Le mineur accompagné : pars viscerum matris ou demandeur d’asile à part entière ? À propos de l’arrêt rendu par le Conseil d’État le 27 novembre 2023 dans l’affaire « enfant N. S. »
15/11/2024
Le lien familial entre l'enfant et ses parents, lorsque ces derniers sont eux-même demandeurs d'asile, complexifie le traitement procédural de la demande d'asile du mineur accompagné, devant l'OFPRA comme devant la CNDA. La contribution revient ici sur la jurisprudence récente du Conseil d'Etat qui apporte d'importantes précisions en la matière.
Le statut juridique du mineur est traditionnellement le fruit d’un équilibre entre son assimilation aux adultes qui l’élèvent et la prise en compte de son individualité de personne juridique capable en devenir. Selon les aspirations sociales et politiques de l’ordre juridique qui le définit, la balance penchera en faveur de l’un ou de l’autre, étant à ce jour acquis que le compromis doit nécessairement s’opérer dans l’intérêt supérieur de l’enfant.
L’apparition du mineur en tant que véritable sujet du droit de l’asile est relativement récente et témoigne à sa manière de l’objectivisation de la matière depuis la fin du XXe siècle. Longtemps, l’asile fut envisagé comme un outil juridique et politique visant à protéger les activités et opinions individuelles exposées aux représailles de pays « ennemis ». L’enfant était donc naturellement empêché de le solliciter en son nom propre à défaut de motif sur lequel il aurait pu se fonder. L’adulte réfugié, cependant, s’était très tôt vu reconnaître un droit à l’unité de famille, lui garantissant que soit accordé à son enfant le même statut que le sien à titre dérivé[1]. La fin de la guerre froide et l’influence du droit de l’Union européenne ont progressivement recentré le droit de l’asile vers une logique plus objective, visant avant tout à protéger contre des risques de mauvais traitements. Le motif pour lequel ces derniers sont craints n’est alors potentiellement plus qu’imputé, s’il n’est pas tout simplement indifférent en matière de protection subsidiaire. Le risque peut émaner des autorités publiques, de personnes privées, voire d’un contexte sécuritaire général, et conduire à l’octroi de l’asile alors même qu’il n’est pas explicitement invoqué par le demandeur[2]. Ces évolutions ont ainsi permis d’ouvrir le droit d’asile à de nouvelles catégories de victimes qui en étaient auparavant écartées, tels que les femmes et les mineurs.
1. Les origines de l’affaire enfant N. S. : subjectivisation du mineur et lutte contre son instrumentalisation procédurale
Après l’ouverture de l’asile aux persécutions émanant de personnes privées[3], le risque d’excision est rapidement devenu le motif plus invoqué par les enfants qui sollicitent la reconnaissance d’une protection internationale en leur nom propre. S’il a initialement donné lieu à une jurisprudence peu lisible et centrée sur le droit d’asile du parent de la Commission de recours des réfugiés (ci-après « CRR ») puis de la Cour nationale du droit d’asile (ci-après « CNDA »), le Conseil d’État a finalement rappelé en 2012 qu’à l’instar de tout mineur répondant aux conditions d’un réfugié, un enfant exposé à une mutilation sexuelle pouvait se voir reconnaître cette qualité en son nom propre et en raison de son appartenance à un groupe social[4]. Cette avancée jurisprudentielle a permis de placer près de 20 000 mineures sous la protection de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (ci-après « OFPRA »)[5]. Mais si le motif de l’excision a jalonné les pratiques d’octroi de l’asile aux mineurs en leur nom propre, il n’est pas le seul fondement pour lequel un mineur peut solliciter une protection. Peuvent être invoquées d’autres caractéristiques innées (ex : albinisme), familiales (enfant adultérin, naturel) ou sociales (enfant soldat, enfant sorcier), mais également des craintes conjointes ou émanant indirectement des opinions ou des activités de ses parents (v. infra, 2., B. (2), sur la notion de « craintes propres »).
