La notion de « mineur non accompagné » a véritablement pris corps avec les évolutions successives du droit des réfugiés. De fait, l’une des premières occurrences de l’expression peut être trouvée dans la constitution de l’Organisation internationale pour les réfugiés (ancêtre du Haut-Commissariat pour les réfugiés) de 1948 qui reconnaît la possibilité, pour ces enfants, de bénéficier du statut de réfugié[1]. Elle est également mentionnée dans l’Acte final de la conférence des plénipotentiaires des Nations Unies sur le statut des réfugiés et des apatrides, conférence ayant conduit à l’adoption de la Convention de Genève de 1951. Par la suite, la notion et ses implications ont été développées dans les années 1980 par le Haut-Commissariat pour les réfugiés. La notion est mentionnée à l’article 22 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant dédié aux enfants réfugiés[2]. Elle est déclinée dans le cadre de la politique de l’Union européenne en matière d’asile, d’abord par une Résolution spécifique adoptée en 1997[3], puis dans les instruments ayant composé successivement le Régime d’asile européen commun (ci-après « RAEC »). Le mineur non accompagné est, au sens du droit européen, « un mineur qui entre sur le territoire des États membres sans être accompagné d’un adulte qui, selon le droit ou la pratique de l’État membre concerné, en est responsable, et tant que ce mineur n’est pas effectivement pris en charge par un tel adulte, y compris un mineur qui cesse d’être accompagné après son entrée sur le territoire des États membres»[4].
Si la catégorie « mineur non accompagné » s’inscrit dans le domaine de l’asile, elle ne s’y limite plus. En France, ces mineurs peuvent bénéficier d’une prise en charge par les conseils départementaux au titre de la protection de l’enfance[5] et ils n’ont pas besoin de justifier d’un titre de séjour pour résider régulièrement sur le territoire national le temps de leur minorité[6]. Ces dernières années, le nombre d’entrées dans les dispositifs de protection de l’enfance ne cesse d’augmenter (environ 11 300 en 2021, 14 700 en 2022, 19 300 en 2023)[7] et il est sans commune mesure avec le nombre de mineurs non accompagnés ayant sollicité l’asile auprès de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (ci-après « OFPRA »), lui aussi en augmentation (634 demandes en 2020, 867 en 2021, 1003 en 2022, 1350 en 2023)[8].
Pourtant, sur les aspects formels de la demande d’asile, la procédure a connu quelques adaptations pour tenter de répondre aux besoins spécifiques de ce public. Tout d’abord, au moment du dépôt de leur demande d’asile en préfecture, les mineurs non accompagnés doivent se voir désigner un représentant, qui correspond en France à l’administrateur ad hoc désigné « sans délai » pour les assister « dans le cadre des procédures administratives et juridictionnelles relatives à la demande d’asile »[9]. Ensuite, ils bénéficient de règles dérogatoires de détermination de l’État membre de l’Union européenne responsable de leurs demandes puisqu’ils échappent à la règle du premier pays d’entrée. L’État responsable est en effet celui où un membre de leur famille réside régulièrement ou, à défaut, celui où ils ont introduit leur demande. Enfin, la directive « procédures » du RAEC avait édicté des conditions particulières d’examen de leur demande[10], mises en œuvre par l’OFPRA (officier de protection spécialement formé, salle adaptée, possibilité de reclassement en procédure normale par l’OFPRA, etc.). Pour le reste, la procédure demeure la même que pour les majeurs, c’est-à-dire dans la déclinaison française : le pré-accueil dans les plateformes dédiées, l’enregistrement de la demande auprès du guichet unique des préfectures, l’entretien à l’OFPRA et l’éventuel recours devant la Cour nationale du droit d’asile (ci-après « CNDA »). Selon toute vraisemblance, le schéma procédural qui sera mis en œuvre par les pôles territoriaux « France asile », créés par la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration sera le même pour les mineurs non accompagnés, aucune disposition particulière n’ayant été prévue.
Plus globalement, la demande d’asile présente au moins trois intérêts pour les mineurs non accompagnés, si tant est qu’ils réussissent à obtenir le statut de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire. Premièrement, l’octroi d’une protection internationale constitue un moyen complémentaire de protection qui permet la reconnaissance des craintes des jeunes en cas de retour dans leur pays d’origine et qui règle également la question de l’obtention du titre de séjour à la majorité. Il faut ici préciser que le taux de protection est particulièrement élevé, généralement de l’ordre 70-80 % par l’OFPRA et de 80-90 % en incluant les recours CNDA[11], ce qui atteste de la réalité de leurs besoins en matière de protection internationale. Deuxièmement, elle permet une reconstitution par l’OFPRA de leur état civil qui peut leur être utile pour prouver leur minorité[12]. Troisièmement, ils pourront plus facilement solliciter et obtenir la réunification familiale avec leurs parents ou leurs frères et sœurs, la jurisprudence récente de la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après « CJUE ») ayant renforcé de façon opportune ce droit[13].
Si l’ensemble du régime actuel connaît de nombreuses difficultés de mise en œuvre en France (absence d’accès aux conditions matérielles d’accueil[14] ; effectivité de la désignation de l’administrateur ad hoc ; articulation avec les services de protection de l’enfance, etc.[15]), l’ensemble apparaît relativement équilibré. Néanmoins, cet équilibre risque d’être complètement altéré dans les mois à venir avec la mise en œuvre du nouveau Pacte sur l’asile et la migration, adopté en mai dernier après quatre ans de négociations. L’architecture de ce Pacte, composé de huit règlements et d’une directive, vise à répondre aux limites du RAEC ainsi qu’à limiter l’accès au territoire européen des ressortissants de pays tiers en situation irrégulière, au détriment, semble-t-il, des droits fondamentaux de ces ressortissants, y compris lorsqu’ils sont mineurs. Pourtant, quasiment tous les textes[16] font référence au principe d’intérêt supérieur de l’enfant soit en préambule, soit par un article dédié aux mineurs, soit les deux. Ils renvoient explicitement à l’article 24 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ou à la Convention internationale relative aux droits de l’enfant. La prise en considération de cet intérêt supérieur semble pourtant bien relative au regard des objectifs que s’est donnés le Pacte, aussi bien pour la mise en œuvre des procédures de droit commun à l’égard des mineurs non accompagnés (I) que pour la définition des règles encadrant la désignation d’un représentant, qui constitue la principale garantie spécifique à ces mineurs (II). Il sera ainsi question des garanties procédurales octroyées aux mineurs au moment du dépôt de la demande d’asile plutôt que des questions relatives à l’examen des craintes et aux effets de la reconnaissance d’une protection internationale à proprement parler, dont les évolutions sont plus mesurées. Au surplus, les évolutions procédurales emporteront très certainement des effets sur le traitement des mineurs non accompagnés en France, qu’il pourra être utile de discuter.
