Le statut juridique du mineur est traditionnellement le fruit d’un équilibre entre son assimilation aux adultes qui l’élèvent et la prise en compte de son individualité de personne juridique capable en devenir. Selon les aspirations sociales et politiques de l’ordre juridique qui le définit, la balance penchera en faveur de l’un ou de l’autre, étant à ce jour acquis que le compromis doit nécessairement s’opérer dans l’intérêt supérieur de l’enfant. 

L’apparition du mineur en tant que véritable sujet du droit de l’asile est relativement récente et témoigne à sa manière de l’objectivisation de la matière depuis la fin du XXe siècle. Longtemps, l’asile fut envisagé comme un outil juridique et politique visant à protéger les activités et opinions individuelles exposées aux représailles de pays « ennemis ». L’enfant était donc naturellement empêché de le solliciter en son nom propre à défaut de motif sur lequel il aurait pu se fonder. L’adulte réfugié, cependant, s’était très tôt vu reconnaître un droit à l’unité de famille, lui garantissant que soit accordé à son enfant le même statut que le sien à titre dérivé[1]. La fin de la guerre froide et l’influence du droit de l’Union européenne ont progressivement recentré le droit de l’asile vers une logique plus objective, visant avant tout à protéger contre des risques de mauvais traitements. Le motif pour lequel ces derniers sont craints n’est alors potentiellement plus qu’imputé, s’il n’est pas tout simplement indifférent en matière de protection subsidiaire. Le risque peut émaner des autorités publiques, de personnes privées, voire d’un contexte sécuritaire général, et conduire à l’octroi de l’asile alors même qu’il n’est pas explicitement invoqué par le demandeur[2]. Ces évolutions ont ainsi permis d’ouvrir le droit d’asile à de nouvelles catégories de victimes qui en étaient auparavant écartées, tels que les femmes et les mineurs. 

1. Les origines de l’affaire enfant N. S. : subjectivisation du mineur et lutte contre son instrumentalisation procédurale 

Après l’ouverture de l’asile aux persécutions émanant de personnes privées[3], le risque d’excision est rapidement devenu le motif plus invoqué par les enfants qui sollicitent la reconnaissance d’une protection internationale en leur nom propre. S’il a initialement donné lieu à une jurisprudence peu lisible et centrée sur le droit d’asile du parent de la Commission de recours des réfugiés (ci-après  «  CRR ») puis de la Cour nationale du droit d’asile (ci-après  « CNDA »), le Conseil d’État a finalement rappelé en 2012 qu’à l’instar de tout mineur répondant aux conditions d’un réfugié, un enfant exposé à une mutilation sexuelle pouvait se voir reconnaître cette qualité en son nom propre et en raison de son appartenance à un groupe social[4]. Cette avancée jurisprudentielle a permis de placer près de 20 000 mineures sous la protection de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (ci-après « OFPRA »)[5]. Mais si le motif de l’excision a jalonné les pratiques d’octroi de l’asile aux mineurs en leur nom propre, il n’est pas le seul fondement pour lequel un mineur peut solliciter une protection. Peuvent être invoquées d’autres caractéristiques innées (ex : albinisme), familiales (enfant adultérin, naturel) ou sociales (enfant soldat, enfant sorcier), mais également des craintes conjointes ou émanant indirectement des opinions ou des activités de ses parents (v. infra, 2., B. (2), sur la notion de « craintes propres »).

L’ouverture de l’asile aux mineurs en leur nom propre s’est rapidement accompagnée d’une série de mesures légales et réglementaires visant à encadrer la procédure applicable à ce nouveau sujet. Sans même évoquer la situation spécifique des mineurs isolés (mineurs non accompagnés – MNA), le mineur, même accompagné, demeure un être particulièrement vulnérable, a fortiori dans un parcours migratoire. Des procédures spécifiques aux demandes fondées pour un risque d’excision ont donc été adoptées afin de définir les modalités de preuve médicale et de suivi administratif des enfants protégés[6]. Les conditions de l’audition du mineur ont également été encadrées, lui permettant d’être entendu seul si l’Office suspecte qu'il ait pu subir des persécutions ou des atteintes graves dont les membres de sa famille n'auraient pas connaissance ou en seraient les auteurs[7].

La majorité des dispositifs légaux mis en place s’agissant des mineurs accompagnés traduisent toutefois la volonté du législateur de lutter contre l’instrumentalisation de leurs demandes par leurs parents à des fins dilatoires, abusives ou frauduleuses. La ratio legis n’est alors plus tant la vulnérabilité du mineur que l’objectif de réduction des délais et des coûts de la demande d’asile. Afin d’établir un suivi administratif des dossiers, le législateur a d’abord imposé que chaque demande instruite par l’OFPRA fasse l’objet d’un enregistrement préfectoral préalable[8], mettant ainsi fin à la création de dossiers de mineurs par l’Office à partir de ceux de leurs parents. Mais c’est la loi du 10 septembre 2018[9] qui, transposant en droit interne la notion de « demande d’asile familiale » prévue par l’article 7 de la directive 2013/32/UE (dite « Procédures »), a véritablement bouleversé la procédure applicable aux demandes des mineurs accompagnés. Elle pose pour principe que la demande d’asile présentée par un étranger qui se trouve en France avec ses enfants mineurs soit regardée comme présentée en son nom et en celui de ces derniers[10]. Si le dispositif s’avère protecteur à l’égard des enfants de bénéficiaires de la protection subsidiaire[11], qui ne pouvaient jusqu’alors se prévaloir du principe de l’unité de famille réservé aux proches de réfugiés[12], il vise parallèlement à limiter les demandes d’asile présentées par les parents déboutés au nom de leurs enfants, en assimilant ces derniers à la demande initiale de leurs parents. Il s’agissait ainsi de faire obstacle à la pratique dilatoire consistant pour des déboutés du droit d’asile à déposer « des demandes d’asile successives, au nom de leurs enfants, sur la base des mêmes moyens » que ceux invoqués à l’appui de leur propre demande, et qui imposait à l’autorité de l’asile « un nouvel examen de chacune de ces demandes » alors qu’elles avaient pour réel objectif « de prolonger leur séjour sur le territoire français »[13]

Si la rédaction de la loi aurait pu donner lieu à une interprétation minimaliste, le Conseil d’État, par une approche résolument finaliste et pragmatique, s’est efforcé de « donner tout son poids au principe du caractère familial des demandes d’asile »[14]. Par une décision du 6 novembre 2019[15], il a d’abord considéré que le dispositif s’appliquait de manière rétroactive : ainsi la demande introduite en 2017 par une mineure albanaise qui était présente en France au moment de la demande d’asile de son père, débouté par la CNDA quelques mois auparavant, devait être regardée comme une demande de réexamen pour laquelle l'Office pouvait s’abstenir de procéder à un entretien. Ont donc été placées en procédure de réexamen par les préfectures et, si besoin sur requalification de l’OFPRA, les demandes d’asile présentées au nom de mineurs dès lors qu’ils étaient sur le territoire français lors de l’enregistrement de la demande d’asile de leurs parents finalement déboutés. 