L’ouverture de l’asile aux mineurs en leur nom propre s’est rapidement accompagnée d’une série de mesures légales et réglementaires visant à encadrer la procédure applicable à ce nouveau sujet. Sans même évoquer la situation spécifique des mineurs isolés (mineurs non accompagnés – MNA), le mineur, même accompagné, demeure un être particulièrement vulnérable, a fortiori dans un parcours migratoire. Des procédures spécifiques aux demandes fondées pour un risque d’excision ont donc été adoptées afin de définir les modalités de preuve médicale et de suivi administratif des enfants protégés[6]. Les conditions de l’audition du mineur ont également été encadrées, lui permettant d’être entendu seul si l’Office suspecte qu'il ait pu subir des persécutions ou des atteintes graves dont les membres de sa famille n'auraient pas connaissance ou en seraient les auteurs[7].
La majorité des dispositifs légaux mis en place s’agissant des mineurs accompagnés traduisent toutefois la volonté du législateur de lutter contre l’instrumentalisation de leurs demandes par leurs parents à des fins dilatoires, abusives ou frauduleuses. La ratio legis n’est alors plus tant la vulnérabilité du mineur que l’objectif de réduction des délais et des coûts de la demande d’asile. Afin d’établir un suivi administratif des dossiers, le législateur a d’abord imposé que chaque demande instruite par l’OFPRA fasse l’objet d’un enregistrement préfectoral préalable[8], mettant ainsi fin à la création de dossiers de mineurs par l’Office à partir de ceux de leurs parents. Mais c’est la loi du 10 septembre 2018[9] qui, transposant en droit interne la notion de « demande d’asile familiale » prévue par l’article 7 de la directive 2013/32/UE (dite « Procédures »), a véritablement bouleversé la procédure applicable aux demandes des mineurs accompagnés. Elle pose pour principe que la demande d’asile présentée par un étranger qui se trouve en France avec ses enfants mineurs soit regardée comme présentée en son nom et en celui de ces derniers[10]. Si le dispositif s’avère protecteur à l’égard des enfants de bénéficiaires de la protection subsidiaire[11], qui ne pouvaient jusqu’alors se prévaloir du principe de l’unité de famille réservé aux proches de réfugiés[12], il vise parallèlement à limiter les demandes d’asile présentées par les parents déboutés au nom de leurs enfants, en assimilant ces derniers à la demande initiale de leurs parents. Il s’agissait ainsi de faire obstacle à la pratique dilatoire consistant pour des déboutés du droit d’asile à déposer « des demandes d’asile successives, au nom de leurs enfants, sur la base des mêmes moyens » que ceux invoqués à l’appui de leur propre demande, et qui imposait à l’autorité de l’asile « un nouvel examen de chacune de ces demandes » alors qu’elles avaient pour réel objectif « de prolonger leur séjour sur le territoire français »[13].
Si la rédaction de la loi aurait pu donner lieu à une interprétation minimaliste, le Conseil d’État, par une approche résolument finaliste et pragmatique, s’est efforcé de « donner tout son poids au principe du caractère familial des demandes d’asile »[14]. Par une décision du 6 novembre 2019[15], il a d’abord considéré que le dispositif s’appliquait de manière rétroactive : ainsi la demande introduite en 2017 par une mineure albanaise qui était présente en France au moment de la demande d’asile de son père, débouté par la CNDA quelques mois auparavant, devait être regardée comme une demande de réexamen pour laquelle l'Office pouvait s’abstenir de procéder à un entretien. Ont donc été placées en procédure de réexamen par les préfectures et, si besoin sur requalification de l’OFPRA, les demandes d’asile présentées au nom de mineurs dès lors qu’ils étaient sur le territoire français lors de l’enregistrement de la demande d’asile de leurs parents finalement déboutés.