I. De la mise en œuvre renforcée des procédures de droit commun à l'égard des mineurs non accompagnés
Traditionnellement, les mineurs non accompagnés bénéficient de quelques adaptations de la procédure de droit commun en raison de leur vulnérabilité particulière. Tel était le cas pour la désignation de l’État membre responsable de leur demande d’asile sous l’empire des précédents règlements Dublin II et III. Ces spécificités ont néanmoins été limitées par le nouveau Pacte, non seulement en ce qui concerne la désignation de l’État membre responsable de leur demande (B), mais également plus tôt dans la procédure, dès la mise en œuvre des nouvelles procédures à l’entrée sur le territoire européen qui concerneront tous les ressortissants étrangers. En particulier, la procédure de filtrage interroge du point de vue des droits de l’enfant (A).
A. L’indifférence de la procédure de filtrage aux droits des mineurs non accompagnés
Le Pacte a entériné deux nouvelles procédures à la frontière : une procédure de filtrage de tous les ressortissants de pays tiers se présentant aux frontières extérieures de l’Union ou étant entrés de façon irrégulière sur le territoire de l’un des États membres[17] ; et une procédure d’asile à la frontière[18].
S’agissant du filtrage, il consiste en un contrôle sanitaire et une appréciation de la vulnérabilité préliminaire, en l’identification de la personne ou la vérification de son identité, en l’enregistrement de ses données biométriques dans Eurodac, en un contrôle de sécurité et au renseignement du formulaire de filtrage (article 8 du règlement « Filtrage »). Ces vérifications doivent être effectuées dans un délai de sept jours maximum, durée pendant laquelle « les États membres prévoient dans leur droit national des dispositions visant à faire en sorte que les [ressortissants étrangers] restent à la disposition des autorités compétentes chargées de procéder au filtrage […] afin de prévenir tout risque de fuite » (article 6). Même si le terme n’est pas employé, les expressions « maintenir à disposition » et « prévenir tout risque de fuite » laissent peu de doute quant à la nature de la mesure qui sera mise en œuvre : il s’agira d’une privation de liberté. Le dispositif, inspiré des hotspots, inquiète du point de vue du respect des droits fondamentaux, mais aussi au regard des conditions de sa mise en œuvre[19].
Or, cette inquiétude est d’autant plus forte pour les mineurs non accompagnés qu’aucune dérogation n’est prévue pour eux. En effet, l’article 5 du règlement dispose que le filtrage « s’applique à tous les ressortissants de pays tiers, qu’ils aient ou non présenté une demande de protection internationale, qui ne remplissent pas les conditions d’entrée [dans l’UE] et qui : a. sont interpellés à l’occasion d’un franchissement non autorisé de la frontière extérieure d’un État membre par voie terrestre, maritime ou aérienne, à l’exception des ressortissants de pays tiers dont, pour des raisons autres que leur âge, l’État membre concerné n’est pas tenu de relever les données biométriques en application [du règlement « Filtrage »] » La formule est relativement alambiquée, pourtant, il faut en comprendre que l’âge ne pourra justifier de dérogation. Ainsi, il ne fait aucun doute qu’ils entrent dans le champ d’application du règlement. Cette absence de dérogation interroge puisque ces mineurs sont exemptés de la procédure d’asile à la frontière[20], c’est-à-dire qu’ils pourront entrer sur le territoire de l’Union, faire examiner leur demande d’asile par le premier État d’entrée et bénéficier des conditions matérielles d’accueil dans ce pays. La mise en œuvre de la procédure de filtrage à l’égard des mineurs y compris lorsqu’ils sont non accompagnés montre qu’aucune vulnérabilité, quelle qu’elle soit, ne saurait entraver l’objectif que s’est fixée l’Union d’un contrôle accru des frontières extérieures doublé d’une volonté de limiter les mouvements dits « secondaires » entre États membres.
Dans le même temps, l’article 13 du règlement dispose qu’au « cours du filtrage, l’intérêt supérieur de l’enfant est toujours une considération primordiale, conformément à l’article 24, paragraphe 2, de la Charte ». Sur ce point, trois remarques s’imposent. Tout d’abord, la conformité d’une généralisation de la privation de liberté à tous les mineurs, accompagnés ou non, avec le principe d’intérêt supérieur de l’enfant laisse dubitatif. À l’heure où la France vient enfin d’interdire la rétention de tous les enfants[21], quel que soit leur âge, et après de multiples condamnations de la Cour européenne des droits de l’homme[22], cette généralisation sonne comme un retour en arrière. Elle va à l’encontre de toutes les recommandations des organes de promotion et de protection des droits humains en matière de privation de liberté des enfants migrants, puisque, rappelons-le, « chaque enfant a, en tout temps, un droit fondamental à la liberté et le droit de ne pas être placé en détention pour des motifs liés à l’immigration »[23].
Ensuite, il aurait pu être a minima envisageable de fixer un seuil d’âge, en dessous duquel les enfants n’auraient pas été soumis à la procédure de filtrage. Le Pacte retient à ce titre plusieurs seuils d’âge. Ainsi, les données biométriques d’un mineur de six ans ne peuvent être enregistrées dans le fichier Eurodac[24] et les données des mineurs de 14 ans ne peuvent être utilisées à des fins répressives[25]. Également, le règlement « Crise » prévoit qu’en cas d’instrumentalisation des demandeurs d’asile, les mineurs de douze ans accompagnés soient exemptés de la procédure d’asile à la frontière ou que celle-ci cesse après une évaluation individuelle du caractère fondé de leur demande[26]. Cette catégorisation des mineurs selon leur âge aurait pu être utilisée pour la procédure de filtrage.
