1. À la source de la distinction entre la qualité et le statut de réfugié : l’articulation entre le droit de l’Union européenne et la Convention de Genève

La Convention du 28 juillet 1951 relative au « statut » des réfugiés définit à son article 1er, A, 2 la qualité de réfugié comme étant celle de toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ». Elle énumère ensuite les droits et libertés dont bénéficient ces réfugiés.

L’article 2 de la directive 2011/95/UE du 13 décembre 2011 dite « Qualification » distingue pour sa part, au d), le « réfugié » qui correspond à la définition donnée à l’article 1er, A, 2 de la Convention de Genève et, au e), le « statut de réfugié » défini comme « la reconnaissance, par un État membre, de la qualité de réfugié pour tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride ».

Par un arrêt du 14 mai 2019, la grande chambre de la Cour de justice de l’Union européenne est venue préciser la distinction entre qualité et statut de réfugié, en disant pour droit :

« 92 Il découle des considérations qui précèdent que la qualité de « réfugié », au sens de l’article 2, sous d), de la directive 2011/95 et de l’article 1er, section A, de la convention de Genève, ne dépend pas de la reconnaissance formelle de cette qualité par l’octroi du « statut de réfugié », au sens de l’article 2, sous e), de cette directive, lu en combinaison avec l’article 13 de cette dernière. (…)

98 En effet, outre ce qui a été dit au point 92 du présent arrêt, la circonstance que la personne concernée relève de l’une des hypothèses visées à l’article 14, paragraphes 4 et 5, de la directive 2011/95 ne signifie pas pour autant que celle-ci cesse de répondre aux conditions matérielles dont dépend la qualité de réfugié, relatives à l’existence d’une crainte fondée de persécution dans son pays d’origine.

99 Dans le cas où un État membre décide de révoquer le statut de réfugié ou de ne pas l’octroyer au titre de l’article 14, paragraphe 4 ou 5, de la directive 2011/95, les ressortissants de pays tiers ou les apatrides concernés se voient, certes, privés dudit statut et ne disposent donc pas, ou plus, de l’ensemble des droits et des avantages énoncés au chapitre VII de cette directive, ceux-ci étant associés à ce statut. Toutefois, ainsi que le prévoit explicitement l’article 14, paragraphe 6, de ladite directive, ces personnes jouissent, ou continuent de jouir, d’un certain nombre de droits prévus par la convention de Genève (voir, en ce sens, arrêt du 24 juin 2015, H. T., C‑373/13, EU:C:2015:413, point 71), ce qui, ainsi que l’a souligné M. l’avocat général au point 100 de ses conclusions, confirme qu’ils ont, ou continuent d’avoir, la qualité de réfugié, au sens, notamment, de l’article 1er, section A, de ladite convention, en dépit de cette révocation ou de ce refus. » (CJUE, arrêt du 14 mai 2019, M. c. Ministerstvo vnitra et autres, C‑391/16, C‑77/17 et C‑78/17). 

Le Conseil d’État reprend cette jurisprudence s’agissant des dispositions du CESEDA qui transposent l’article 14 § 4 et 5 de la directive « Qualification ». Dans sa décision du 19 juin 2020, M. K. OFPRA, nos 416032 et 416121, il a considéré que :