En outre, par une décision du 27 janvier 2021 prise dans le cadre d’un litige opposant l’OFII à une femme nigériane s’agissant de son droit au bénéfice des conditions matérielles d’accueil (CMA)[16], le Conseil d’État est venu étendre l’application du dispositif à l’ensemble des mineurs présents postérieurement à l’enregistrement de la demande d’asile de leurs parents, et ce jusqu’à la décision définitive prise sur cette dernière. Il considère à cet égard qu’: 


« [i]l appartient à l'étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile de présenter une demande en son nom et, le cas échéant, en celui de ses enfants mineurs qui l'accompagnent. En cas de naissance ou d'entrée en France d'un enfant mineur postérieurement à l'enregistrement de sa demande, l'étranger est tenu, tant que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou, en cas de recours, la Cour nationale du droit d'asile, ne s'est pas prononcé, d'en informer cette autorité administrative ou cette juridiction. La décision rendue par l'office ou, en cas de recours, par la Cour nationale du droit d'asile, est réputée l'être à l'égard du demandeur et de ses enfants mineurs, sauf dans le cas où le mineur établit que la personne qui a présenté la demande n'était pas en droit de le faire ». 


Ainsi, la demande présentée par une mère au nom de son fils mineur, né postérieurement à l’enregistrement de sa demande d’asile mais présent à la date à laquelle la CNDA avait définitivement rejeté sa propre demande, devait être regardée comme une demande de réexamen permettant ainsi de refuser à la famille le bénéfice des conditions matérielles d’accueil. 

Cette décision a considérablement complexifié le traitement procédural des demandes présentées au nom de mineurs lorsque la demande d’asile de leurs parents est pendante. 

En enjoignant au parent en cours de demande d’asile d’informer l’OFPRA ou, en cas de recours, la CNDA de l’arrivée ou la naissance d’un enfant et ainsi de ses craintes, le Conseil d’État avait néanmoins pu sembler vouloir renvoyer l’examen de la demande d’asile d’un mineur né ou arrivé sur le territoire en cours de procédure à l’autorité administrative ou judiciaire selon le stade d’avancement de celle de son parent. C’est au moins en ce sens que l’OFPRA l’avait compris et mis en œuvre ; partant, la demande présentée au nom d’un mineur né en cours de procédure était transmise à l’officier de protection en charge de la demande du parent tant que l’Office ne s’était pas prononcé sur celle-ci ; en revanche, lorsque la demande parvenait à l’OFPRA alors qu’il avait déjà été statué négativement sur celle du parent et qu’un recours était pendant, le dossier était alors transmis à la CNDA afin qu’elle se prononce sur le besoin de protection nouvellement invoqué. 

La pratique ainsi retenue par l’OFPRA suscitait toutefois des interrogations, sinon des critiques, s’agissant du respect de la personnalité juridique de l’enfant et de son droit à faire valoir un besoin individuel de protection, tel que le risque de subir l’excision. En effet, informée de la naissance d’une fillette potentiellement exposée à telle mutilation, la CNDA était parfois invitée par l’Office à se prononcer alors que l’enfant, née postérieurement à l’entretien de ses parents, n’avait par définition pas pu faire valoir ce motif devant l’OFPRA. La position adoptée par les différentes formations de jugement de la Cour face aux dossiers de mineurs qui lui étaient adressés n’était cependant pas homogène. On pouvait ainsi identifier quatre grands types de raisonnements : 
- Certaines formations considéraient qu’il convenait d’annuler partiellement la décision de l’OFPRA sur la demande du parent en ce qu’elle concernait l’enfant, privé de la garantie essentielle que constitue l’entretien; 
- D’autres acceptaient de se prononcer sur la demande du mineur s’il s’agissait d’une décision positive ; 
- D’autres encore s’en tenaient à écarter les conclusions présentées au nom de l’enfant, jugées « irrecevables » à défaut de décision préalable de l’OFPRA ; 
- D’autres, enfin, choisissaient d’ignorer simplement les conclusions ou la demande transmises au nom de l’enfant. 
Selon ces deux dernières approches, le mineur, privé d’invoquer son besoin de protection avant le prononcé de la décision sur le recours du parent, était alors voué à patienter jusqu’à ce que la Cour statue définitivement sur la demande de celui-ci pour les invoquer à l’appui d’une demande de réexamen[17]. La confusion générale était en outre entretenue par une approche divergente des préfectures, qui refusaient pour certaines d’enregistrer les demandes d’asile des mineurs nés en cours de procédure[18]

C’est finalement dans le cadre de la demande d’asile de l’enfant N. S. que la CNDA puis le Conseil d’État ont tenté de concilier les garanties procédurales du mineur avec la volonté du législateur de limiter les demandes dilatoires ou de réexamen déguisées. L’aménagement ne concerne toutefois que les demandes présentées au nom d’un enfant pendant la procédure de son parent. S’agissant des demandes formées par les mineurs postérieurement au rejet définitif de la demande de leurs parents, le Conseil d’État a, quelques mois plus tard, tranché en faveur d’une approche beaucoup plus stricte, et qui interroge quant à la cohérence d’ensemble du régime procédural applicable à la demande d’asile du mineur accompagné (v. infra, 3/). 