En outre, par une décision du 27 janvier 2021 prise dans le cadre d’un litige opposant l’OFII à une femme nigériane s’agissant de son droit au bénéfice des conditions matérielles d’accueil (CMA)[16], le Conseil d’État est venu étendre l’application du dispositif à l’ensemble des mineurs présents postérieurement à l’enregistrement de la demande d’asile de leurs parents, et ce jusqu’à la décision définitive prise sur cette dernière. Il considère à cet égard qu’:
« [i]l appartient à l'étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile de présenter une demande en son nom et, le cas échéant, en celui de ses enfants mineurs qui l'accompagnent. En cas de naissance ou d'entrée en France d'un enfant mineur postérieurement à l'enregistrement de sa demande, l'étranger est tenu, tant que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou, en cas de recours, la Cour nationale du droit d'asile, ne s'est pas prononcé, d'en informer cette autorité administrative ou cette juridiction. La décision rendue par l'office ou, en cas de recours, par la Cour nationale du droit d'asile, est réputée l'être à l'égard du demandeur et de ses enfants mineurs, sauf dans le cas où le mineur établit que la personne qui a présenté la demande n'était pas en droit de le faire ».
Ainsi, la demande présentée par une mère au nom de son fils mineur, né postérieurement à l’enregistrement de sa demande d’asile mais présent à la date à laquelle la CNDA avait définitivement rejeté sa propre demande, devait être regardée comme une demande de réexamen permettant ainsi de refuser à la famille le bénéfice des conditions matérielles d’accueil.
Cette décision a considérablement complexifié le traitement procédural des demandes présentées au nom de mineurs lorsque la demande d’asile de leurs parents est pendante.
En enjoignant au parent en cours de demande d’asile d’informer l’OFPRA ou, en cas de recours, la CNDA de l’arrivée ou la naissance d’un enfant et ainsi de ses craintes, le Conseil d’État avait néanmoins pu sembler vouloir renvoyer l’examen de la demande d’asile d’un mineur né ou arrivé sur le territoire en cours de procédure à l’autorité administrative ou judiciaire selon le stade d’avancement de celle de son parent. C’est au moins en ce sens que l’OFPRA l’avait compris et mis en œuvre ; partant, la demande présentée au nom d’un mineur né en cours de procédure était transmise à l’officier de protection en charge de la demande du parent tant que l’Office ne s’était pas prononcé sur celle-ci ; en revanche, lorsque la demande parvenait à l’OFPRA alors qu’il avait déjà été statué négativement sur celle du parent et qu’un recours était pendant, le dossier était alors transmis à la CNDA afin qu’elle se prononce sur le besoin de protection nouvellement invoqué.
La pratique ainsi retenue par l’OFPRA suscitait toutefois des interrogations, sinon des critiques, s’agissant du respect de la personnalité juridique de l’enfant et de son droit à faire valoir un besoin individuel de protection, tel que le risque de subir l’excision. En effet, informée de la naissance d’une fillette potentiellement exposée à telle mutilation, la CNDA était parfois invitée par l’Office à se prononcer alors que l’enfant, née postérieurement à l’entretien de ses parents, n’avait par définition pas pu faire valoir ce motif devant l’OFPRA. La position adoptée par les différentes formations de jugement de la Cour face aux dossiers de mineurs qui lui étaient adressés n’était cependant pas homogène. On pouvait ainsi identifier quatre grands types de raisonnements :
- Certaines formations considéraient qu’il convenait d’annuler partiellement la décision de l’OFPRA sur la demande du parent en ce qu’elle concernait l’enfant, privé de la garantie essentielle que constitue l’entretien;
- D’autres acceptaient de se prononcer sur la demande du mineur s’il s’agissait d’une décision positive ;
- D’autres encore s’en tenaient à écarter les conclusions présentées au nom de l’enfant, jugées « irrecevables » à défaut de décision préalable de l’OFPRA ;
- D’autres, enfin, choisissaient d’ignorer simplement les conclusions ou la demande transmises au nom de l’enfant.
Selon ces deux dernières approches, le mineur, privé d’invoquer son besoin de protection avant le prononcé de la décision sur le recours du parent, était alors voué à patienter jusqu’à ce que la Cour statue définitivement sur la demande de celui-ci pour les invoquer à l’appui d’une demande de réexamen[17]. La confusion générale était en outre entretenue par une approche divergente des préfectures, qui refusaient pour certaines d’enregistrer les demandes d’asile des mineurs nés en cours de procédure[18].
