Quel avenir pour la demande d'asile des mineurs non accompagnés à l'heure du nouveau Pacte asile et migration ?

Léa JARDIN

15/11/2024

Résumé

Les mineurs non accompagnés constituent une catégorie particulière de demandeurs d’asile. Ils bénéficient généralement de dérogations et d’adaptations du droit commun applicable en matière d’asile afin de les protéger au mieux en l’absence de leurs représentants légaux. Le nouveau Pacte sur l’asile et la migration de l’Union européenne revient sur les garanties apportées précédemment par le Régime d’asile européen commun. Notamment, il a privilégié, à plusieurs stades des procédures qu’il encadre, une application du droit commun à ces mineurs au détriment du respect de leurs droits. En ce qui concerne la principale adaptation qui leur est accordée, c’est-à-dire la désignation systématique et sans délai d’un représentant légal, le nouveau régime semble incomplet.
Malgré quelques avancées, la mise en œuvre de cette désignation, en particulier lors de la nouvelle procédure de filtrage, risque de poser un certain nombre de difficultés pratiques. Le Pacte ne semble pas avoir fait de l’intérêt supérieur de ces enfants une considération primordiale.

Texte

La notion de « mineur non accompagné » a véritablement pris corps avec les évolutions successives du droit des réfugiés. De fait, l’une des premières occurrences de l’expression peut être trouvée dans la constitution de l’Organisation internationale pour les réfugiés (ancêtre du Haut-Commissariat pour les réfugiés) de 1948 qui reconnaît la possibilité, pour ces enfants, de bénéficier du statut de réfugié[1]. Elle est également mentionnée dans l’Acte final de la conférence des plénipotentiaires des Nations Unies sur le statut des réfugiés et des apatrides, conférence ayant conduit à l’adoption de la Convention de Genève de 1951. Par la suite, la notion et ses implications ont été développées dans les années 1980 par le Haut-Commissariat pour les réfugiés. La notion est mentionnée à l’article 22 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant dédié aux enfants réfugiés[2]. Elle est déclinée dans le cadre de la politique de l’Union européenne en matière d’asile, d’abord par une Résolution spécifique adoptée en 1997[3], puis dans les instruments ayant composé successivement le Régime d’asile européen commun (ci-après « RAEC »). Le mineur non accompagné est, au sens du droit européen, « un mineur qui entre sur le territoire des États membres sans être accompagné d’un adulte qui, selon le droit ou la pratique de l’État membre concerné, en est responsable, et tant que ce mineur n’est pas effectivement pris en charge par un tel adulte, y compris un mineur qui cesse d’être accompagné après son entrée sur le territoire des États membres»[4].

Si la catégorie « mineur non accompagné » s’inscrit dans le domaine de l’asile, elle ne s’y limite plus. En France, ces mineurs peuvent bénéficier d’une prise en charge par les conseils départementaux au titre de la protection de l’enfance[5] et ils n’ont pas besoin de justifier d’un titre de séjour pour résider régulièrement sur le territoire national le temps de leur minorité[6]. Ces dernières années, le nombre d’entrées dans les dispositifs de protection de l’enfance ne cesse d’augmenter (environ 11 300 en 2021, 14 700 en 2022, 19 300 en 2023)[7] et il est sans commune mesure avec le nombre de mineurs non accompagnés ayant sollicité l’asile auprès de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (ci-après « OFPRA »), lui aussi en augmentation (634 demandes en 2020, 867 en 2021, 1003 en 2022, 1350 en 2023)[8].

Pourtant, sur les aspects formels de la demande d’asile, la procédure a connu quelques adaptations pour tenter de répondre aux besoins spécifiques de ce public. Tout d’abord, au moment du dépôt de leur demande d’asile en préfecture, les mineurs non accompagnés doivent se voir désigner un représentant, qui correspond en France à l’administrateur ad hoc désigné « sans délai » pour les assister « dans le cadre des procédures administratives et juridictionnelles relatives à la demande d’asile »[9]. Ensuite, ils bénéficient de règles dérogatoires de détermination de l’État membre de l’Union européenne responsable de leurs demandes puisqu’ils échappent à la règle du premier pays d’entrée. L’État responsable est en effet  celui où un membre de leur famille réside régulièrement ou, à défaut, celui où ils ont introduit leur demande. Enfin, la directive « procédures » du RAEC avait édicté des conditions particulières d’examen de leur demande[10], mises en œuvre par l’OFPRA (officier de protection spécialement formé, salle adaptée, possibilité de reclassement en procédure normale par l’OFPRA, etc.). Pour le reste, la procédure demeure la même que pour les majeurs, c’est-à-dire dans la déclinaison française : le pré-accueil dans les plateformes dédiées, l’enregistrement de la demande auprès du guichet unique des préfectures, l’entretien à l’OFPRA et l’éventuel recours devant la Cour nationale du droit d’asile (ci-après « CNDA »). Selon toute vraisemblance, le schéma procédural qui sera mis en œuvre par les pôles territoriaux « France asile », créés par la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration sera le même pour les mineurs non accompagnés, aucune disposition particulière n’ayant été prévue.