Enfin, la nature des garanties accordées par le règlement « Filtrage » au bénéfice des mineurs en général et des mineurs non accompagnés en particulier ne peut que renforcer les inquiétudes liées au respect de leurs droits. D’une part, les exigences relatives aux lieux où pourraient être placés les ressortissants étrangers sont particulièrement souples puisqu’il est seulement spécifié que « le filtrage est effectué en tout lieu adéquat et approprié désigné par chaque État membre »[27]. La même disposition semble supposer une distinction dans le traitement des étrangers, entre ceux qui auraient demandé l’asile et ceux qui ne l’auraient pas fait, car il est précisé que « les règles pertinentes en matière de rétention énoncées dans la directive 2008/115/CE s’appliquent au cours du filtrage en ce qui concerne les ressortissants de pays tiers qui n’ont pas introduit de demande de protection internationale ». Pourtant, il paraît difficilement imaginable qu’au stade du filtrage les États membres créent des structures différenciées selon les profils, d’autant que la majorité des ressortissants étrangers, s’ils ne remplissent pas les conditions du Code frontières Schengen pour entrer sur le territoire de l’Union, n’auront d’autre choix que de demander la protection internationale. Ainsi, il semble qu’en toute hypothèse, il faudra se référer à la directive « Retour » de 2008 pour savoir dans quelles conditions la rétention se déroulera. Les garanties qu’elle prévoit pour les mineurs sont minimales[28] : le placement en rétention est une mesure de dernier ressort prise pour la période la plus brève possible ; le droit aux loisirs et aux activités récréatives doit être garanti ; le placement doit avoir lieu, dans la mesure du possible, dans des « institutions disposant d’un personnel et d’installations adaptés [à leurs] besoins »[29]. Il aurait été opportun de profiter du vote de ce nouveau Pacte pour revoir les exigences minimales en matière de rétention des enfants[30].
D’autre part, les autres garanties accordées par le règlement « Filtrage » paraissent tout aussi insuffisantes puisque l’obligation de désignation d’un représentant semble très souple à ce stade de la procédure. En effet, il est prévu qu’un représentant compétent et formé lui soit désigné, que ce représentant doit être distinct de la personne chargée du filtrage, et qu’à défaut d’une telle désignation le mineur puisse tout de même demander l’asile[31] (article 13). Or le représentant est le garant de son information sur ses droits puisque l’article 11 du règlement précise que le mineur doit être informé de la procédure de filtrage d’une façon qui soit adaptée à son âge et en présence de son représentant. Également, lors des contrôles sanitaires et de vulnérabilité « un soutien approprié au regard de sa santé physique et mentale dans des installations adéquates […] est apporté d’une manière adaptée aux enfants et à leur âge par du personnel formé et qualifié pour s’occuper de mineurs, et en coopération avec les autorités nationales de protection de l’enfance »[32]. Comme l’expérience des hotspots a pu le démontrer[33], il est difficile de voir dans quelle mesure les autorités de protection de l’enfance pourraient agir efficacement dans le contexte du filtrage.
Dans l’ensemble, il est difficile de considérer que l’économie du dispositif de filtrage fasse de l’intérêt supérieur des mineurs non accompagnés une considération primordiale. En témoigne également la possibilité de recourir à la force pour contraindre le mineur à donner ses données biométriques au moment de l’enregistrement dans le fichier Eurodac[34].
Précisons néanmoins que le règlement définit les conditions de réalisation du filtrage sur le territoire d’un État membre, une fois que l’étranger en situation irrégulière est entré (article 7) là encore sans organiser de régime spécifique pour les mineurs non accompagnés. Pour autant, ces derniers n’étant pas en situation irrégulière en France, puisqu’il n’est pas exigé d’eux qu’ils détiennent un titre de séjour, cette disposition ne devrait, en principe, pas trouver à s’appliquer pour eux. Malgré cela, lorsque la procédure de filtrage à l’entrée sur le territoire européen sera finalement mise en œuvre, il sera plus difficile pour les mineurs non accompagnés de rejoindre la France, puisqu’ils bénéficient rarement du visa nécessaire pour entrer sur ce territoire, et d’y solliciter une prise en charge, que ce soit au titre de la protection de l’enfance ou par le biais de l’asile. Ils risquent alors d’être contraints, comme beaucoup d’autres, à prendre plus de risques pour atteindre le pays souhaité et même dans cette hypothèse, il n’est pas certain qu’ils puissent y déposer leur demande d’asile.
B. La désastreuse modification du critère Dublin
Le système de Dublin et les modalités de répartition qu’il prévoit ont prouvé toutes leurs limites à l’automne 2015 et contribuent depuis au « déséquilibre persistant » des politiques européennes en matière d’asile et d’immigration[35]. Ces modalités pèsent particulièrement sur les trois principaux pays d’entrée des ressortissants étrangers dans l’Union : la Grèce, l’Italie et l’Espagne. En principe, les seuls demandeurs d’asile ne se voyant pas appliquer la règle selon laquelle l’État membre responsable d’une demande d’asile est le premier État d’entrée dans l’Union sont les mineurs non accompagnés. Tel était le cas sous l’empire des règlements Dublin II puis III. Le Pacte, avec le règlement « Gestion asile migration »[36], revient de façon prévisible, mais regrettable, sur cette exception. L’article 25 du règlement hiérarchise les critères de détermination de l’État membre responsable, ils sont classés dans l’ordre de leur application. Ils distinguent l’hypothèse où le mineur a un membre de sa famille résidant légalement sur le territoire d’un État membre, de l’hypothèse où il n’en a pas.
Dans le premier cas, les trois critères sont les mêmes que ceux du règlement Dublin III au mot près. L’État membre responsable de la demande d’asile d’un mineur non accompagné est celui où réside régulièrement un membre de sa famille ou l’un de ses frères et sœurs. Si le mineur est marié, mais que son conjoint ne réside pas régulièrement dans l’Union européenne, l’État membre responsable est celui où réside sa mère, son père, l’adulte responsable de lui, son frère ou sa sœur. À défaut, il peut être confié à un proche qui est en capacité de s’en occuper. Dans ces trois cas, le transfert vers l’État membre responsable n’est effectué que s’il est dans l’intérêt supérieur du mineur de rejoindre la personne identifiée. Également, le règlement « Gestion asile migration » précise que la Commission peut adopter des actes délégués concernant l’identification de la famille, les critères permettant établir l’existence de liens familiaux avérés ainsi que les critères pour vérifier la capacité du proche d’accueillir le mineur. Ainsi, dans cette première hypothèse, le Pacte maintient les garanties préexistantes.