« Les dispositions de l’article L. 711-6 (L. 511-7) du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile doivent être interprétées conformément aux objectifs de la directive 2011/95/UE du 13 décembre 2011 dont ils assurent la transposition et qui visent à assurer, dans le respect de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, d’une part, que tous les États membres appliquent des critères communs pour l’identification des personnes nécessitant une protection internationale et, d’autre part, un niveau minimal d’avantages à ces personnes dans tous les États membres. Il résulte des paragraphes 4 et 5 de l’article 14 de cette directive, tels qu’interprétés par l’arrêt C-391/16, C77/17 et C-78/17 du 14 mai 2019 de la Cour de justice de l’Union européenne, que la « révocation » du statut de réfugié ou le refus d’octroi de ce statut, que leurs dispositions prévoient, ne saurait avoir pour effet de priver de la qualité de réfugié le ressortissant d’un pays tiers ou l’apatride concerné qui remplit les conditions pour se voir reconnaître cette qualité au sens du A de l’article 1er de la convention de Genève. En outre, le paragraphe 6 de l’article 14 de cette même directive doit être interprété en ce sens que l’État membre qui fait usage des facultés prévues à l’article 14, paragraphes 4 et 5, de cette directive, doit accorder au réfugié relevant de l’une des hypothèses visées à ces dernières dispositions et se trouvant sur le territoire dudit État membre, à tout le moins, le bénéfice des droits et protections consacrés par la convention de Genève auxquels cet article 14, paragraphe 6, fait expressément référence, en particulier la protection contre le refoulement vers un pays où sa vie ou sa liberté serait menacée, ainsi que des droits prévus par ladite convention dont la jouissance n’exige pas une résidence régulière. »

À cette distinction entre qualité et statut de réfugié, correspondent deux niveaux de protection en droit international et européen.

2. Les droits associés au statut et à la qualité de réfugié

L’individu relevant de la qualité de réfugié et bénéficiant, à ce titre, du statut afférant se voit reconnaître, par la Convention de Genève, des droits étendus, surtout sous l’angle de l’égalité de traitement avec les nationaux du pays d’accueil ou les ressortissants d'un pays étranger en situation régulière. C’est le cas en matière de liberté religieuse (article 4), de propriété mobilière et immobilière (article 13), de propriété intellectuelle et industrielle (article 14), de droit d'association (article 15), du droit d'ester en justice (article 16), de l’exercice des professions salariées, non salariées ou libérales (articles 17, 18 et 19), de logement (article 21), d’éducation publique (article 22), d’assistance publique (article 23), de législation du travail et de sécurité sociale (article 24), d’aide administrative (article 25), de liberté de circulation (article 26), de pièces d'identité (article 27), de titres de voyage (article 28), de charges fiscales (article 29), avec des règles spécifiques en matière d’entrée irrégulière, d’expulsion, de refoulement (articles 31, 32 et 33) et de naturalisation (article 34).

En droit de l’Union européenne, le contenu du statut de réfugié est prévu au chapitre VII de la directive « Qualification » qui vise notamment la protection contre le refoulement, le maintien de l’unité familiale, l’octroi d’un titre de séjour et de documents de voyage, l’accès à l’emploi, l’accès à l’éducation, l’accès aux procédures de reconnaissance des qualifications, la protection sociale, les soins de santé, l’accès au logement, la liberté de circulation à l’intérieur de l’État membre, l’accès aux dispositifs d’intégration.

L’individu ayant la qualité de réfugié mais ne bénéficiant pas du statut afférant (car celui-ci lui a été refusé ou retiré) dispose quant à lui d’un nombre plus limité de droits. Dans son arrêt du 24 juin 2015, H.T. c/ Land Baden-Wurttemberg, C-373/13, au point 71, la CJUE a jugé que « dans le cas où un État membre, en application de l’article 14, paragraphe 4, de cette directive, révoque, met fin ou refuse de renouveler le statut de réfugié octroyé à une personne, cette personne a le droit, conformément à l’article 14, paragraphe 6, de ladite directive, de jouir des droits qui sont énumérés notamment aux articles 32 et 33 de la convention de Genève ».

L’article 14, paragraphe 6 de la directive « Qualification » prévoit ainsi que « les personnes auxquelles les paragraphes 4 et 5 s’appliquent ont le droit de jouir des droits prévus aux articles 3, 4, 16, 22, 31, 32 et 33 de la convention de Genève ou de droits analogues, pour autant qu’elles se trouvent dans l’État membre ». Sont visés la non-discrimination quant à la race, la religion ou le pays d'origine (article 3), la liberté religieuse (article 4), le droit d’ester en justice (article 16), le droit à l’éducation (article 22) et les règles en matière de liberté de circulation, d’expulsion et de refoulement (articles 31, 32 et 33). Il s’agit là des garanties minimales liées à la qualité de réfugié qui restent acquises même en cas de refus ou de retrait du statut de réfugié. N’y figurent en revanche ni le droit au séjour, ni le droit au travail, ni les droits sociaux et patrimoniaux.