C’est finalement dans le cadre de la demande d’asile de l’enfant N. S. que la CNDA puis le Conseil d’État ont tenté de concilier les garanties procédurales du mineur avec la volonté du législateur de limiter les demandes dilatoires ou de réexamen déguisées. L’aménagement ne concerne toutefois que les demandes présentées au nom d’un enfant pendant la procédure de son parent. S’agissant des demandes formées par les mineurs postérieurement au rejet définitif de la demande de leurs parents, le Conseil d’État a, quelques mois plus tard, tranché en faveur d’une approche beaucoup plus stricte, et qui interroge quant à la cohérence d’ensemble du régime procédural applicable à la demande d’asile du mineur accompagné (v. infra, 3/).
2. La jurisprudence enfant N. S. : une tentative de conciliation entre les droits procéduraux de l’enfant et la lutte contre les demandes d’asile dilatoires (demande du mineur accompagné par un parent en cours de procédure)
Née quelques semaines après l’audition de son père à l’OFPRA d’une mère qui n’avait elle-même pas formé de demande d’asile, la mineure sénégalo-ivoirienne N. S. avait présenté, quelques mois après le rejet de celle de son père par l’Office, une demande fondée sur le risque qu’elle soit soumise à une mutilation sexuelle. Son père ayant formé un recours devant la CNDA, l’Office, conformément à sa pratique résultant de la jurisprudence du 27 janvier 2021, avait transmis à la Cour la demande présentée au nom de cette enfant, afin que la juridiction se prononce sur son droit à bénéficier d’une protection internationale, et avait informé par courriel son père de cette transmission.
A. La position adoptée par la CNDA
Présentant un recours distinct au nom de la mineure contre le courriel de l’OFPRA qu’il interprétait comme un refus d’introduire la demande de la mineure, le conseil de cette dernière en sollicitait l’annulation et le renvoi de l’examen de la demande à l’OFPRA, dans la mesure où il estimait que la garantie essentielle de la mineure à bénéficier d’un entretien avait été méconnue. La CNDA a jugé que le recours soulevait plusieurs questions juridiques sérieuses et, afin d’harmoniser sa jurisprudence sur cette question, l’a audiencé en grande formation.
Par une décision du 7 mars 2023, la CNDA a renvoyé l’examen de la demande de l’enfant N. S. à l’OFPRA. Après avoir repris les principaux considérants de la décision du Conseil d’État du 21 janvier 2021, elle a ajouté que les dispositions du CESEDA :
« ne font pas non plus obstacle à ce que les parents d’un enfant né après l’enregistrement de leur demande d’asile présentent une demande pour cet enfant alors que la procédure concernant leur demande initiale est encore en cours. Il appartient à l’OFPRA d’examiner ces éléments nouveaux dans le cadre de l’examen de la demande initiale s’il n’a pas encore statué sur cette demande. Il lui appartient également de statuer sur la demande présentée pour l’enfant s’il a déjà statué sur la demande des parents, quand bien même un recours est encore pendant devant la Cour nationale du droit d’asile et que ces derniers pourraient invoquer ces nouveaux éléments devant la Cour à l’appui de leur propre recours. Dans un cas comme dans l’autre, il appartient à l’Office de procéder à un nouvel entretien des parents de l’enfant si les craintes propres invoquées pour l’enfant n’ont pu être évoquées lors de l’entretien sur la demande initiale »[19].
Dans la mesure où les craintes propres invoquées en son nom n’avaient pu être évoquées lors de l’entretien mené avec son père dans le cadre de la demande d’asile de ce dernier, l’enfant était donc fondé à contester la décision de refus d’examen de l’OFPRA, qui était ainsi tenu d’auditionner à nouveau son représentant légal.
B. L’approche retenue par le Conseil d’État
Saisi d’un pourvoi formé par l’OFPRA contre la décision rendue le 7 mars 2023 par la CNDA, le Conseil d’État a, dans une décision du 27 novembre 2023[20], confirmé pour l’essentiel le considérant de principe retenu par la grande formation, en l’assortissant toutefois de deux limites.