C’est surtout au regard de la seconde hypothèse que le dispositif retenu est insatisfaisant. En effet, lorsque le mineur non accompagné n’a pas de famille dans l’Union européenne ou que celle-ci ne réside pas régulièrement sur le territoire de l’un des États membres, il était prévu que l’État responsable était celui où il avait introduit sa demande d’asile[37]. Sur ce point, la CJUE a considéré que dans le cas où le mineur a déposé plusieurs demandes d’asile, l’État responsable est celui où il se trouve et où il a introduit une demande d’asile, si cela est dans son intérêt supérieur[38]. Peu de temps après cette décision, il a été proposé de réviser le règlement « Dublin III » en ce sens[39]. Néanmoins, cette proposition n’a pas abouti et a rapidement été remplacée par une autre, celle qui a finalement été entérinée par le Pacte. L’État membre responsable est donc le premier pays d’entrée où les empreintes du mineur auront été enregistrées dans le fichier Eurodac dès le stade du filtrage puisqu’il y aura nécessairement été soumis. L’application du critère de droit commun a été justifiée par la nécessité « de décourager les mouvements secondaires […] qui ne servent pas au mieux [les] intérêts [des mineurs non accompagnés] »[40]. Or, l’on voit mal comment le fait d’imposer un nouveau transfert à des mineurs ayant déjà connu de nombreuses ruptures peut être dans leur intérêt supérieur[41], particulièrement lorsqu’ils ont déjà été pris en charge dans les dispositifs de protection de l’enfance, comme c’est souvent le cas en France.
Bien sûr, la mise en œuvre du critère est entourée des quelques garanties habituelles : la désignation d’un représentant qui participe à la procédure de détermination de l’État membre responsable, la nécessité pour l’État sollicitant le transfert de transmettre à l’État responsable les informations concernant le mineur, sa scolarité, sa santé (articles 48 et 50 du règlement « Gestion »). Surtout, il est prévu que l’intérêt supérieur de l’enfant soit évalué et que si le transfert ne correspond pas à cet intérêt, l’État puisse décider de ne pas procéder au transfert et d’examiner lui-même la demande d’asile. Sur ce point, deux remarques s’imposent. Premièrement, l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant tient notamment compte des possibilités de regroupement familial, du bien-être et du développement de l’enfant, des considérations tenant à la sûreté et à la sécurité du mineur, de son avis en fonction de son âge et de sa maturité, des informations fournies par son représentant et par tout autre élément (article 23 (4)), même transmis tardivement (article 18 (2)). L’évaluation devra être menée par du personnel formé et compétent. Cette évaluation ne pourra néanmoins pas prendre en considération le fait que de nombreux mineurs ayant demandé l’asile aient de la famille en situation irrégulière dans l’État où ils se trouvent et ont déposé leur demande. Également, l’évaluation et l’appréciation de ce qu’est l’intérêt supérieur du mineur varieront nécessairement d’un État à l’autre.
Secondement, reconnaître la faculté à l’État de considérer que le transfert n’est pas dans l’intérêt du mineur et qu’il doit examiner sa demande lui-même était incontournable au regard de l’article 24 de la Charte, mais ne peut constituer une réponse satisfaisante aux spécificités de ce public. Au maintien d’un critère protecteur, le législateur européen a préféré offrir aux États une large marge d’appréciation. Tout sera alors affaire de volonté politique. En France, à défaut de limiter autant que possible les transferts de mineurs non accompagnés, la procédure de demande d’asile perdra tout intérêt pour eux. Ils préfèreront, sur les conseils des professionnels les accompagnant, solliciter un titre de séjour en préfecture à leurs 18 ans plutôt que de risquer un transfert vers un État membre où ils n’ont aucune attache. Ainsi, les efforts menés par l’OFPRA depuis plusieurs années pour faire connaître la procédure d’asile et permettre aux mineurs qui peuvent s’en réclamer de la mettre en œuvre ne porteront plus leurs fruits[42]. Pourtant, le nombre de demandes d’asile des mineurs non accompagnés a passé en 2022 la barre symbolique des 1000 demandes qui n’avait plus été atteinte depuis les années 2000 où de nombreux mineurs arrivaient en zone d’attente à l’aéroport Roissy Charles de Gaulle[43]. Cette modification compromet alors l’effectivité de la protection internationale pour ces mineurs vulnérables. Dans le même sens, la désignation d’un représentant connaît un certain nombre de difficultés de mise en œuvre, que le Pacte a tenté de rationaliser, avec plus ou moins de succès.
II. De l’insuffisance des conditions de désignation d’un représentant pour les mineurs non accompagnés
La principale garantie reconnue au bénéfice des mineurs non accompagnés est la désignation d’un représentant légal qui le représente et l’assiste lors des différentes procédures prévues par les divers instruments du Pacte. Six des neuf instruments du Pacte ont une disposition organisant cette désignation[44]. Globalement, il est possible de constater une volonté d’améliorer le dispositif qui se manifeste par les nombreuses précisions apportées depuis le RAEC. Néanmoins, cette désignation est conditionnée au fait que « l’autorité compétente » ne soit pas arrivée à la conclusion que le demandeur était « sans aucun doute âgé de plus de 18 ans », auquel cas elle n’est pas « tenue de désigner un représentant ». Se pose ainsi la question de l’évaluation de l’âge du demandeur que le Pacte envisage de façon totalement différente du RAEC, mais les nouvelles garanties apportées ne le sont que dans des hypothèses trop restreintes (A). Également, la multitude des dispositions encadrant cette désignation est synonyme d’une certaine fragmentation de ce droit puisque quelques procédures connaissent des spécificités (B).
A. Un encadrement de l’évaluation de l’âge nécessaire, mais restreint
Seules deux dispositions précisent les conditions dans lesquelles il est possible d’arriver à la conclusion que le demandeur est « sans aucun doute âgé de plus de 18 ans ». Elles figurent toutes les deux dans le règlement « Procédures » : l’article 25 prévoit les conditions de réalisation de cette évaluation dans le cadre de la procédure de la demande d’asile de droit commun tandis que l’article 53 envisage cette évaluation lors de la procédure d’asile à la frontière.
Concernant la procédure de demande d’asile de droit commun, la nouvelle disposition constitue une réelle évolution par rapport à ce qu’envisageait la directive « Procédures » également son article 25 (5). Celui-ci se contentait d’organiser la possibilité de recourir à l’examen médical s’il existait un doute sur l’âge et précisait qu’à l’issue de l’examen, si le doute persistait sur l’âge, le demandeur devait être présumé mineur.