3. La fin de la qualité de réfugié

L’article L. 511-8 du CESEDA dispose que :

« L'Office français de protection des réfugiés et apatrides met fin, de sa propre initiative ou à la demande de l'autorité administrative, au statut de réfugié lorsque la personne concernée relève de l'une des clauses de cessation prévues à la section C de l'article 1er de la convention de Genève, du 28 juillet 1951. (…) L'office met également fin à tout moment, de sa propre initiative ou à la demande de l'autorité administrative, au statut de réfugié dans les cas suivants :

1° Le réfugié aurait dû être exclu du statut de réfugié en application des sections D, E ou F de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 ;

2° La décision de reconnaissance de la qualité de réfugié a résulté d'une fraude ;

3° Le réfugié doit, compte tenu de circonstances intervenues après la reconnaissance de cette qualité, en être exclu en application des sections D, E ou F de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951. »

Bien qu’il vise le « statut de réfugié », cet article concerne bien la qualité de réfugié. Il renvoie en effet à la fraude ainsi qu’aux clauses de cessation et d’exclusion, pour certains crimes notamment, qui sont prévues à l’article 1er de la Convention de Genève en tant qu’éléments définissant la notion de réfugié pour l’application de la convention.

4. La fin du statut de réfugié

L’article L. 511-7 du CESEDA dispose que :

« Le statut de réfugié est refusé ou il y est mis fin dans les situations suivantes :

1° Il y a des raisons sérieuses de considérer que la présence en France de la personne concernée constitue une menace grave pour la sûreté de l'État ;

2° La personne concernée a été condamnée en dernier ressort en France, dans un État membre de l'Union européenne ou dans un État tiers figurant sur la liste, fixée par décret en Conseil d'État, des États dont la France reconnaît les législations et juridictions pénales au vu de l'application du droit dans le cadre d'un régime démocratique et des circonstances politiques générales soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrorisme ou une apologie publique d'un acte de terrorisme ou puni de dix ans d'emprisonnement, et sa présence constitue une menace grave pour la société française. »

Dans sa décision du 19 juin 2020, OFPRA c/ M. N, n° 428140 le Conseil d’État a jugé qu’ « il résulte de ces dispositions que la possibilité de refuser le statut de réfugié ou d’y mettre fin, qui est sans incidence sur le fait que l’intéressé a ou conserve la qualité de réfugié dès lors qu’il en remplit les conditions, est subordonnée à deux conditions cumulatives. Il appartient à l’OFPRA et, en cas de recours, à la Cour nationale du droit d’asile, d’une part, de vérifier si l’intéressé a fait l’objet de l’une des condamnations que visent les dispositions précitées et, d’autre part, d’apprécier si sa présence sur le territoire français est de nature à constituer, à la date de leur décision, une menace grave pour la société au sens des dispositions précitées, c’est-à-dire si elle est de nature à affecter un intérêt fondamental de la société, compte tenu des infractions pénales commises - lesquelles ne sauraient, à elles seules, justifier légalement une décision refusant le statut de réfugié ou y mettant fin - et des circonstances dans lesquelles elles ont été commises, mais aussi du temps qui s’est écoulé et de l’ensemble du comportement de l’intéressé  depuis la commission des infractions ainsi que de toutes les circonstances pertinentes à la date à laquelle ils statuent ».

