tout autre élément positif significatif en ce sens, que cette menace ait disparu ».

Cette dissociation entre la qualité et le statut rejaillit sur l’office du juge de l’asile, ainsi que l’a utilement précisé le Conseil d’État. Dans sa décision du 9 novembre 2021, M. I., n° 439891, il a ainsi jugé que « dès lors que la possibilité de refuser le statut de réfugié ou d'y mettre fin, en application de l'article L. 711‑6 (L. 511-7) du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, est sans incidence sur le fait que l'intéressé a ou conserve la qualité de réfugié, il n'appartient pas à la Cour nationale du droit d'asile, lorsqu'elle est seulement saisie d'un recours dirigé contre une décision mettant fin au statut de réfugié prise sur le fondement dudit article L. 711-6 (L. 511‑7) sans que l'OFPRA ne remette en cause devant elle la qualité de réfugié de l'intéressé, de vérifier d'office que ce dernier remplit les conditions prévues aux articles 1er de la convention de Genève et L. 711-1 (L. 511-1) du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Il en va autrement lorsque, dans le cadre d’un recours dirigé contre la décision mettant fin au statut de réfugié d’un demandeur d’asile, la cour est saisie par l’OFPRA, en cours d’instance, de conclusions visant à ce que soit remise en cause la qualité de réfugié de l'intéressé ».

La Cour de justice de l’Union européenne a également apporté d’importantes précisions quant aux conditions du retrait du statut de réfugié en application de l’article 14, paragraphe 4, sous b), de la directive « Qualification », dans deux arrêts rendus le 6 juillet 2023.

Dans l’affaire C‑663/21, elle a considéré que  « l’application de cette disposition est subordonnée à ce qu’il soit établi, par l’autorité compétente, que la révocation du statut de réfugié constitue une mesure proportionnée au regard de la menace que représente le ressortissant concerné d’un pays tiers pour un intérêt fondamental de la société de l’État membre dans lequel ce ressortissant d’un pays tiers se trouve. À cette fin, cette autorité compétente doit mettre en balance cette menace avec les droits qui doivent être garantis, conformément à cette directive, aux personnes remplissant les conditions matérielles de l’article 2, sous d), de ladite directive, sans toutefois que ladite autorité compétente soit tenue, de surcroît, de vérifier que l’intérêt public s’attachant au retour dudit ressortissant d’un pays tiers dans son pays d’origine l’emporte sur l’intérêt du même ressortissant d’un pays tiers au maintien de la protection internationale, au regard de l’étendue et de la nature des mesures auxquelles celui-ci serait exposé en cas de retour dans son pays d’origine » (CJUE, arrêt du 6 juillet 2023, Bundesamt für Fremdenwesen und Asyl, C-663/21, § 43).

Dans l’affaire C-402/22, la CJUE a apporté des précisions supplémentaires. Premièrement, l’article 14, paragraphe 4, sous b), de la directive 2011/95/UE « doit être interprété en ce sens que constitue un « crime particulièrement grave », au sens de cette disposition, un crime présentant, eu égard à ses traits spécifiques, une gravité exceptionnelle, en tant qu’il fait partie des crimes qui portent le plus atteinte à l’ordre juridique de la société concernée. Aux fins d’apprécier si un crime pour lequel un ressortissant d’un pays tiers a été condamné en dernier ressort présente un tel degré de gravité, il y a lieu de tenir compte, notamment, de la peine encourue et de la peine prononcée pour ce crime, de la nature de celui-ci, d’éventuelles circonstances aggravantes ou atténuantes, du caractère intentionnel ou non dudit crime, de la nature et de l’ampleur des dommages causés par le même crime ainsi que de la procédure appliquée pour réprimer celui-ci ». Deuxièmement, « l’existence d’une menace pour la société de l’État membre dans lequel se trouve le ressortissant concerné d’un pays tiers ne peut être regardée comme étant établie en raison du seul fait que celui-ci a été condamné en dernier ressort pour un crime particulièrement grave ». Et enfin, « l’application de cette disposition est subordonnée à ce qu’il soit établi, par l’autorité compétente, que la menace représentée par le ressortissant concerné d’un pays tiers pour un intérêt fondamental de la société de l’État membre dans lequel il se trouve revêt un caractère réel, actuel et suffisamment grave et que la révocation du statut de réfugié constitue une mesure proportionnée à cette menace ». (CJUE, arrêt du 6 juillet 2023, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid, C-402/22, § 57).