L’article 25 du règlement « Procédures » retient un tout autre dispositif. Ainsi, il est prévu que « lorsque, sur la base des déclarations du demandeur, de preuves documentaires disponibles ou d’autres éléments pertinents, des doutes existent quant à la question de savoir si le demandeur est mineur, l’autorité responsable de la détermination peut entreprendre une évaluation pluridisciplinaire, incluant une évaluation psychosociale, qui est effectuée par des professionnels qualifiés, afin de déterminer l’âge du demandeur dans le cadre de l’examen d’une demande ». L’évaluation ne peut reposer uniquement sur le physique du jeune et ses documents doivent être considérés comme étant authentiques jusqu’à preuve du contraire. Il ne peut être recouru à l’examen médical qu’en dernier recours, lorsque le représentant du mineur y consent. L’examen est réalisé par des professionnels compétents après que le mineur et son représentant aient été informés de la nature de cet examen, de ses conséquences, de la possibilité de refuser et des effets d’un tel refus. Le refus de se soumettre à l’examen ne doit pas empêcher l’autorité responsable de se prononcer sur la demande de protection internationale et ce refus ne peut à lui seul fonder le rejet de la demande. Finalement, les éléments issus de l’examen médical et de l’évaluation pluridisciplinaire sont analysés « conjointement, de manière à pouvoir obtenir les résultats les plus fiables possible » et lorsque le doute persiste ou que l’examen comporte une tranche d’âge inférieure à 18 ans, le demandeur est présumé mineur.
Ce dispositif n’est pas sans rappeler la façon dont l’évaluation de l’âge est organisée en droit français, notamment par les articles 47 et 388 du Code civil. Si le fait que l’examen médical ne puisse plus être utilisé qu’en dernier recours doit être salué, le dispositif risque de connaître les mêmes dérives qu’il connaît en France, c’est-à-dire une évaluation sociale souvent stéréotypée et menée dans des conditions inadaptées et des documents d’état civil sans cesse remis en cause que ce soit sur leur forme, sur les conditions d’obtention ou encore sur la question de savoir s’ils peuvent être rattachés à l’intéressé lorsque sont en cause des actes de naissance et autres jugements supplétifs ne comportant pas de photographie[45].
Malgré ces similitudes, il faut s’interroger sur la conformité du droit français à cette disposition sur deux aspects. En premier lieu, il pose la question de l’autorité en charge de la réalisation de cette évaluation. L’article 25 précise que c’est l’autorité responsable de la détermination pour l’État responsable qui procède à l’évaluation de l’âge, c’est-à-dire l’autorité qui examine les demandes d’asile : l’OFPRA. Or, en l’état de la procédure, l’Office ne réalise jamais lui-même l’évaluation de l’âge, les mineurs pour lesquels il existe un doute sont normalement orientés au stade du dépôt de la demande d’asile vers les conseils départementaux qui assurent leur prise en charge[46]. Il arrive également que la désignation de l’administrateur ad hoc n’ait jamais lieu car le procureur de la République les considère comme majeurs, ce qui bloque l’enregistrement de leur demande d’asile[47]. La disposition pourrait permettre de clarifier l’articulation de ces procédures : qui réalise l’évaluation de l’âge ? à quel moment ? comment la décision de reconnaissance ou de non reconnaissance de la minorité est prise en compte par la préfecture et à l’OFPRA ? Cela pourrait, à terme, fluidifier leur enchaînement. En second lieu, le règlement prévoit que le représentant donne son consentement à la réalisation de l’examen médical, là où l’article 388 du Code civil dispose que le mineur donne son accord. L’absence de représentant légal lors de l’examen médical est l’une des principales critiques qu’il est possible d’émettre à l’égard du recours à ces examens. Espérons que l’évolution du droit européen en matière d’asile entraînera une modification législative qui profitera à tous les mineurs non accompagnés qu’ils soient demandeurs d’asile ou non. En effet, même si le règlement est d’application directe, il ne concerne que les évaluations de l’âge réalisées dans le cadre d’une demande d'asile. Toutefois, en France, cette évaluation est généralement antérieure au dépôt de la demande d'asile et dépend d’un corpus juridique distinct (du Code de l’action sociale et des familles et non du CESEDA), ce qui appellerait, en principe, une intervention du législateur.
Cette amélioration des conditions d’évaluation de l’âge dans le cadre de la procédure de droit commun de demande d’asile ne fait que renforcer le contraste existant avec les règles applicables aux procédures à la frontière. En effet, aucune disposition du règlement « Filtrage » ne traite cette difficulté tandis que le règlement « Procédures » se borne à préciser qu’en « cas de doute concernant l’âge du demandeur, les autorités compétentes procèdent rapidement à une évaluation de l’âge conformément à l’article 25 » (article 53 (1)). La référence à une évaluation rapide est particulièrement floue et ne permet pas de comprendre quelles garanties prévues à l’article 25 doivent être effectivement respectées, puisqu’il est évident qu’elles ne pourront pas toutes l’être. Surtout, on ne peut que regretter l’absence d’encadrement de cette évaluation au stade du filtrage alors que la question de la minorité se posera nécessairement à ce moment-là. Or les sept jours (théoriques) de filtrage ne permettront qu’une évaluation très limitée de l’âge, qui risque de ne prendre en considération que le physique et d’hypothétiques documents d’état civil, en contradiction avec toutes les règles édictées par le règlement « Procédures ». Par ailleurs, l’expérience française a déjà montré avec acuité que l’évaluation de l’âge est très difficilement réalisable en quelques jours[48]. Cette procédure est donc laissée à l’arbitraire alors qu’elle constitue le point d’entrée dans l’Union puisque, rappelons-le, le jeune reconnu mineur non accompagné ne pourra se voir, sauf rares exceptions, se voir appliquer la procédure de demande d’asile à la frontière et devra être autorisé à entrer sur le territoire de l’Union. Surtout, elle conditionne la désignation du représentant légal du mineur.
B. Une fragmentation des hypothèses de désignation d'un représentant légal
La désignation d’un représentant au bénéfice des mineurs non accompagnés est envisagée par plusieurs dispositions du Pacte sur l’asile et la migration. C’est plus précisément l’article 27 de la directive « Accueil » qui semble fixer le cadre général de cette désignation[49] tandis que les règlements envisagent certaines hypothèses particulières de mise en œuvre.