Dans sa décision du 10 juin 2021, OFPRA c/ M. A, n° 440383, le Conseil d’État a précisé que « la seule circonstance qu’un réfugié, condamné pour des faits qui, lorsqu’ils ont été commis, établissaient que sa présence constituait une menace grave pour la société, se soit abstenu, postérieurement à sa libération, de tout comportement répréhensible, n’implique pas, par elle-même, du moins avant l’expiration d’un certain délai, et en l’absence de tout autre élément positif significatif en ce sens, que cette menace ait disparu ».

Cette dissociation entre la qualité et le statut rejaillit sur l’office du juge de l’asile, ainsi que l’a utilement précisé le Conseil d’État. Dans sa décision du 9 novembre 2021, M. I., n° 439891, il a ainsi jugé que « dès lors que la possibilité de refuser le statut de réfugié ou d'y mettre fin, en application de l'article L. 711‑6 (L. 511-7) du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, est sans incidence sur le fait que l'intéressé a ou conserve la qualité de réfugié, il n'appartient pas à la Cour nationale du droit d'asile, lorsqu'elle est seulement saisie d'un recours dirigé contre une décision mettant fin au statut de réfugié prise sur le fondement dudit article L. 711-6 (L. 511‑7) sans que l'OFPRA ne remette en cause devant elle la qualité de réfugié de l'intéressé, de vérifier d'office que ce dernier remplit les conditions prévues aux articles 1er de la convention de Genève et L. 711-1 (L. 511-1) du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Il en va autrement lorsque, dans le cadre d’un recours dirigé contre la décision mettant fin au statut de réfugié d’un demandeur d’asile, la cour est saisie par l’OFPRA, en cours d’instance, de conclusions visant à ce que soit remise en cause la qualité de réfugié de l'intéressé ».

La Cour de justice de l’Union européenne a également apporté d’importantes précisions quant aux conditions du retrait du statut de réfugié en application de l’article 14, paragraphe 4, sous b), de la directive « Qualification », dans deux arrêts rendus le 6 juillet 2023.

Dans l’affaire C‑663/21, elle a considéré que  « l’application de cette disposition est subordonnée à ce qu’il soit établi, par l’autorité compétente, que la révocation du statut de réfugié constitue une mesure proportionnée au regard de la menace que représente le ressortissant concerné d’un pays tiers pour un intérêt fondamental de la société de l’État membre dans lequel ce ressortissant d’un pays tiers se trouve. À cette fin, cette autorité compétente doit mettre en balance cette menace avec les droits qui doivent être garantis, conformément à cette directive, aux personnes remplissant les conditions matérielles de l’article 2, sous d), de ladite directive, sans toutefois que ladite autorité compétente soit tenue, de surcroît, de vérifier que l’intérêt public s’attachant au retour dudit ressortissant d’un pays tiers dans son pays d’origine l’emporte sur l’intérêt du même ressortissant d’un pays tiers au maintien de la protection internationale, au regard de l’étendue et de la nature des mesures auxquelles celui-ci serait exposé en cas de retour dans son pays d’origine » (CJUE, arrêt du 6 juillet 2023, Bundesamt für Fremdenwesen und Asyl, C-663/21, § 43).

Dans l’affaire C-402/22, la CJUE a apporté des précisions supplémentaires. Premièrement, l’article 14, paragraphe 4, sous b), de la directive 2011/95/UE « doit être interprété en ce sens que constitue un « crime particulièrement grave », au sens de cette disposition, un crime présentant, eu égard à ses traits spécifiques, une gravité exceptionnelle, en tant qu’il fait partie des crimes qui portent le plus atteinte à l’ordre juridique de la société concernée. Aux fins d’apprécier si un crime pour lequel un ressortissant d’un pays tiers a été condamné en dernier ressort présente un tel degré de gravité, il y a lieu de tenir compte, notamment, de la peine encourue et de la peine prononcée pour ce crime, de la nature de celui-ci, d’éventuelles circonstances aggravantes ou atténuantes, du caractère intentionnel ou non dudit crime, de la nature et de l’ampleur des dommages causés par le même crime ainsi que de la procédure appliquée pour réprimer celui-ci ». Deuxièmement, « l’existence d’une menace pour la société de l’État membre dans lequel se trouve le ressortissant concerné d’un pays tiers ne peut être regardée comme étant établie en raison du seul fait que celui-ci a été condamné en dernier ressort pour un crime particulièrement grave ». Et enfin, « l’application de cette disposition est subordonnée à ce qu’il soit établi, par l’autorité compétente, que la menace représentée par le ressortissant concerné d’un pays tiers pour un intérêt fondamental de la société de l’État membre dans lequel il se trouve revêt un caractère réel, actuel et suffisamment grave et que la révocation du statut de réfugié constitue une mesure proportionnée à cette menace ». (CJUE, arrêt du 6 juillet 2023, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid, C-402/22, § 57).