2. La jurisprudence enfant N. S. : une tentative de conciliation entre les droits procéduraux de l’enfant et la lutte contre les demandes d’asile dilatoires (demande du mineur accompagné par un parent en cours de procédure)

Née quelques semaines après l’audition de son père à l’OFPRA d’une mère qui n’avait elle-même pas formé de demande d’asile, la mineure sénégalo-ivoirienne N. S. avait présenté, quelques mois après le rejet de celle de son père par l’Office, une demande fondée sur le risque qu’elle soit soumise à une mutilation sexuelle. Son père ayant formé un recours devant la CNDA, l’Office, conformément à sa pratique résultant de la jurisprudence du 27 janvier 2021, avait transmis à la Cour la demande présentée au nom de cette enfant, afin que la juridiction se prononce sur son droit à bénéficier d’une protection internationale, et avait informé par courriel son père de cette transmission.  

A. La position adoptée par la CNDA 

Présentant un recours distinct au nom de la mineure contre le courriel de l’OFPRA qu’il interprétait comme un refus d’introduire la demande de la mineure, le conseil de cette dernière en sollicitait l’annulation et le renvoi de l’examen de la demande à l’OFPRA, dans la mesure où il estimait que la garantie essentielle de la mineure à bénéficier d’un entretien avait été méconnue. La CNDA a jugé que le recours soulevait plusieurs questions juridiques sérieuses et, afin d’harmoniser sa jurisprudence sur cette question, l’a audiencé en grande formation. 

Par une décision du 7 mars 2023, la CNDA a renvoyé l’examen de la demande de l’enfant N. S. à l’OFPRA. Après avoir repris les principaux considérants de la décision du Conseil d’État du 21 janvier 2021, elle a      ajouté que les dispositions du CESEDA : 
« ne font pas non plus obstacle à ce que les parents d’un enfant né après l’enregistrement de leur demande d’asile présentent une demande pour cet enfant alors que la procédure concernant leur demande initiale est encore en cours. Il appartient à l’OFPRA d’examiner ces éléments nouveaux dans le cadre de l’examen de la demande initiale s’il n’a pas encore statué sur cette demande. Il lui appartient également de statuer sur la demande présentée pour l’enfant s’il a déjà statué sur la demande des parents, quand bien même un recours est encore pendant devant la Cour nationale du droit d’asile et que ces derniers pourraient invoquer ces nouveaux éléments devant la Cour à l’appui de leur propre recours. Dans un cas comme dans l’autre, il appartient à l’Office de procéder à un nouvel entretien des parents de l’enfant si les craintes propres invoquées pour l’enfant n’ont pu être évoquées lors de l’entretien sur la demande initiale »[19].

Dans la mesure où les craintes propres invoquées en son nom n’avaient pu être évoquées lors de l’entretien mené avec son père dans le cadre de la demande d’asile de ce dernier, l’enfant était donc fondé à contester la décision de refus d’examen de l’OFPRA, qui était ainsi tenu d’auditionner à nouveau son représentant légal. 

B. L’approche retenue par le Conseil d’État 

Saisi d’un pourvoi formé par l’OFPRA contre la décision rendue le 7 mars 2023 par la CNDA, le Conseil d’État a, dans une décision du 27 novembre 2023[20], confirmé pour l’essentiel le considérant de principe retenu par la grande formation, en l’assortissant toutefois de deux limites. 

Reconnaissant que pouvaient être tirées de la décision du 27 janvier 2021 des « conséquences maximalistes », le rapporteur public Clément Malverti avait cependant rappelé à la juridiction que la « délicate » question qui lui était posée supposait « de concilier deux séries d’exigences potentiellement contradictoires : d’une part, le droit pour le demandeur d’asile à un examen individuel de sa demande et à un entretien personnel, d’autre part, le principe du caractère familial des demandes d’asiles, en vertu duquel la décision prise sur une demande d’asile est réputée l’être à l’égard du demandeur et de ses enfants mineurs »[21].

Afin d’aménager ces objectifs, l’obligation reposant sur l’OFPRA de convoquer à nouveau les parents déjà auditionnés sur les craintes de leur enfant devait selon lui :
-    D’une part, « être circonscrite à l’hypothèse dans laquelle l’enfant se prévaut de craintes qui lui sont propres, car lorsque ces dernières sont similaires à celles dont se prévalent les parents, l’OFPRA doit être réputé les avoir examinées lors de l’examen de la demande des parents » ;
-    D’autre part, être écartée « lorsque le demandeur n’a pas informé l’OFPRA des craintes propres de son enfant dans un délai raisonnable à compter de sa naissance ou de son entrée en France », les parents devant le cas échéant « être regardés comme ayant eux-mêmes consenti à ce que les craintes propres du mineur fassent uniquement l’objet d’un examen par la CNDA »[22].

Suivant les conclusions de son rapporteur public, le Conseil d’État est ainsi venu apporter, sinon un revirement de la solution retenue dans sa décision du 27 janvier 2021, à tout le moins des précisions quant au régime applicable à la demande du mineur présentée après l’enregistrement de la demande d’asile de son parent. Il a ainsi rappelé qu’: 
« 'il appartient à l'étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile de présenter une demande en son nom et, le cas échéant, en celui de ses enfants mineurs qui l'accompagnent et de faire valoir, s'il y a lieu, les craintes propres de persécution de ses enfants lors de [son propre] entretien (…). Il en va également ainsi en cas de naissance ou d'entrée en France d'un enfant mineur postérieurement à l'enregistrement de sa demande, l'étranger étant tenu d'informer dans les meilleurs délais l'Office de cette naissance ou entrée, y compris lorsque l'Office a déjà statué sur sa demande ».

Selon le Conseil d’État, la question de la nécessité de conduire un nouvel entretien sur les craintes d’un mineur se pose lorsque celui-ci est entré ou né en France après l’audition du parent sur sa propre demande d’asile. En effet, « [e]n cas de naissance ou d'entrée en France d'un enfant mineur antérieurement à l'entretien avec l'étranger, la décision rendue par l'Office est réputée l'être à l'égard du demandeur et de l'enfant » dans la mesure où le parent avait la possibilité de faire valoir les craintes de ce dernier à l’occasion de son entretien personnel à l’OFPRA.