Plus globalement, la demande d’asile présente au moins trois intérêts pour les mineurs non accompagnés, si tant est qu’ils réussissent à obtenir le statut de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire. Premièrement, l’octroi d’une protection internationale constitue un moyen complémentaire de protection qui permet la reconnaissance des craintes des jeunes en cas de retour dans leur pays d’origine et qui règle également la question de l’obtention du titre de séjour à la majorité. Il faut ici préciser que le taux de protection est particulièrement élevé, généralement de l’ordre 70-80 % par l’OFPRA et de 80-90 % en incluant les recours CNDA[11], ce qui atteste de la réalité de leurs besoins en matière de protection internationale. Deuxièmement, elle permet une reconstitution par l’OFPRA de leur état civil qui peut leur être utile pour prouver leur minorité[12]. Troisièmement, ils pourront plus facilement solliciter et obtenir la réunification familiale avec leurs parents ou leurs frères et sœurs, la jurisprudence récente de la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après « CJUE ») ayant renforcé de façon opportune ce droit[13]

Si l’ensemble du régime actuel connaît de nombreuses difficultés de mise en œuvre en France (absence d’accès aux conditions matérielles d’accueil[14] ; effectivité de la désignation de l’administrateur ad hoc ; articulation avec les services de protection de l’enfance, etc.[15]), l’ensemble apparaît relativement équilibré. Néanmoins, cet équilibre risque d’être complètement altéré dans les mois à venir avec la mise en œuvre du nouveau Pacte sur l’asile et la migration, adopté en mai dernier après quatre ans de négociations. L’architecture de ce Pacte, composé de huit règlements et d’une directive, vise à répondre aux limites du RAEC ainsi qu’à limiter l’accès au territoire européen des ressortissants de pays tiers en situation irrégulière, au détriment, semble-t-il, des droits fondamentaux de ces ressortissants, y compris lorsqu’ils sont mineurs. Pourtant, quasiment tous les textes[16] font référence au principe d’intérêt supérieur de l’enfant soit en préambule, soit par un article dédié aux mineurs, soit les deux. Ils renvoient explicitement à l’article 24 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ou à la Convention internationale relative aux droits de l’enfant. La prise en considération de cet intérêt supérieur semble pourtant bien relative au regard des objectifs que s’est donnés le Pacte, aussi bien pour la mise en œuvre des procédures de droit commun à l’égard des mineurs non accompagnés (I) que pour la définition des règles encadrant la désignation d’un représentant, qui constitue la principale garantie spécifique à ces mineurs (II). Il sera ainsi question des garanties procédurales octroyées aux mineurs au moment du dépôt de la demande d’asile plutôt que des questions relatives à l’examen des craintes et aux effets de la reconnaissance d’une protection internationale à proprement parler, dont les évolutions sont plus mesurées. Au surplus, les évolutions procédurales emporteront très certainement des effets sur le traitement des mineurs non accompagnés en France, qu’il pourra être utile de discuter. 

I. De la mise en œuvre renforcée des procédures de droit commun à l'égard des mineurs non accompagnés

Traditionnellement, les mineurs non accompagnés bénéficient de quelques adaptations de la procédure de droit commun en raison de leur vulnérabilité particulière. Tel était le cas pour la désignation de l’État membre responsable de leur demande d’asile sous l’empire des précédents règlements Dublin II et III. Ces spécificités ont néanmoins été limitées par le nouveau Pacte, non seulement en ce qui concerne la désignation de l’État membre responsable de leur demande (B), mais également plus tôt dans la procédure, dès la mise en œuvre des nouvelles procédures à l’entrée sur le territoire européen qui concerneront tous les ressortissants étrangers. En particulier, la procédure de filtrage interroge du point de vue des droits de l’enfant (A). 

A. L’indifférence de la procédure de filtrage aux droits des mineurs non accompagnés 

Le Pacte a entériné deux nouvelles procédures à la frontière : une procédure de filtrage de tous les ressortissants de pays tiers se présentant aux frontières extérieures de l’Union ou étant entrés de façon irrégulière sur le territoire de l’un des États membres[17] ; et une procédure d’asile à la frontière[18].