5. Après ces fins de protection en France

En matière de séjour et de travail :

Dans sa nouvelle rédaction, l’article L. 424-6 du CESEDA dispose que :

« Lorsqu'il est mis fin au statut de réfugié par décision définitive de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou par décision de justice ou lorsque l'étranger renonce à ce statut, la carte de résident prévue aux articles L. 424-1 et L. 424-3 est retirée.

L'autorité administrative statue sur le droit au séjour des intéressés à un autre titre dans un délai fixé par décret en Conseil d'État.

Sous réserve de menace grave à l'ordre public ou que l'intéressé ne soit pas retourné volontairement dans le pays qu'il a quitté ou hors duquel il est demeuré de crainte d'être persécuté, la carte de résident ne peut être retirée en application du premier alinéa quand l'étranger est en situation régulière depuis au moins cinq ans. »

Pour rappel, conformément à l’article L. 414-10 du même code, la possession d'une carte de résident par un étranger résidant sur le territoire métropolitain lui confère le droit d'exercer une activité professionnelle, sur ce même territoire, dans le cadre de la législation en vigueur.

La même réserve d’ordre public permet également de refuser le renouvellement d’une carte de résident (article L. 432-3 du CESEDA).

Ces nouveaux cas de retrait et de non-renouvellement de la carte de résident, introduits par la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, pourront s’appliquer en cas de retrait du statut de réfugié sur le fondement de l’article L. 511-7 du CESEDA, mais également en cas d’exclusion de la qualité de réfugié en application des dispositions combinées des articles L. 511-8 du CESEDA et 1er, F de la convention de Genève.

À cet égard, au point 31 de son avis n° 406543 du 26 janvier 2023 sur le projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, le Conseil d’État a indiqué que « si en effet par sa décision n° 97‑389 DC du 22 avril 1997, le Conseil constitutionnel a jugé qu’ “une simple menace pour l'ordre public ne saurait suffire à fonder un refus de renouvellement de ce titre de séjour sans atteintes excessives au droit de l'intéressé au respect de sa vie familiale et privée ”, il a dans le même temps admis que la préservation de l'ordre public permette à l'autorité administrative, en cas de menace “grave”, de prononcer son expulsion. Le Conseil d’État considère que la même “menace grave à l'ordre public” peut justifier le retrait, ou le refus de renouvellement, de la carte de résident. Il propose toutefois que le projet de loi ne fasse pas suivre cette expression des mots “à la sécurité publique ou la sûreté de l’État”, qui sont redondants ». Force est de constater que, dans sa décision n° 2023-863 DC du 25 janvier 2024, le Conseil constitutionnel n’a pas censuré cette réserve de menace grave à l'ordre public.

Au point 32 du même avis, le Conseil d’État « s’est interrogé sur l’utilité de la mesure si l’étranger auquel la carte de résident a été retirée pour menace grave à l’ordre public ne peut faire l’objet d’un éloignement, en l’absence de possibilité d’expulsion ou de reconduite par les effets des protections prévues. Il admet que, même dans ces hypothèses, le retrait de la carte de résident, comme son non renouvellement, ne seraient pas dépourvus d’utilité au regard de la protection de l’ordre public. L’étranger se verrait alors accorder un statut de séjour moins favorable que celui de la carte de résident, une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » comme le prévoit le projet, de loi et se retrouverait par suite, ainsi que le fait valoir le Gouvernement, dans une situation susceptible, à l’instar des condamnations avec sursis en matière pénale, de l’inciter à adopter un comportement plus respectueux de la loi ou de la sécurité des personnes et des biens ».