En revanche, « [s]i cette naissance ou cette entrée intervient postérieurement à l'entretien avec l'étranger, et si l'enfant se prévaut de craintes propres de persécution, il appartient à l'OFPRA de convoquer à nouveau l'étranger afin qu'il puisse, le cas échéant, faire valoir de telles craintes (…) ».

Par conséquent, le mineur doit être considéré comme ayant été privé d’un examen individuel et de la garantie essentielle que constitue l’audition lorsque l’Office s’est abstenu de procéder à une nouvelle convocation alors qu’il est né ou entré en France après l’audition de son parent et fait valoir, dans un délai raisonnable, des « craintes propres de persécution ». Il appartient dès lors à la CNDA d'annuler la décision de l'OFPRA et de lui renvoyer l'examen de la demande du mineur « si, d'une part, elle n'est pas en mesure de prendre immédiatement une décision positive sur la demande de protection de l'enfant au vu des éléments établis devant elle et, d'autre part, elle estime que l'absence de prise en compte de l'enfant ou de ses craintes propres par l'Office n'est pas imputable au parent de cet enfant ». 

Si le raisonnement du Conseil d’État semble ainsi dégager une solution simple et équilibrée afin de concilier la garantie de l’examen individuel avec le concept de demande d’asile familiale, sa mise en œuvre concrète restait à définir. D’un point de vue procédural d’abord, la décision du Conseil d’État supposait la mise en place d’un processus à l’OFPRA permettant d’identifier la nature du besoin de protection invoqué par un parent au nom d’un mineur après l’enregistrement de sa propre demande d’asile afin de l’instruire si nécessaire (1). En outre, elle suppose d’expliciter la notion de « craintes propres de persécution » du mineur, aisément compréhensible s’agissant du risque d’excision des jeunes filles, mais plus difficile à appréhender s’agissant d’autres motifs susceptibles d’être invoqués (2). 

(1). Les conséquences procédurales sur les demandes d’asiles introduites à l’OFPRA au nom de mineurs par des parents dont la demande d’asile est pendante

Les principes dégagés par le Conseil d’État supposent de tenir compte de la date à laquelle la demande d’asile du mineur est présentée à l’OFPRA et de celle à laquelle l’entretien de l’un de ses parents (ou des deux) s’est tenu. 

a. Les demandes d’asile présentées simultanément à l’OFPRA par un parent et ses enfants présents sur le territoire ne posent que peu de difficultés. Le cas échéant, l’autorité préfectorale est en effet tenue d’enregistrer simultanément l’ensemble des mineurs en tant que demandeurs d’asile et de les faire figurer sur l’attestation de demande d’asile (ADA) du parent[23]. A réception du dossier, l’OFPRA l’introduit comme une demande d’asile familiale. Lorsque les deux parents sont présents, les mineurs sont par défaut rattachés au dossier de leur mère (« parent 1 »). Une lettre est adressée à ce parent l’informant de l’introduction de sa demande et de celle de ses enfants mineurs présents sur le territoire. Ces demandes feront, en principe, l’objet d’une instruction conjointe (« parent 1 » et « mineurs A »), sauf s’il apparaît à la lecture des dossiers ou lors de l’audition du parent que l’un ou plusieurs des mineurs font état d’un motif supposant une instruction séparée et/ou une décision individuelle. Contrairement à la CNDA[24], l’OFPRA ne prend jamais, dans le même instrument, de décisions ayant des sens différents : la demande d’un mineur donnant lieu à une décision positive alors que celle de son parent est rejetée sera nécessairement instruite de manière séparée. Le cas échéant, le nom du mineur n'apparaît pas sur la décision du parent, qui fait mention de la disjonction du dossier de l’enfant.  

b. Lorsque la demande est présentée au nom d’un mineur par un parent après l’introduction de sa propre demande d’asile, mais avant la date de son entretien à l’OFPRA, la situation s’apparente à la précédente. Lors de son introduction, le formulaire adressé au nom du mineur est joint au dossier de son parent et transmis à l’agent déjà en charge de l’instruction de la demande de ce dernier en vue de poser, si nécessaire, des questions spécifiques lors de l'entretien à venir. Ici encore et selon les mêmes modalités, la demande de l’enfant pourra donner lieu à une instruction séparée s’il apparaît qu’il fait état de motifs propres ou que le sens de la décision n’est pas le même que celui de son parent. 

Dans ces deux situations, la garantie essentielle que constitue l’entretien de demande d’asile est satisfaite s’agissant du mineur dont le parent sera nécessairement invité, lors de son audition, à s’exprimer sur le besoin de protection invoqué au nom de son enfant. 

c. C’est à l’égard des demandes d’asile présentées au nom d’un enfant après l’entretien de son parent par l’OFPRA mais avant que soit prise une décision définitive que trouve pleinement à s’appliquer la jurisprudence enfant N. S. Le cas échéant, il revient à l’OFPRA de déterminer si l’enfant se prévaut, ce faisant, de « craintes propres de persécution », ou si au contraire les motifs allégués sont indissociables de ceux de son parent. En pratique, la demande du mineur est alors introduite par l’OFPRA et transmise à la division géographique en charge de l’instruction du dossier du parent. Cette dernière apprécie alors le caractère « indissociable » ou « propre au mineur » des motifs invoqués. 

- En cas de motifs « indissociables », la demande du mineur reste rattachée à celle de son parent. Si l’Office n’a pas encore statué sur celle-ci, elle est transmise à l’agent qui en est en charge et qui inclura le nom du mineur dans la décision du parent. Lorsque l’Office a déjà statué sur la demande de ce dernier, le dossier du mineur est alors transmis à la CNDA afin que celui-ci soit inclus dans la décision qu’elle prendra sur le recours formé devant elle par le parent. Si la CNDA estime au contraire de l’Office que l’enfant se prévaut de « craintes propres » qui devaient donner lieu à entretien, la décision familiale prise par l’Office sera partiellement annulée s’agissant du mineur réputé inclus de manière infondée, et l’examen du dossier individuel renvoyé à l’OFPRA pour entretien     .  