Au titre de l’article 27 de la directive « Accueil », la désignation peut se dérouler en deux temps, éventuellement complétée d’un troisième temps prévu par le règlement « Qualification ». Selon cette disposition, « une personne apte à agir provisoirement en tant que représentant » peut être désignée dans un premier temps. Dans un deuxième temps, un représentant est désigné « dès que possible, et au plus tard dans un délai de quinze jours ouvrables à compter de la date de présentation de la demande [d’asile] ». À l’issue de la procédure d’asile, dans un dernier temps, si le mineur se voit reconnaître le statut de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire, il doit se voir désigner un tuteur, qui peut être la même personne que le représentant (art. 33 (1) du règlement « Qualification »). Dans ces trois hypothèses, il peut s’agir d’une personne physique ou morale (qui doit alors désigner une personne physique) dont les intérêts ne peuvent entrer en conflit avec ceux du mineur (art. 27 (2) et (3) de la directive « Accueil »). Il doit être compétent et formé pour accompagner le mineur et ne doit pas avoir d’antécédents judiciaires ou avoir commis « d’infractions contre des enfants ou d’infractions soulevant de sérieux doutes quant à sa capacité à assumer une fonction comportant des responsabilités à l’égard d’enfants » (art. 33(2) du règlement « Qualification »). Son remplacement n’est possible qu’en cas de nécessité et une autorité administrative ou judiciaire doit être chargée du contrôle de la bonne exécution de ses missions.
En ce qui concerne son rôle et ses missions, le représentant est informé de « tous les faits pertinents » concernant le mineur. Il le rencontre, le tient informé et prend en compte son avis. Il l’assiste pour l’introduction et l’examen de sa demande d’asile, lors de la procédure de détermination de l’État responsable et pour l’enregistrement dans le fichier Eurodac (art. 23 (6) du règlement « Procédures »). À l’issue de la procédure d’asile, il s’assure que le mineur ait accès à ses droits et, si besoin, l’assiste lors du recours contre la décision de refus d’octroi d’une protection de l’enfance (art. 33(2) du règlement « Qualification »). Pour la première fois, un nombre de mineurs pouvant être accompagnés par un même représentant est fixé : ce nombre est limité à 30 mineurs en temps normal et à 50 en cas de situation exceptionnelle (articles 27 (1) et (7) de la directive « Accueil »). Sur ce point, il est pour le moins étonnant de noter que le règlement « Qualification » ne reprend pas ces chiffres en ce qui concerne les tuteurs désignés à l’issue de la demande d'asile, précisant uniquement qu’ils peuvent représenter « qu’un nombre proportionné et suffisamment limité de mineurs non accompagnés » (article 33 (3)), alors que les tuteurs sont a priori ceux qui accompagneront le plus longtemps ces mineurs.
En cas de situation exceptionnelle ou dans l’hypothèse d’un nombre disproportionné de demandes, les États membres doivent prévoir cette désignation dans leurs plans d’urgence. Celle-ci peut alors être « reportée de dix jours ouvrables et le nombre de mineurs non accompagnés par représentant peut être revu à la hausse, jusqu’à une limite maximale de cinquante mineurs non accompagnés » à condition d’en informer la Commission et l’Agence pour l’asile (art. 27 (1) de la directive « Accueil »).
Dans l’ensemble, ce dispositif est largement insuffisant pour répondre aux enjeux que posent les procédures de filtrage. La désignation du représentant se fait a minima dans cette hypothèse car il est prévu que « lorsqu’un représentant n’a pas été désigné, une personne formée à la sauvegarde de l’intérêt supérieur et au bien-être général du mineur accompagne et assiste le mineur non accompagné lors du filtrage d’une manière adaptée aux enfants et à leur âge et dans une langue qu’il peut comprendre », étant précisé que « cette personne est la personne désignée pour agir provisoirement en tant que représentant en vertu de la directive (UE) 2024/1346 lorsque cette personne a été désignée au titre de ladite directive » (art. 13(2) du règlement « Filtrage »). Cette personne doit avoir les « compétences nécessaires » et doit agir « afin de sauvegarder l’intérêt supérieur et le bien-être général du mineur et afin que le mineur non accompagné puisse bénéficier des droits et se conformer aux obligations au titre du présent règlement » (article 13(3) du règlement « Filtrage »). Ce ne peut être le professionnel en charge de réaliser le filtrage et elle ne peut recevoir « d’ordre d’aucune personne chargée du filtrage ou des autorités de filtrage ». Elle ne pourra accompagner qu’une trentaine de mineurs non accompagnés « dans des circonstances normales ». Et surtout il est précisé que « le fait qu’un représentant ou une personne agissant provisoirement en tant que représentant n’a pas été désigné […] n’est pas de nature à empêcher un mineur non accompagné d’exercer son droit de demander une protection internationale ». Le législateur européen semble ainsi avoir anticipé les difficultés de désignation d’un représentant au stade du filtrage.
Dans l’ensemble, le dispositif apparaît particulièrement complexe en ce que les règles applicables varient d’une procédure à l’autre, parfois sans réelle cohérence. Il est alors loisible de se demander s’il n’aurait pas été plus opportun de proposer un instrument dédié qui aurait eu le mérite de la clarté et qui aurait peut-être permis de répondre aux questions laissées en suspens : que se passe-t-il si le délai de désignation n’est pas respecté ? ; dans quelle temporalité doit-on passer de la personne apte à agir provisoirement au représentant et du représentant au tuteur ? ; les obligations prévues dans certains règlements (confidentialité, vérification des antécédents judiciaires, etc.) sont-elles valables dans tous les cas ? ; à partir de quel stade peut-on considérer qu’il y a un nombre disproportionné de demandes déposées par des mineurs non accompagnés ?
Il apporte tout de même un certain nombre de précisions utiles qui devront être intégrées au droit français : la vérification des antécédents judiciaires, la nécessité de prévoir un contrôle de l’action du représentant, la limitation du nombre de mesures, etc.[50] Espérons également que le délai de quinze jours soit de rigueur et qu’à son issue, un mécanisme soit pensé pour contraindre l’autorité en charge de la désignation à le faire.
In fine, le nouveau Pacte sur l’asile et la migration, malgré quelques avancées salutaires, est particulièrement préjudiciable pour les mineurs non accompagnés, notamment au regard de la procédure de « filtrage » et du changement de critère de désignation de l’État membre responsable. Surtout, il illustre toutes les limites du principe d’intérêt supérieur de l’enfant : son indétermination, sa malléabilité, en particulier lorsqu’il se heurte à des considérations d’ordre politique et sécuritaire. Au regard des observations réalisées, l’intérêt supérieur de l’enfant apparaît comme une considération non pas primordiale, mais bien secondaire de ce nouvel édifice législatif. Pourtant, il n’est pas inutile de rappeler que tous les États membres de l’Union européenne ont ratifié la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, que le principe a été inclus dans la Charte des droits fondamentaux et qu’il est systématiquement rappelé dans tous les instruments du Pacte. L’interprétation qu’en fournissent le Comité des droits de l’enfant, la Cour européenne des droits de l’homme et surtout la Cour de Justice de l’Union européenne aurait dû guider le législateur européen. Telle n’était pas son ambition puisque pour les mineurs non accompagnés comme pour les ressortissants étrangers, la garantie de leurs droits fondamentaux est accessoire.