S’agissant du filtrage, il consiste en un contrôle sanitaire et une appréciation de la vulnérabilité préliminaire, en l’identification de la personne ou la vérification de son identité, en l’enregistrement de ses données biométriques dans Eurodac, en un contrôle de sécurité et au renseignement du formulaire de filtrage (article 8 du règlement « Filtrage »). Ces vérifications doivent être effectuées dans un délai de sept jours maximum, durée pendant laquelle « les États membres prévoient dans leur droit national des dispositions visant à faire en sorte que les [ressortissants étrangers] restent à la disposition des autorités compétentes chargées de procéder au filtrage […] afin de prévenir tout risque de fuite » (article 6). Même si le terme n’est pas employé, les expressions « maintenir à disposition » et « prévenir tout risque de fuite » laissent peu de doute quant à la nature de la mesure qui sera mise en œuvre : il s’agira d’une privation de liberté. Le dispositif, inspiré des hotspots, inquiète du point de vue du respect des droits fondamentaux, mais aussi au regard des conditions de sa mise en œuvre[19].

Or, cette inquiétude est d’autant plus forte pour les mineurs non accompagnés qu’aucune dérogation n’est prévue pour eux. En effet, l’article 5 du règlement dispose que le filtrage « s’applique à tous les ressortissants de pays tiers, qu’ils aient ou non présenté une demande de protection internationale, qui ne remplissent pas les conditions d’entrée [dans l’UE] et qui : a. sont interpellés à l’occasion d’un franchissement non autorisé de la frontière extérieure d’un État membre par voie terrestre, maritime ou aérienne, à l’exception des ressortissants de pays tiers dont, pour des raisons autres que leur âge, l’État membre concerné n’est pas tenu de relever les données biométriques en application [du règlement  « Filtrage »] » La formule est relativement alambiquée, pourtant, il faut en comprendre que l’âge ne pourra justifier de dérogation. Ainsi, il ne fait aucun doute qu’ils entrent dans le champ d’application du règlement. Cette absence de dérogation interroge puisque ces mineurs sont exemptés de la procédure d’asile à la frontière[20], c’est-à-dire qu’ils pourront entrer sur le territoire de l’Union, faire examiner leur demande d’asile par le premier État d’entrée et bénéficier des conditions matérielles d’accueil dans ce pays. La mise en œuvre de la procédure de filtrage à l’égard des mineurs y compris lorsqu’ils sont non accompagnés montre qu’aucune vulnérabilité, quelle qu’elle soit, ne saurait entraver l’objectif que s’est fixée l’Union d’un contrôle accru des frontières extérieures doublé d’une volonté de limiter les mouvements dits « secondaires » entre États membres. 

Dans le même temps, l’article 13 du règlement dispose qu’au « cours du filtrage, l’intérêt supérieur de l’enfant est toujours une considération primordiale, conformément à l’article 24, paragraphe 2, de la Charte ». Sur ce point, trois remarques s’imposent. Tout d’abord, la conformité d’une généralisation de la privation de liberté à tous les mineurs, accompagnés ou non, avec le principe d’intérêt supérieur de l’enfant laisse dubitatif. À l’heure où la France vient enfin d’interdire la rétention de tous les enfants[21], quel que soit leur âge, et après de multiples condamnations de la Cour européenne des droits de l’homme[22], cette généralisation sonne comme un retour en arrière. Elle va à l’encontre de toutes les recommandations des organes de promotion et de protection des droits humains en matière de privation de liberté des enfants migrants, puisque, rappelons-le, « chaque enfant a, en tout temps, un droit fondamental à la liberté et le droit de ne pas être placé en détention pour des motifs liés à l’immigration »[23]

Ensuite, il aurait pu être a minima envisageable de fixer un seuil d’âge, en dessous duquel les enfants n’auraient pas été soumis à la procédure de filtrage. Le Pacte retient à ce titre plusieurs seuils d’âge. Ainsi, les données biométriques d’un mineur de six ans ne peuvent être enregistrées dans le fichier Eurodac[24] et les données des mineurs de 14 ans ne peuvent être utilisées à des fins répressives[25]. Également, le règlement « Crise » prévoit qu’en cas d’instrumentalisation des demandeurs d’asile, les mineurs de douze ans accompagnés soient exemptés de la procédure d’asile à la frontière ou que celle-ci cesse après une évaluation individuelle du caractère fondé de leur demande[26]. Cette catégorisation des mineurs selon leur âge aurait pu être utilisée pour la procédure de filtrage.