- Lorsqu’il apparaît en revanche que la demande du mineur fait état de « craintes propres », il faut encore de tenir compte de la date de naissance ou d’entrée en France de ce dernier :

  • En effet, si celui-ci était présent sur le territoire à la date d’entretien de son parent lequel était en mesure d’en faire état à cette occasion, la décision rendue par l'Office est réputée l'être à l'égard du demandeur et de l'enfant selon les termes de la décision du Conseil d’État.
  • En revanche, si l’enfant est né ou entré en France après l’entretien de demande d’asile de son parent et fait valoir des « craintes propres », la division géographique est tenue de procéder à un nouvel entretien, sauf si, pour un motif imputable au parent, celui-ci n’a pas présenté la demande du mineur dans un délai raisonnable. L’intérêt supérieur de l’enfant impose d’apprécier cette exception avec discernement car elle ne saurait conduire à le priver, en raison d’une simple négligence de son parent, d’une protection internationale qui lui est indispensable. 

(2). A la recherche d’une définition des « craintes propres de persécution du mineur ». 

Ainsi qu’il l’a été dit et pour les raisons historiques précédemment rappelées, la notion de « craintes propres » mobilisée par le Conseil d’État s’entend sans trop de difficultés s’agissant des demandes présentées au nom d’une enfant exposée au risque d’excision dans son pays d’origine. S’agissant d’autres motifs, elle donne lieu à bien davantage d’hésitations, notamment de la part de la CNDA. Afin de tenter d’en définir les contours, il convient de la confronter à d’autres qualifications proches employées en matière de protection internationale des membres d’une même famille. 

Protection à titre individuel ou à titre dérivé - Selon la conception qui a longtemps prévalu de l’asile, la qualité de réfugié n’était reconnue qu’aux individus exposés à des persécutions infligées ou encouragées par l’autorité étatique. C’est ainsi qu’un parent, réfugié en sa qualité d’opposant politique, pouvait faire bénéficier ses enfants de la même protection en vertu du principe de l’unité de famille, alors même que ces derniers n’étaient pas eux-mêmes considérés comme exposés à un risque similaire. Depuis 2018, l’octroi de la protection la plus favorable du parent à son enfant est garanti par la loi[25]: c’est donc désormais essentiellement sur le fondement de l’extension légale de protection que les mineurs sont protégés à titre dérivé, le principe jurisprudentiel d’unité de famille ne s’appliquant plus qu’à la marge, par exemple aux mineurs sous la tutelle ou sous l’autorité parentale d’un tiers réfugié. L’octroi d’une protection à titre dérivé suppose cependant que soit préalablement écarté tout risque personnel de persécution de l’enfant. 

Craintes partagées - Le mineur peut partager avec son parent une caractéristique qui fonde le besoin de protection de ce dernier : il en va ainsi lorsque l’enfant et son parent craignent des persécutions en raison de leur genre, de leur appartenance ethnique ou de leur provenance d’une zone dans laquelle sévit un conflit armé. Le cas échéant, il ne saurait être octroyé au mineur une protection dérivée de celle de son parent : c’est bien alors individuellement qu’il craint, pour une raison qui, quoique partagée, lui est propre, de subir des persécutions ou des atteintes graves en cas de retour dans son pays. 

Craintes indirectes - Dans d’autres situations, l’enfant peut risquer de subir les représailles des opinions ou activités de son parent. Dans la majorité des cas, ces représailles sont subies pour le même motif, à tout le moins imputé, que les persécutions infligées au parent. Ainsi, le fils d’une activiste afghane en faveur du droit des femmes est-il exposé, en raison des activités de sa mère, aux représailles des talibans ou de la société afghane qui lui imputent les mêmes opinions politiques que cette dernière. Le cas échéant, le mineur se prévaut sans nul doute d’un risque individuel de persécution pour motif politique, bien que n’étant pas lui-même à l’origine de l’activité qui le génère. S’il est ainsi tributaire de celui de son parent, le risque de l’enfant doit donc toutefois conduire à la reconnaissance d’une protection individuelle et non dérivée[26]

Motif propre - Dans d’autres cas enfin, un mineur peut éprouver la crainte d’être persécuté ou de subir une atteinte grave pour un motif qui lui est propre, tel que subir une mutilation sexuelle en raison de son sexe féminin, des discriminations et traitements inhumains en raison de son albinisme ou de son identité de genre, etc... Ce sont alors les parents qui invoquent des craintes personnelles indirectes à raison du motif propre de leurs enfants. Notons que ceux-ci ne sont pas éligibles à une protection dérivée, le respect de l’unité de famille étant alors assuré par le droit au séjour[27]. C’est la raison pour laquelle la demande d’asile d’un parent peut être rejetée alors que l’asile est octroyé à son enfant : cela signifie que l’autorité de l’asile n’a pas considéré qu’il était personnellement exposé, même indirectement, à des traitements équivalents à une persécution ou une atteinte grave liée au motif propre de son enfant.

À comparer ces notions à celle de « craintes propres » retenue par le Conseil d’État, on constate avant tout qu’elle ne peut recouvrir l’ensemble des motifs donnant lieu à une protection à titre individuel plutôt que dérivé (unité de famille, extension de protection). Ainsi qu’il l’a été dit, ces dernières ne sont en pratique accordées qu’assez rarement, en l’absence de craintes personnelles du mineur ; dans le cas contraire et quand bien même le risque résulte indirectement de l’activité du parent, une protection lui est accordée à titre individuel. Or, la décision du Conseil d’État interprétée à la lumière des conclusions de son rapporteur public n’a pu vouloir soumettre à l’exigence d’un nouvel examen individuel des circonstances déjà invoquées par un parent et instruites par l’autorité de l’asile. De la même manière, parce qu’elles reposent sur une communauté familiale de faits, les craintes partagées et les craintes indirectes ne devraient pas davantage être regardées comme « propres » au mineur car l’audition du parent permet simultanément d’instruire le besoin de protection de l’enfant et d’établir ou non la crédibilité des faits qui en sont à l’origine. En revanche, lorsque l’enfant se prévaut d’un motif qui lui est spécifique ou exclusif[28], l’audition du parent sur son propre récit ne permet généralement pas de se prononcer sur la demande de l’enfant, laquelle suppose un examen individuel et le cas échéant un nouvel entretien. 