En permettant de priver un réfugié de carte de résident et du droit consécutif au travail en cas de perte du statut de réfugié pour menace grave à l'ordre public, ces évolutions législatives rapprochent le droit interne du socle de droits garantis par le droit européen qui ne s’étend ni au séjour ni au travail.

En matière d’éloignement :

Alors que l’article 33§2 de la Convention de Genève prévoit que le non refoulement vers un pays où il serait menacé « ne pourra toutefois être invoqué par un réfugié qu'il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l'objet d'une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays », cette dérogation n’est permise ni en droit de l’Union européenne ni, en conséquence, en droit français.

C’est ainsi qu’au point 4 de l’ordonnance du 2 mars 2021, M. S., n° 449901, le juge des référés du Conseil d’État a jugé qu’ « il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’Homme, notamment depuis l’arrêt de Grande chambre du 28 février 2008 Saadi c/ Italie n° 37201/06, en premier lieu, que la protection prévue par [l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales selon lequel “nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants”] est absolue et impose de ne pas expulser une personne lorsqu’elle court dans le pays de destination un risque réel et sérieux d’être soumise aux traitements qu’elles prohibent, en deuxième lieu, qu’il n’est pas possible de mettre en balance le risque de mauvais traitements et les motifs qui fondent l’expulsion, et en troisième lieu, que l’existence d’un risque de mauvais traitements doit être examinée à la lumière de la situation générale dans le pays de destination et des circonstances propres au cas de l’intéressé, compte tenu notamment des garanties dont l’État d’accueil a, le cas échéant, fourni les assurances ».

Au point 8 de sa décision du 28 mars 2022, M. D., n° 450618, le Conseil d’État a également jugé qu’il résulte de l’article 33 de la convention de Genève, de l’article 21 de la directive 2011/95/UE du 13 décembre 2011 et de l’article L. 511-7 du CESEDA « qu’il peut être dérogé au principe de non-refoulement lorsqu’il existe des raisons sérieuses de considérer que le réfugié constitue une menace grave pour la sureté de l’État ou lorsque ayant été condamné en dernier ressort en France soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrorisme ou puni de dix ans d'emprisonnement, il constitue une menace grave pour la société. Toutefois, ainsi que l’a jugé la Cour de justice de l’Union européenne par l’arrêt précité du 14 mai 2019 (C-391/16, C-77/17 et C-78/17), un État membre ne saurait éloigner un réfugié lorsqu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’il encourt dans le pays de destination un risque réel de subir des traitements prohibés par les articles 4 et 19 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Ainsi, lorsque le refoulement d’un réfugié relevant de l’une des hypothèses prévues au 4 de l’article 14 ainsi qu’au 2 de l’article 21 de la directive du 13 décembre 2011 ferait courir à celui-ci le risque que soient violés ses droits fondamentaux consacrés aux articles 4 et 19 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre concerné ne saurait déroger au principe de non-refoulement sur le fondement du 2 de l’article 33 de la convention de Genève ».

Restent donc absolues les protections liées aux craintes du réfugié, fût-il privé de son statut.

Trois niveaux de protection peuvent, en définitive, être distingués. Une pleine protection pour les réfugiés statutaires, une protection réduite aux droits prévus aux articles 3, 4, 16, 22, 31, 32 et 33 de la Convention de Genève pour les réfugiés non statutaires – sans dérogation possible au principe de non-refoulement – et une protection indirecte résultant de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et des articles 4 et 19 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne pour les personnes exclus du bénéfice de la qualité de réfugié.

Notes de bas de pages

Claire BRICE-DELAJOUX est maître de conférences en droit public (habilitée à diriger des recherches) à l’Université d’Évry (Paris-Saclay).

Elle enseigne principalement le droit administratif, le droit des libertés fondamentales ainsi que le droit de l’asile, dans ses dimensions internationale, européenne et interne.

Elle dirige depuis 2017 le master 2 Droits de l’homme et Droit humanitaire de l’Université Paris Saclay. Elle publie régulièrement des articles en lien direct avec le droit d’asile. Elle a également été juge assesseur à la Cour nationale du droit d’asile, nommée sur proposition du Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, entre 2000 et 2008.

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