Reconnaissant que pouvaient être tirées de la décision du 27 janvier 2021 des « conséquences maximalistes », le rapporteur public Clément Malverti avait cependant rappelé à la juridiction que la « délicate » question qui lui était posée supposait « de concilier deux séries d’exigences potentiellement contradictoires : d’une part, le droit pour le demandeur d’asile à un examen individuel de sa demande et à un entretien personnel, d’autre part, le principe du caractère familial des demandes d’asiles, en vertu duquel la décision prise sur une demande d’asile est réputée l’être à l’égard du demandeur et de ses enfants mineurs »[21].
Afin d’aménager ces objectifs, l’obligation reposant sur l’OFPRA de convoquer à nouveau les parents déjà auditionnés sur les craintes de leur enfant devait selon lui :
- D’une part, « être circonscrite à l’hypothèse dans laquelle l’enfant se prévaut de craintes qui lui sont propres, car lorsque ces dernières sont similaires à celles dont se prévalent les parents, l’OFPRA doit être réputé les avoir examinées lors de l’examen de la demande des parents » ;
- D’autre part, être écartée « lorsque le demandeur n’a pas informé l’OFPRA des craintes propres de son enfant dans un délai raisonnable à compter de sa naissance ou de son entrée en France », les parents devant le cas échéant « être regardés comme ayant eux-mêmes consenti à ce que les craintes propres du mineur fassent uniquement l’objet d’un examen par la CNDA »[22].
Suivant les conclusions de son rapporteur public, le Conseil d’État est ainsi venu apporter, sinon un revirement de la solution retenue dans sa décision du 27 janvier 2021, à tout le moins des précisions quant au régime applicable à la demande du mineur présentée après l’enregistrement de la demande d’asile de son parent. Il a ainsi rappelé qu’:
« 'il appartient à l'étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile de présenter une demande en son nom et, le cas échéant, en celui de ses enfants mineurs qui l'accompagnent et de faire valoir, s'il y a lieu, les craintes propres de persécution de ses enfants lors de [son propre] entretien (…). Il en va également ainsi en cas de naissance ou d'entrée en France d'un enfant mineur postérieurement à l'enregistrement de sa demande, l'étranger étant tenu d'informer dans les meilleurs délais l'Office de cette naissance ou entrée, y compris lorsque l'Office a déjà statué sur sa demande ».
Selon le Conseil d’État, la question de la nécessité de conduire un nouvel entretien sur les craintes d’un mineur se pose lorsque celui-ci est entré ou né en France après l’audition du parent sur sa propre demande d’asile. En effet, « [e]n cas de naissance ou d'entrée en France d'un enfant mineur antérieurement à l'entretien avec l'étranger, la décision rendue par l'Office est réputée l'être à l'égard du demandeur et de l'enfant » dans la mesure où le parent avait la possibilité de faire valoir les craintes de ce dernier à l’occasion de son entretien personnel à l’OFPRA.
En revanche, « [s]i cette naissance ou cette entrée intervient postérieurement à l'entretien avec l'étranger, et si l'enfant se prévaut de craintes propres de persécution, il appartient à l'OFPRA de convoquer à nouveau l'étranger afin qu'il puisse, le cas échéant, faire valoir de telles craintes (…) ».
Par conséquent, le mineur doit être considéré comme ayant été privé d’un examen individuel et de la garantie essentielle que constitue l’audition lorsque l’Office s’est abstenu de procéder à une nouvelle convocation alors qu’il est né ou entré en France après l’audition de son parent et fait valoir, dans un délai raisonnable, des « craintes propres de persécution ». Il appartient dès lors à la CNDA d'annuler la décision de l'OFPRA et de lui renvoyer l'examen de la demande du mineur « si, d'une part, elle n'est pas en mesure de prendre immédiatement une décision positive sur la demande de protection de l'enfant au vu des éléments établis devant elle et, d'autre part, elle estime que l'absence de prise en compte de l'enfant ou de ses craintes propres par l'Office n'est pas imputable au parent de cet enfant ».