Cela étant, certaines allégations se situent à la lisière des motifs propres au mineur et des craintes partagées. Des conflits familiaux peuvent par exemple donner lieu à des menaces spécifiques à l’égard d’un enfant mineur. La persistance des pratiques de vendetta dans certaines parties de l’Albanie oblige ainsi les hommes des familles en conflit, y compris parfois les mineurs, à s’isoler (claustration) durant plusieurs mois afin d’éviter la vengeance de leurs adversaires. Si le mineur partage alors le même motif que son parent, il est toutefois exposé à un risque qui lui est propre et spécifique. Doit-on auditionner à nouveau les parents sur la demande de leur enfant alors que les faits de vendetta ont déjà été instruits et établis ou écartés lors de leur propre demande ? La question se pose de manière analogue dans le cadre des demandes liées à un mariage forcé. Certaines femmes invoquent ainsi, en leur nom propre, des craintes liées à une union imposée par leur famille traditionnaliste et, au nom de leur enfant né après leur fuite, des craintes fondées sur leur qualité d’enfant naturel ou leur naissance hors de ce mariage programmé. L’instruction de la demande de la mère suppose alors de se prononcer sur la crédibilité du profil rigoriste de sa famille et du projet de mariage allégué. L’instruction de celle du mineur, fondée sur sa qualité d’enfant naturel, est donc intrinsèquement liée à celle de ces différentes circonstances : lorsqu’elles sont avérées, le besoin de protection de l’enfant naturel l’est généralement sans qu’il soit nécessaire d’établir d’autres circonstances propres au mineur ; en revanche, si les faits allégués par la mère ne sont pas établis, il n’est en général pas possible de retenir le besoin de protection du mineur. L’analyse dépend au demeurant du motif invoqué par le parent et du contexte propre au pays d’origine des intéressés. La qualité d’enfant naturel pourrait en effet et dans l’absolu, constituer une « crainte propre » de l’enfant d’un parent qui, dans le cadre de sa demande individuelle, invoquerait pour sa part des faits différents (par exemple, un engagement politique). De même, elle pourrait caractériser une « crainte propre » des mineurs originaires d’un pays ou d’une zone géographique où le simple fait d’être né hors mariage expose, à lui seul, à un risque de persécution, quel que soit l’environnement familial et socioculturel duquel il provient. La CNDA ne semble pas avoir à ce jour adopté une position univoque : elle juge parfois que le motif est en soi indissociable de celui invoqué par la mère ; ou à l’inverse nécessairement propre au mineur ; plus rarement enfin, elle semble se pencher sur le cas individuel pour trancher en faveur de l’un ou de l’autre. 

D’autres situations interrogent encore sur la notion de « craintes propres ». Un mineur peut ainsi éprouver des craintes qui sont propres à sa qualité d’enfant mais toutefois partagées par d’autres membres de sa fratrie. Il en va ainsi des fillettes d’une même famille exposées à un risque d’excision dans leurs pays d’origine. Si chacune d’entre elles invoque indéniablement des « craintes propres », il existe toutefois une communauté de faits entre ces enfants mineurs, exposées à une même menace, émanant des mêmes acteurs. Dans la mesure où la demande est en outre portée par les mêmes représentants légaux, l’intérêt concret que présente la nouvelle audition d’un parent qui a déjà été entendu pour les mêmes faits invoqués au nom d’un premier enfant s’avère parfois incertain. La CNDA semble jusqu’alors vouloir maintenir une approche formelle et a ainsi pu considérer, dans une affaire dans laquelle deux sœurs invoquaient le même risque de subir une excision, qu’elle pouvait simultanément rejeter le recours formé par l’ainée et renvoyer à l’Office l’examen du dossier de la cadette, sa demande n’ayant pas donné lieu à un nouvel entretien des parents. Cette approche strictement individuelle, protectrice du droit de l’enfant, pourra en pratique s’avérer superflue lorsque le parent n’a aucun élément nouveau à avancer par rapport à ceux invoqués à l’appui de la demande de son premier enfant. Elle se justifie davantage lorsque les deux demandes sont espacées dans le temps et que la seconde fait état de circonstances nouvelles. 

Il ne semble ainsi pas possible d’établir a priori une liste de motifs constituant des « craintes propres » ou à l’inverse « indissociables ». Si un besoin de protection exclusivement invoqué à titre dérivé relève nécessairement de la seconde catégorie, tandis que les craintes fondées sur des faits propres, spécifiques ou exclusifs au mineur relèvent généralement de la première, la qualification dépend également des circonstances propres à chaque dossier, à savoir, du motif et des faits invoqués par le parent et du contexte qui prévaut dans le pays d’origine. La notion de « craintes propres » de l’enfant supposerait alors avant tout d’évaluer s’il invoque des faits nouveaux pertinents, qui n’ont pas déjà été évoqués par son parent lors de son propre entretien de demande d’asile. 

Il reste que la décision enfant N. S. ne concerne que la situation dans laquelle une demande est présentée par un parent pour son enfant avant la décision définitive prise sur sa propre demande : s’il fait alors valoir en son nom des « craintes propres », l’Office est tenu de l’auditionner à nouveau afin d’instruire ces nouvelles allégations. Lorsqu’en revanche, la demande est présentée pour un mineur par son parent définitivement débouté, son droit à l’entretien individuel se révèle désormais systématiquement conditionné à la démonstration de la « probabilité significative » du bien-fondé des motifs allégués. 

3. La décision enfant T. du 8 juillet 2024[29]: la délégation aux autorités de l’asile de l’appréciation de la nécessité de conduire une instruction (demande des mineurs accompagnés par un parent définitivement débouté). 