Notes de bas de page
- [1] United Nations, Constitution of the International Refugee Organization, 15th December 1946, Annex 1, Part 1, Section A « Definition of refugees », § 4 : « the term “ refugee ” also applies to unaccompanied children who are war orphans or whose parents have disappeared, and who are outside their countries of origin ».
- [2] L’article 22 dispose plus précisément que « les États parties prennent les mesures appropriées pour qu'un enfant qui cherche à obtenir le statut de réfugié ou qui est considéré comme réfugié en vertu des règles et procédures du droit international ou national applicable, qu'il soit seul ou accompagné de ses père et mère ou de toute autre personne, bénéficie de la protection et de l'assistance humanitaire voulues pour lui permettre de jouir des droits que lui reconnaissent la présente Convention et les autres instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme ou de caractère humanitaire auxquels lesdits États sont parties ».
- [3] Résolution du Conseil de l’Union européenne du 26 juin 1997 concernant les mineurs non accompagnés ressortissants de pays tiers (JOCE du 19 juillet 1997, C.221/23).
- [4] Cette définition est celle figurant aux articles 2 ou 3 des différents instruments du Pacte sur l’asile et la migration et qui sont dédiés aux définitions. Elle correspond à la définition qui était déjà donnée par les instruments du RAEC.
- [5] Art. L. 111-2 du Code de l’action sociale et des familles (ci-après « CASF »).
- [6] Cela se déduit d’une lecture combinée des articles L. 611-3 1° et L. 631-4 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (ci-après « CESEDA »).
- [7] Mission mineurs non accompagnés, Rapport annuel d’activité 2022, 2023, p. 7 et Tableau de suivi des MNA 2023, accessible en ligne (consulté le 5 septembre 2024) : https://www.justice.gouv.fr/documentation/ressources/tableaux-suivi-annuels-mineurs-non-accompagnes.
- [8] OFPRA, Rapport d’activité 2023 : à l’écoute du monde, juillet 2024, p. 60.
- [9] Art. L. 521-9 CESEDA.
- [10] Art. 25 de la Directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (JOUE du 29 juin 2013).
- [11] Pour les taux en 2022 et 2023 V. OFPRA, Rapport d’activité 2023, juillet 2024, p. 60.
- [12] Cette possibilité a néanmoins été fortement nuancée par la Cour de cassation qui a retenu que l’acte d’état civil reconstitué par l’OFPRA, en ce qu’il est fondé sur les déclarations du jeune, ne fait foi que jusqu’à preuve du contraire. V. Civ. 1re, 15 mars 2023, n° 22-18.147, D. 2023, p. 554 ; D. actu. 31 mars 2023, obs. N. ALLAIX ; JCP N n° 13, mars 2023, act. 453 ; Dr. fam. n° 6, juin 2023, comm. 95, note I. MARIA.
- [13] Cour de justice de l’Union européenne, Grande chambre, 30 janvier 2024, Landeshauptmann von Wien, aff. C-560/20, D. actu. 6 février 2024, obs. E. MAUPIN ; AJ fam. 2024, p. 168, obs. L. JARDIN ; Europe n° 3, mars 2024, comm. 108, note F. GAZIN.
- [14] D. BURRIEZ, « La protection des mineurs isolés demandeurs d’asile : vers une nouvelle confrontation entre l’État et les départements ? », AJDA 2020, p. 2125.
- [15] Sur tous ces aspects, V. chapitre dédié L. JARDIN, La protection des mineurs non accompagnés en France, thèse dactyl., dir. J. FERNANDEZ et B. MALLEVAEY, Université Paris Panthéon-Assas, 2022, § 1164 et s.
- [16] À l’exception du règlement 2024/1352 dédié à la partie opérationnelle du filtrage (lien entre les différents traitements de données à caractère personnel pour faciliter l’identification des personnes étrangères).
- [17] Art. 5 et 7 du règlement (UE) 2024/1356 du Parlement européen et du Conseil du 14 mai 2024 établissant le filtrage des ressortissants de pays tiers aux frontières extérieures et modifiant les règlements (CE) n° 767/2008, (UE) 2017/2226, (UE) 2018/1240 et (UE) 2019/817 (JOUE du 22 mai 2024) dit règlement « Filtrage ».
- [18] Art. 43 du règlement (UE) 2024/1348 du Parlement européen et du Conseil du 14 mai 2024 instituant une procédure commune en matière de protection internationale dans l’Union et abrogeant la directive 2013/32/UE (JOUE du 22 mai 2024), dit règlement « Procédures ».
- [19] V. C. BRICE-DELAJOUX, « Réflexions à propos de l’adoption imminente de la réforme du droit d’asile européen », BPDA n° 1, avril 2024.
- [20] Une exception est prévue lorsqu’il « existe des motifs raisonnables de considérer que le demandeur constitue un danger pour la sécurité nationale ou l’ordre public de l’État membre » (article 53 du règlement « Procédures »). Elle devrait, en l’occurrence, devrait concerner peu de cas.
- [21] Art. 40 de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration (JO n° 0022 du 27 janvier 2024, texte n° 1) désormais prévu à l’art. L. 741-5 du CESEDA.
- [22] M. SAULIER, « Quand cesserons-nous d’enfermer des enfants ? », RJPF n° 7-8, juillet 2023, p. 47.
- [23] Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille et Comité des droits de l’enfant, Observation générale conjointe n° 4 (2017) du Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille et n° 23 (2017) du Comité des droits de l’enfant sur les obligations des États en matière de droits de l’homme des enfants dans le contexte des migrations internationales dans les pays d’origine, de transit, de destination et de retour, 16 novembre 2017, CMW/C/GC/4− CRC/C/GC/23, § 5.