Si le raisonnement du Conseil d’État semble ainsi dégager une solution simple et équilibrée afin de concilier la garantie de l’examen individuel avec le concept de demande d’asile familiale, sa mise en œuvre concrète restait à définir. D’un point de vue procédural d’abord, la décision du Conseil d’État supposait la mise en place d’un processus à l’OFPRA permettant d’identifier la nature du besoin de protection invoqué par un parent au nom d’un mineur après l’enregistrement de sa propre demande d’asile afin de l’instruire si nécessaire (1). En outre, elle suppose d’expliciter la notion de « craintes propres de persécution » du mineur, aisément compréhensible s’agissant du risque d’excision des jeunes filles, mais plus difficile à appréhender s’agissant d’autres motifs susceptibles d’être invoqués (2).
(1). Les conséquences procédurales sur les demandes d’asiles introduites à l’OFPRA au nom de mineurs par des parents dont la demande d’asile est pendante
Les principes dégagés par le Conseil d’État supposent de tenir compte de la date à laquelle la demande d’asile du mineur est présentée à l’OFPRA et de celle à laquelle l’entretien de l’un de ses parents (ou des deux) s’est tenu.
a. Les demandes d’asile présentées simultanément à l’OFPRA par un parent et ses enfants présents sur le territoire ne posent que peu de difficultés. Le cas échéant, l’autorité préfectorale est en effet tenue d’enregistrer simultanément l’ensemble des mineurs en tant que demandeurs d’asile et de les faire figurer sur l’attestation de demande d’asile (ADA) du parent[23]. A réception du dossier, l’OFPRA l’introduit comme une demande d’asile familiale. Lorsque les deux parents sont présents, les mineurs sont par défaut rattachés au dossier de leur mère (« parent 1 »). Une lettre est adressée à ce parent l’informant de l’introduction de sa demande et de celle de ses enfants mineurs présents sur le territoire. Ces demandes feront, en principe, l’objet d’une instruction conjointe (« parent 1 » et « mineurs A »), sauf s’il apparaît à la lecture des dossiers ou lors de l’audition du parent que l’un ou plusieurs des mineurs font état d’un motif supposant une instruction séparée et/ou une décision individuelle. Contrairement à la CNDA[24], l’OFPRA ne prend jamais, dans le même instrument, de décisions ayant des sens différents : la demande d’un mineur donnant lieu à une décision positive alors que celle de son parent est rejetée sera nécessairement instruite de manière séparée. Le cas échéant, le nom du mineur n'apparaît pas sur la décision du parent, qui fait mention de la disjonction du dossier de l’enfant.
b. Lorsque la demande est présentée au nom d’un mineur par un parent après l’introduction de sa propre demande d’asile, mais avant la date de son entretien à l’OFPRA, la situation s’apparente à la précédente. Lors de son introduction, le formulaire adressé au nom du mineur est joint au dossier de son parent et transmis à l’agent déjà en charge de l’instruction de la demande de ce dernier en vue de poser, si nécessaire, des questions spécifiques lors de l'entretien à venir. Ici encore et selon les mêmes modalités, la demande de l’enfant pourra donner lieu à une instruction séparée s’il apparaît qu’il fait état de motifs propres ou que le sens de la décision n’est pas le même que celui de son parent.
Dans ces deux situations, la garantie essentielle que constitue l’entretien de demande d’asile est satisfaite s’agissant du mineur dont le parent sera nécessairement invité, lors de son audition, à s’exprimer sur le besoin de protection invoqué au nom de son enfant.
c. C’est à l’égard des demandes d’asile présentées au nom d’un enfant après l’entretien de son parent par l’OFPRA mais avant que soit prise une décision définitive que trouve pleinement à s’appliquer la jurisprudence enfant N. S. Le cas échéant, il revient à l’OFPRA de déterminer si l’enfant se prévaut, ce faisant, de « craintes propres de persécution », ou si au contraire les motifs allégués sont indissociables de ceux de son parent. En pratique, la demande du mineur est alors introduite par l’OFPRA et transmise à la division géographique en charge de l’instruction du dossier du parent. Cette dernière apprécie alors le caractère « indissociable » ou « propre au mineur » des motifs invoqués.