Contrairement aux demandes de mineurs présentées en cours de procédure du parent, le régime procédural applicable aux enfants de parents déboutés semblait jusque récemment générer moins d’hésitations. Le principe de la demande d’asile familiale transposé en droit français par la loi de 2018 suppose de considérer qu’un parent demandeur d’asile accompagné de ses enfants mineurs le sollicite également pour ces derniers : par voie de conséquence, la décision rendue sur cette demande par l’autorité de l’asile est réputée concerner également ces mineurs. Le Conseil d’État en avait ainsi déduit dès 2019 que, « [l]orsque l'office est saisi d'une demande émanant d'un mineur après que l'un de ses parents a déjà présenté une demande d'asile et que celui-ci a été entendu dans ce cadre, la demande émanant du mineur doit être regardée comme une demande de réexamen »[30]. Le pendant de ce principe s’agissant des décisions positives se traduit par l’extension légale de la protection prévue par l’article L. 531-23 du CESEDA[31]

La décision enfant N. S. du 27 novembre 2023 aurait pu interroger la procédure dont relevait désormais la demande du mineur d’un parent débouté, né après l’entretien de ce dernier, mais invoquant des craintes propres. Relevait-il encore de la procédure de réexamen, alors même que l’OFPRA aurait été tenu d’examiner individuellement sa demande s’il l’avait présentée en cours de procédure ? La décision prise par le Conseil d’État quelques mois plus tard dans l’affaire enfant T. est venue écarter tout doute sur ce point. 

L’affaire concerne une femme de nationalité guinéenne, qui avait sollicité l’asile en soutenant avoir été victime d’un mariage forcé. Son récit n’ayant pas été considéré comme suffisamment crédible par l’OFPRA ni par la CNDA, sa demande avait été rejetée. Ayant donné naissance à un enfant en France deux ans plus tard, elle a présenté une demande au nom de celui-ci en raison de craintes liées à sa qualité d’enfant naturel. Instruite selon la procédure de première demande, l’OFPRA n’avait toutefois pas conduit de nouvelle entretien de sa mère, estimant que celui déjà mené avant sa naissance permettait de se prononcer au fond sur le risque invoqué. Saisie d’un recours contre cette décision, la CNDA avait au contraire considéré que l’audition de la mère, antérieure à la demande formée pour le compte de son enfant, « ne saurait constituer celle exigée, par l'article L. 531-12 du CESDEA dans le cas où l'Office est saisi d'une première demande d'asile » et lui avait renvoyé l’examen de la demande du mineur. Dès lors que les faits invoqués à l’appui de la demande du mineur étaient sensiblement les mêmes que ceux de sa mère, l’OFPRA estimait que la notion de « craintes propres » dégagée par la jurisprudence enfant N. S. lui permettait de considérer que l’audition au nom du mineur avait déjà été menée. Un pourvoi a donc été formé par l’Office.

Le Conseil d’État n’a pas suivi les conclusions de son rapporteur public qui, qualifiant d’ « évidence » le constat qu’une décision ne peut être réputée rendue à l’égard d’un enfant qui n’est pas né, l’invitait à confirmer la décision de la CNDA. Il a au contraire considéré qu’« [e]n cas de naissance ou d'entrée en France d'un enfant mineur postérieurement au rejet définitif de la demande d'asile présentée par ses parents en leur nom propre, […] la demande d'asile présentée au nom de cet enfant constitue, au vu de cet élément nouveau, une demande de réexamen, sauf lorsque l'enfant établit que la personne qui a présenté la demande n'était pas en droit de le faire ». Rappelons que jusqu’alors, ces demandes étaient introduites par l’OFPRA en tant que premières demandes. 

Le mineur qui présente une demande d’asile après le rejet de celle de son parent est donc nécessairement assimilé à celui-ci : sa naissance constitue l’élément nouveau de sa propre demande. Quand bien même son parent n’aurait-il pu invoquer sa situation lors de son entretien de demande d’asile, et quand bien même ferait-il valoir des craintes « propres », il devra néanmoins apporter davantage afin de répondre aux conditions de recevabilité du réexamen. En particulier, les craintes invoquées devront être suffisamment probantes pour augmenter « de manière significative la probabilité que [le mineur] justifie des conditions requises pour prétendre à une protection »[32]

Partant, si l’enfant d’un demandeur bénéficie, selon la jurisprudence enfant N. S., du droit à un examen individuel des « craintes propres » invoquées en cours de procédure de son parent, le droit de l’enfant d’un débouté est conditionné, par la jurisprudence enfant T., à la probabilité significative que ses allégations soient fondées, telles qu’appréciées par l’autorité de l’asile sur le fondement de son dossier écrit.  

Cette différence de régime est peut-être toutefois moins tranchée qu’elle n’y paraît : ainsi qu’il l’a été dit, les « craintes propres » invoquées au nom d’un mineur alors que la demande de son parent est pendante ne peuvent être qualifiées qu’au regard des circonstances propres aux dossiers du parent et de l’enfant, ce qui conduit in fine l’autorité de l’asile à porter une appréciation proche de celle de la recevabilité de faits nouveaux en procédure de réexamen (v. supra, 2., B. (2)). 

La solution apportée par le Conseil d’État présente à tout le moins l’avantage de ne pas faire reposer la qualification procédurale sur les motifs invoqués à l’appui de la demande. Elle conduit au demeurant le juge à s’inscrire une nouvelle fois en faveur de la confusion du mineur avec son parent au détriment de la reconnaissance de sa personnalité juridique. Si l’on comprend les intérêts pratiques de l’assimilation, qui permet d’écarter les demandes dilatoires ou abusives de parents déboutés et ainsi limiter la possibilité qu’ils se maintiennent frauduleusement sur le territoire, l’autorité de l’asile reste investie du respect de l’intérêt supérieur de l’enfant et des garanties de la procédure de demande d’asile. 

On pourrait enfin s’interroger quant au maintien de l’assimilation de l’enfant à sa demande familiale après sa majorité. À ce jour, il semble acquis que le majeur réputé débouté dans sa minorité en raison du rejet de la demande de son parent et qui présente une demande d’asile relève du réexamen. Ici encore, si le discernement des autorités de l’asile dans l’examen des conditions de recevabilité devrait permettre de garantir le principe essentiel de l’audition du demandeur, l’appréciation leur reste pleinement déléguée. En outre, tandis que le Conseil d’État a récemment considéré que la majorité mettait en principe fin à la protection obtenue à titre dérivé d’un parent[33], une mise en cohérence des régimes substantiel et procédural de la demande d’asile familiale pourrait conduire à considérer que la majorité de l’enfant met fin, sous l’ensemble de ses aspects, à son assimilation à son parent.