5. Après ces fins de protection en France

En matière de séjour et de travail :

Dans sa nouvelle rédaction, l’article L. 424-6 du CESEDA dispose que :

« Lorsqu'il est mis fin au statut de réfugié par décision définitive de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou par décision de justice ou lorsque l'étranger renonce à ce statut, la carte de résident prévue aux articles L. 424-1 et L. 424-3 est retirée.

L'autorité administrative statue sur le droit au séjour des intéressés à un autre titre dans un délai fixé par décret en Conseil d'État.

Sous réserve de menace grave à l'ordre public ou que l'intéressé ne soit pas retourné volontairement dans le pays qu'il a quitté ou hors duquel il est demeuré de crainte d'être persécuté, la carte de résident ne peut être retirée en application du premier alinéa quand l'étranger est en situation régulière depuis au moins cinq ans. »

Pour rappel, conformément à l’article L. 414-10 du même code, la possession d'une carte de résident par un étranger résidant sur le territoire métropolitain lui confère le droit d'exercer une activité professionnelle, sur ce même territoire, dans le cadre de la législation en vigueur.

La même réserve d’ordre public permet également de refuser le renouvellement d’une carte de résident (article L. 432-3 du CESEDA).

Ces nouveaux cas de retrait et de non-renouvellement de la carte de résident, introduits par la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, pourront s’appliquer en cas de retrait du statut de réfugié sur le fondement de l’article L. 511-7 du CESEDA, mais également en cas d’exclusion de la qualité de réfugié en application des dispositions combinées des articles L. 511-8 du CESEDA et 1er, F de la convention de Genève.

À cet égard, au point 31 de son avis n° 406543 du 26 janvier 2023 sur le projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, le Conseil d’État a indiqué que « si en effet par sa décision n° 97‑389 DC du 22 avril 1997, le Conseil constitutionnel a jugé qu’ “une simple menace pour l'ordre public ne saurait suffire à fonder un refus de renouvellement de ce titre de séjour sans atteintes excessives au droit de l'intéressé au respect de sa vie familiale et privée ”, il a dans le même temps admis que la préservation de l'ordre public permette à l'autorité administrative, en cas de menace “grave”, de prononcer son expulsion. Le Conseil d’État considère que la même “menace grave à l'ordre public” peut justifier le retrait, ou le refus de renouvellement, de la carte de résident. Il propose toutefois que le projet de loi ne fasse pas suivre cette expression des mots “à la sécurité publique ou la sûreté de l’État”, qui sont redondants ». Force est de constater que, dans sa décision n° 2023-863 DC du 25 janvier 2024, le Conseil constitutionnel n’a pas censuré cette réserve de menace grave à l'ordre public.

Au point 32 du même avis, le Conseil d’État « s’est interrogé sur l’utilité de la mesure si l’étranger auquel la carte de résident a été retirée pour menace grave à l’ordre public ne peut faire l’objet d’un éloignement, en l’absence de possibilité d’expulsion ou de reconduite par les effets des protections prévues. Il admet que, même dans ces hypothèses, le retrait de la carte de résident, comme son non renouvellement, ne seraient pas dépourvus d’utilité au regard de la protection de l’ordre public. L’étranger se verrait alors accorder un statut de séjour moins favorable que celui de la carte de résident, une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » comme le prévoit le projet, de loi et se retrouverait par suite, ainsi que le fait valoir le Gouvernement, dans une situation susceptible, à l’instar des condamnations avec sursis en matière pénale, de l’inciter à adopter un comportement plus respectueux de la loi ou de la sécurité des personnes et des biens ».