- En cas de motifs « indissociables », la demande du mineur reste rattachée à celle de son parent. Si l’Office n’a pas encore statué sur celle-ci, elle est transmise à l’agent qui en est en charge et qui inclura le nom du mineur dans la décision du parent. Lorsque l’Office a déjà statué sur la demande de ce dernier, le dossier du mineur est alors transmis à la CNDA afin que celui-ci soit inclus dans la décision qu’elle prendra sur le recours formé devant elle par le parent. Si la CNDA estime au contraire de l’Office que l’enfant se prévaut de « craintes propres » qui devaient donner lieu à entretien, la décision familiale prise par l’Office sera partiellement annulée s’agissant du mineur réputé inclus de manière infondée, et l’examen du dossier individuel renvoyé à l’OFPRA pour entretien .
- Lorsqu’il apparaît en revanche que la demande du mineur fait état de « craintes propres », il faut encore de tenir compte de la date de naissance ou d’entrée en France de ce dernier :
- En effet, si celui-ci était présent sur le territoire à la date d’entretien de son parent lequel était en mesure d’en faire état à cette occasion, la décision rendue par l'Office est réputée l'être à l'égard du demandeur et de l'enfant selon les termes de la décision du Conseil d’État.
- En revanche, si l’enfant est né ou entré en France après l’entretien de demande d’asile de son parent et fait valoir des « craintes propres », la division géographique est tenue de procéder à un nouvel entretien, sauf si, pour un motif imputable au parent, celui-ci n’a pas présenté la demande du mineur dans un délai raisonnable. L’intérêt supérieur de l’enfant impose d’apprécier cette exception avec discernement car elle ne saurait conduire à le priver, en raison d’une simple négligence de son parent, d’une protection internationale qui lui est indispensable.
(2). A la recherche d’une définition des « craintes propres de persécution du mineur ».
Ainsi qu’il l’a été dit et pour les raisons historiques précédemment rappelées, la notion de « craintes propres » mobilisée par le Conseil d’État s’entend sans trop de difficultés s’agissant des demandes présentées au nom d’une enfant exposée au risque d’excision dans son pays d’origine. S’agissant d’autres motifs, elle donne lieu à bien davantage d’hésitations, notamment de la part de la CNDA. Afin de tenter d’en définir les contours, il convient de la confronter à d’autres qualifications proches employées en matière de protection internationale des membres d’une même famille.
Protection à titre individuel ou à titre dérivé - Selon la conception qui a longtemps prévalu de l’asile, la qualité de réfugié n’était reconnue qu’aux individus exposés à des persécutions infligées ou encouragées par l’autorité étatique. C’est ainsi qu’un parent, réfugié en sa qualité d’opposant politique, pouvait faire bénéficier ses enfants de la même protection en vertu du principe de l’unité de famille, alors même que ces derniers n’étaient pas eux-mêmes considérés comme exposés à un risque similaire. Depuis 2018, l’octroi de la protection la plus favorable du parent à son enfant est garanti par la loi[25]: c’est donc désormais essentiellement sur le fondement de l’extension légale de protection que les mineurs sont protégés à titre dérivé, le principe jurisprudentiel d’unité de famille ne s’appliquant plus qu’à la marge, par exemple aux mineurs sous la tutelle ou sous l’autorité parentale d’un tiers réfugié. L’octroi d’une protection à titre dérivé suppose cependant que soit préalablement écarté tout risque personnel de persécution de l’enfant.
Craintes partagées - Le mineur peut partager avec son parent une caractéristique qui fonde le besoin de protection de ce dernier : il en va ainsi lorsque l’enfant et son parent craignent des persécutions en raison de leur genre, de leur appartenance ethnique ou de leur provenance d’une zone dans laquelle sévit un conflit