 

Notes de bas de page 

  1. [1] CRR, 16 octobre 1953, Rueda Navarro, nº 23 ; CE, Ass., 2 décembre 1994, Mme Agyepong, nº 112842, Lebon, p. 523.
  2. [2] V. p. ex. CE, 28 décembre 2017, n°404768.
  3. [3] Jusqu’à la loi n°2003-1176 du 10 décembre 2003, l’asile n’était reconnu qu’aux personnes exposées aux persécutions émanant des autorités publiques, soit directement, soit « en fait encouragées ou tolérées volontairement » par ces dernières.
  4. [4] CE, Ass., 21 décembre 2012, Mme F., n° 332491. Son parent n’est en revanche pas éligible à la protection internationale s’il n’est pas lui-même, indirectement ou pour des motifs qui lui sont propres, exposé à des mauvais traitements dans son pays d’origine (CE, 20 novembre 2013, M. F. et Mme D épouse F., n° 368676).
  5. [5] OFPRA, « Journée internationale de tolérance zéro à l'égard des MGF », 2023.
  6. [6] V. les articles L. 531-11 et L. 561-8 du CESEDA et l’arrêté du 6 février 2024 pris en application, NOR : IOMV2330687A.
  7. [7] Article L. 531-14 du CESEDA. En dehors de ces situations, le mineur est en principe auditionné par l’intermédiaire de son ou ses représentants légaux, mais peut parfois être invité à s’exprimer lui-même en leur présence. L’OFPRA invite le mineur à s’exprimer lui-même s’il l’estime indispensable à l’instruction de sa demande d’asile et dans son intérêt supérieur.
  8. [8] Article L.531-2 du CESEDA ; CE, 18 juin 2018, n° 415335.
  9. [9] Loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, JORF n°0209 du 11 septembre 2018.
  10. [10] Principe codifié à l’article L. 521-3 du CESEDA.
  11. [11] V. article L. 531-23 du CESEDA ; CE, 21 janvier 2021, n°439248 ; CNDA 14 octobre 2021, enfants A., n° 21018964, 21018965, 21018966 et 21018967 R.
  12. [12] CE, 18 décembre 2008, OFPRA c/ A…,n°28324.
  13. [13] Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, Rapport sur le projet de loi, pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif (n° 714), présenté par Mme Élise Fajgeles, députée, le 9 avril 2018, pp. 235-236.
  14. [14] Conseil d’État, OFPRA c. M. S…, n°472147, conclusions présentées par M. Clément MALVERTI, Rapporteur public lors de la Séance du 8 novembre 2023, p. 3.
  15. [15] CE, 6 novembre 2019, Mme B... A..., n°422017.
  16. [16] CE, 27 janvier 2021, Mme E. C., n°445958.
  17. [17] C. VIEL, « « Mineur accompagnant » : les opportunités de faire valoir les craintes personnelles s'amenuisent », Éditions législatives, Veille permanente, 7 juillet 2022.
  18. [18] La Cimade, « Demande d’asile au nom de mineurs : le Conseil d’État rectifie sa jurisprudence », 18 juillet 2023, Demande d’asile au nom  de mineurs : le Conseil d'Etat rectifie sa jurisprudence - La Cimade.
  19. [19] CNDA, Grande formation, 7 mars 2023, enfant N. S., n°22031440.
  20. [20] CE, 27 novembre 2023, Mme C… B…, (ci-après « enfant N. S. »), n°472147.
  21. [21] Ibid., Conclusions présentées par M. Clément Malverti, Rapporteur public, p. 1.
  22. [22] Ibid., p. 8, §4.3.
  23. [23] Pendant plusieurs mois après l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2019, de la demande d’asile familiale, l’autorité préfectorale omettait parfois d’enregistrer certains enfants mineurs présents, soit qu’elle exigeait leur présence physique lors du retrait du formulaire de demande en préfecture, soit qu’elle tenait compte de la volonté du parent de ne pas présenter de demande au nom de son enfant, soit encore qu’il leur était dissimulé. Dans la mesure, toutefois, où la décision prise sur la demande du parent est en tout état de cause réputée l'être à l'égard de ses enfants mineurs quand bien même n’auraient-ils pas été enregistrés en préfecture, ces pratiques se sont aujourd’hui résorbées.
  24. [24] La CNDA statue généralement par une seule décision sur l’ensemble des recours d’une même famille : il arrive alors qu’une décision octroie une protection internationale à un mineur tout en rejetant simultanément le recours de ses parents (décisions dites de « satisfaction partielle »).
  25. [25] V. article L. 531-23 du CESEDA et supra, 1.
  26. [26] Ce principe s’efface cependant devant celui de l’octroi de la protection la plus favorable (CE, 11 mai 2016, Mme I. n° 385788). Ainsi, l’enfant mineur d’une femme protégée à raison de son ancienne appartenance à un réseau de proxénétisme est sans doute exposée à des représailles du groupe criminel. Ces représailles ne peuvent toutefois être liées à aucun des motifs prévus par la convention de Genève, l’enfant n’étant pas exposé à ces mauvais traitements en raison de sa qualité d’ex-prostituée, réelle ou imputée. Alors qu’il relèverait donc de la protection subsidiaire à titre individuel, c’est la protection la plus favorable à laquelle il est éligible à titre dérivé qu’il convient de faire prévaloir. L’enfant se verra ainsi reconnaitre la qualité de réfugié, à l’instar de sa mère, sur le fondement de l’extension légale de protection de l’article L. 531-23 du CESEDA.
  27. [27] CE, 20 novembre 2013, M. F. et Mme D épouse F., n° 368676, v. supra, 1..
  28. [28] Selon les conclusions du rapporteur public Laurent Domingo dans l’affaire enfant T. (CE, 8 juillet 2024, n°475883, p. 3, v. infra, 3.) les seules « craintes propres » qui pourraient ainsi être invoquées par un enfant qui vient de naître seraient le risque d’excision.
  29. [29] CE, 8 juillet 2024, Mme C… D… (ci-après « enfant T. »), n°475883.
  30. [30] CE, 6 novembre 2019, Mme. C., n°422017.
  31. [31] V. supra, 2., B., 2..
  32. [32] Article L. 531-42 du CESEDA.
  33. [33] CE, 17 juin 2024, n° 488447 ; CE, 21 mars 2024, n°472308.