En permettant de priver un réfugié de carte de résident et du droit consécutif au travail en cas de perte du statut de réfugié pour menace grave à l'ordre public, ces évolutions législatives rapprochent le droit interne du socle de droits garantis par le droit européen qui ne s’étend ni au séjour ni au travail.

En matière d’éloignement :

Alors que l’article 33§2 de la Convention de Genève prévoit que le non refoulement vers un pays où il serait menacé « ne pourra toutefois être invoqué par un réfugié qu'il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l'objet d'une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays », cette dérogation n’est permise ni en droit de l’Union européenne ni, en conséquence, en droit français.

C’est ainsi qu’au point 4 de l’ordonnance du 2 mars 2021, M. S., n° 449901, le juge des référés du Conseil d’État a jugé qu’ « il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’Homme, notamment depuis l’arrêt de Grande chambre du 28 février 2008 Saadi c/ Italie n° 37201/06, en premier lieu, que la protection prévue par [l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales selon lequel “nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants”] est absolue et impose de ne pas expulser une personne lorsqu’elle court dans le pays de destination un risque réel et sérieux d’être soumise aux traitements qu’elles prohibent, en deuxième lieu, qu’il n’est pas possible de mettre en balance le risque de mauvais traitements et les motifs qui fondent l’expulsion, et en troisième lieu, que l’existence d’un risque de mauvais traitements doit être examinée à la lumière de la situation générale dans le pays de destination et des circonstances propres au cas de l’intéressé, compte tenu notamment des garanties dont l’État d’accueil a, le cas échéant, fourni les assurances ».

Au point 8 de sa décision du 28 mars 2022, M. D., n° 450618, le Conseil d’État a également jugé qu’il résulte de l’article 33 de la convention de Genève, de l’article 21 de la directive 2011/95/UE du 13 décembre 2011 et de l’article L. 511-7 du CESEDA « qu’il peut être dérogé au principe de non-refoulement lorsqu’il existe des raisons sérieuses de considérer que le réfugié constitue une menace grave pour la sureté de l’État ou lorsque ayant été condamné en dernier ressort en France soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrorisme ou puni de dix ans d'emprisonnement, il constitue une menace grave pour la société. Toutefois, ainsi que l’a jugé la Cour de justice de l’Union européenne par l’arrêt précité du 14 mai 2019 (C-391/16, C-77/17 et C-78/17), un État membre ne saurait éloigner un réfugié lorsqu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’il encourt dans le pays de destination un risque réel de subir des traitements prohibés par les articles 4 et 19 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Ainsi, lorsque le refoulement d’un réfugié relevant de l’une des hypothèses prévues au 4 de l’article 14 ainsi qu’au 2 de l’article 21 de la directive du 13 décembre 2011 ferait courir à celui-ci le risque que soient violés ses droits fondamentaux consacrés aux articles 4 et 19 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre concerné ne saurait déroger au principe de non-refoulement sur le fondement du 2 de l’article 33 de la convention de Genève ».

Restent donc absolues les protections liées aux craintes du réfugié, fût-il privé de son statut.

Trois niveaux de protection peuvent, en définitive, être distingués. Une pleine protection pour les réfugiés statutaires, une protection réduite aux droits prévus aux articles 3, 4, 16, 22, 31, 32 et 33 de la Convention de Genève pour les réfugiés non statutaires – sans dérogation possible au principe de non-refoulement – et une protection indirecte résultant de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et des articles 4 et 19 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne pour les personnes exclus du bénéfice de la qualité de réfugié.