- [24] Art. 23 du Règlement (UE) 2024/1358 du Parlement européen et du Conseil du 14 mai 2024 relatif à la création d’« Eurodac » pour la comparaison des données biométriques aux fins de l’application efficace des règlements (UE) 2024/1351 et (UE) 2024/1350 du Parlement européen et du Conseil et de la directive 2001/55/CE du Conseil et aux fins de l’identification des ressortissants de pays tiers et apatrides en séjour irrégulier, et relatif aux demandes de comparaison avec les données d’Eurodac présentées par les autorités répressives des États membres et par Europol à des fins répressives, modifiant les règlements (UE) 2018/1240 et (UE) 2019/818 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil (JOUE du 22 mai 2024), dit règlement « Eurodac ».
- [25] Art. 14 du même règlement.
- [26] Art. 11 du règlement (UE) 2024/1359 du Parlement européen et du Conseil du 14 mai 2024 visant à faire face aux situations de crise et aux cas de force majeure dans le domaine de la migration et de l’asile, et modifiant le règlement (UE) 2021/1147 (JOUE du 22 mai 2024) dit règlement « Crise ».
- [27] Art. 8 (1) du règlement « Filtrage ».
- [28] V. PADILLA (F.), « La “directive retour” : analyse critique sous l’angle du respect des droits fondamentaux et des droits de l’enfant », JDJ n° 285, 2009/5, p. 51.
- [29] Art. 17 de la directive 2008/115/CE du parlement européen et du conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (JOUE du 26 décembre 2008), dite directive « Retour ».
- [30] Des exigences similaires sont d’ailleurs prévues par l’article 12 de la Directive (UE) 2024/1346 DU Parlement européen et du Conseil du 14 mai 2024 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant une protection internationale (JOUE du 22 mai 2024) mais elle n’envisage la rétention du mineur non accompagné que si la mesure vise à le protéger.
- [31] Art. 13 du règlement « Filtrage ».
- [32] Art. 12 du règlement « Filtrage ».
- [33] Pour un historique de leur instauration et des difficultés de mise en œuvre, voir K. PARROT, L. IMBERT, « La “crise migratoire” fantasmée ou l’échec programmé de la forteresse Europe », La Revue des juristes de Sciences PO n° 12, 16 décembre 2016, p. 131. Rappelons que le Haut Commissariat pour les réfugiés s’était retiré des hotspots grecs en 2016 en raison des conditions de vie insuffisantes (« Pour le HCR, les “hotspots” sont devenus des “centres de détention” », Le Monde, 22 mars 2016).
- [34] Art. 14 (1) du règlement « Eurodac ».
- [35] H. LABAYLE, « La crise des politiques européennes d'asile et d'immigration, regard critique », RFDA, 2017, p. 893.
- [36] Règlement UE) 2024/1351 du Parlement européen et du Conseil du 14 mai 2024 relatif à la gestion de l’asile et de la migration, modifiant les règlements (UE) 2021/1147 et (UE) 2021/1060 et abrogeant le règlement (UE) n° 604/2013 (JOUE du 22 mai 2024).
- [37] Art. 8 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (JOUE du 29 juin 2013).
- [38] Cour de justice de l’Union européenne, 6 juin 2013, MA, BT, DA c. Secretary of State for the Home Department, aff. C-648/11, Rec. CJUE ; AJDA, 2013, p. 1684, chron. M. AUBERT, E. BROUSSY, H. CASSAGNABERE ; D., 2013, p. 1476 et p. 2073, obs. P. BONFILS et A. GOUTTENOIRE et 2014, p. 445, obs. S. CORNELOUP ; RTD eur., 2015, p. 178, chron. F. BENOIT-ROHMER ; Europe n° 8-9, août 2013, comm. 342, note F. GAZIN ; JCP A n° 25, 17 juin 2013, act. 528 ; RJPF, octobre 2013, n° 10, p. 33.
- [39] Commission européenne, Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (UE) n° 604/2013 en ce qui concerne la détermination de l’État membre responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un mineur non accompagné dont aucun membre de la famille, frère ou sœur ou proche ne se trouve en séjour régulier dans un État membre, 26 juin 2014, COM(2014) 382 final, 2014/0202 (COD), p. 3 et article. 4 ter.
- [40] Commission européenne, Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (refonte), 4 mai 2016, COM(2016) 270 final, 2016/0133(COD), considérant n° 20 du préambule.
- [41] S. CORNELOUP et P. DE CORSON, « Les critères du règlement Dublin III », in L. AIT AHMED, E. GALLANT, H. MEUR (dirs.), Quelle protection pour les mineurs non accompagnés ?, Actes du colloque organisé le 21 juin 2018, coll. Bibliothèque de l’IRJS - André Tunc, Paris, IRJS éds., 2019, p. 41.
- [42] OFPRA, Rapport d’activité 2023 : à l’écoute du monde, ibid., p. 84.
- [43] Sur les chiffres de la demande d’asile à la frontière des mineurs non accompagnés, voir V. TCHEN, Fasc. 233-58 : « Étrangers – Entrée en France – Contrôle aux frontières », JCl. Administratif, juin 2024, § 114.
- [44] Il s’agit de l’article 27 de la Directive « Accueil », de l’article 23 du Règlement (UE) 2024/1347 « Qualification », de l’article 23 du Règlement « Procédures », de l’article 23 du Règlement (UE) 2024/1351 « Gestion asile et migration », de l’article 13 du Règlement « Filtrage » et de l’article 14 du Règlement (UE) 2024/1358 « Eurodac ».
- [45] Pour une synthèse de ces difficultés, voir P. DE CORSON, « La procédure d’évaluation de la minorité des jeunes étrangers isolés, vecteur de protection ou d’exclusion ? », in B. MALLEVAEY, L. JARDIN (dir.), L’âge en droit de l’enfance, de la famille et des personnes, coll. Colloques et essais, Bayonne, Institut Francophone pour la Justice et la Démocratie, 2024, p. 147.
- [46] T. FLEURY GRAFF, A. MARIE, Droit de l’asile, coll. Droit fondamental, Paris, P.U.F., 2e éd., 2021, § 91.
- [47] Sur cette question, voir D. BURRIEZ, « Mineurs isolés sur le territoire : une atteinte au droit de solliciter l’asile en France », RDLF, 2018, chron. n° 21.
- [48] V. L. JARDIN, La protection des mineurs non accompagnés en France, thèse, ibid., § 419 et s.
- [49] Plusieurs dispositions y renvoient spécifiquement et certaines d’entre elles reprennent les mêmes garanties, tel que l’article 23 du Règlement « Procédures ».
- [50] Sur ces aspects, V. L. JARDIN, La protection des mineurs non accompagnés en France, thèse, ibid., § 1202 et s.