Enfin, la nature des garanties accordées par le règlement « Filtrage » au bénéfice des mineurs en général et des mineurs non accompagnés en particulier ne peut que renforcer les inquiétudes liées au respect de leurs droits. D’une part, les exigences relatives aux lieux où pourraient être placés les ressortissants étrangers sont particulièrement souples puisqu’il est seulement spécifié que « le filtrage est effectué en tout lieu adéquat et approprié désigné par chaque État membre »[27]. La même disposition semble supposer une distinction dans le traitement des étrangers, entre ceux qui auraient demandé l’asile et ceux qui ne l’auraient pas fait, car il est précisé que « les règles pertinentes en matière de rétention énoncées dans la directive 2008/115/CE s’appliquent au cours du filtrage en ce qui concerne les ressortissants de pays tiers qui n’ont pas introduit de demande de protection internationale ». Pourtant, il paraît difficilement imaginable qu’au stade du filtrage les États membres créent des structures différenciées selon les profils, d’autant que la majorité des ressortissants étrangers, s’ils ne remplissent pas les conditions du Code frontières Schengen pour entrer sur le territoire de l’Union, n’auront d’autre choix que de demander la protection internationale. Ainsi, il semble qu’en toute hypothèse, il faudra se référer à la directive « Retour » de 2008 pour savoir dans quelles conditions la rétention se déroulera. Les garanties qu’elle prévoit pour les mineurs sont minimales[28] : le placement en rétention est une mesure de dernier ressort prise pour la période la plus brève possible ; le droit aux loisirs et aux activités récréatives doit être garanti ; le placement doit avoir lieu, dans la mesure du possible, dans des « institutions disposant d’un personnel et d’installations adaptés [à leurs] besoins »[29]. Il aurait été opportun de profiter du vote de ce nouveau Pacte pour revoir les exigences minimales en matière de rétention des enfants[30]

D’autre part, les autres garanties accordées par le règlement « Filtrage » paraissent tout aussi insuffisantes puisque l’obligation de désignation d’un représentant semble très souple à ce stade de la procédure. En effet, il est prévu qu’un représentant compétent et formé lui soit désigné, que ce représentant doit être distinct de la personne chargée du filtrage, et qu’à défaut d’une telle désignation le mineur puisse tout de même demander l’asile[31] (article 13). Or le représentant est le garant de son information sur ses droits puisque l’article 11 du règlement précise que le mineur doit être informé de la procédure de filtrage d’une façon qui soit adaptée à son âge et en présence de son représentant. Également, lors des contrôles sanitaires et de vulnérabilité « un soutien approprié au regard de sa santé physique et mentale dans des installations adéquates […] est apporté d’une manière adaptée aux enfants et à leur âge par du personnel formé et qualifié pour s’occuper de mineurs, et en coopération avec les autorités nationales de protection de l’enfance »[32]. Comme l’expérience des hotspots a pu le démontrer[33], il est difficile de voir dans quelle mesure les autorités de protection de l’enfance pourraient agir efficacement dans le contexte du filtrage.

Dans l’ensemble, il est difficile de considérer que l’économie du dispositif de filtrage fasse de l’intérêt supérieur des mineurs non accompagnés une considération primordiale. En témoigne également la possibilité de recourir à la force pour contraindre le mineur à donner ses données biométriques au moment de l’enregistrement dans le fichier Eurodac[34].
Précisons néanmoins que le règlement définit les conditions de réalisation du filtrage sur le territoire d’un État membre, une fois que l’étranger en situation irrégulière est entré (article 7) là encore sans organiser de régime spécifique pour les mineurs non accompagnés. Pour autant, ces derniers n’étant pas en situation irrégulière en France, puisqu’il n’est pas exigé d’eux qu’ils détiennent un titre de séjour, cette disposition ne devrait, en principe, pas trouver à s’appliquer pour eux. Malgré cela, lorsque la procédure de filtrage à l’entrée sur le territoire européen sera finalement mise en œuvre, il sera plus difficile pour les mineurs non accompagnés de rejoindre la France, puisqu’ils bénéficient rarement du visa nécessaire pour entrer sur ce territoire, et d’y solliciter une prise en charge, que ce soit au titre de la protection de l’enfance ou par le biais de l’asile. Ils risquent alors d’être contraints, comme beaucoup d’autres, à prendre plus de risques pour atteindre le pays souhaité et même dans cette hypothèse, il n’est pas certain qu’ils puissent y déposer leur demande d’asile. 

B. La désastreuse modification du critère Dublin

Le système de Dublin et les modalités de répartition qu’il prévoit ont prouvé toutes leurs limites à l’automne 2015 et contribuent depuis au « déséquilibre persistant » des politiques européennes en matière d’asile et d’immigration[35]. Ces modalités pèsent particulièrement sur les trois principaux pays d’entrée des ressortissants étrangers dans l’Union : la Grèce, l’Italie et l’Espagne. En principe, les seuls demandeurs d’asile ne se voyant pas appliquer la règle selon laquelle l’État membre responsable d’une demande d’asile est le premier État d’entrée dans l’Union sont les mineurs non accompagnés. Tel était le cas sous l’empire des règlements Dublin II puis III. Le Pacte, avec le règlement « Gestion asile migration »[36], revient de façon prévisible, mais regrettable, sur cette exception. L’article 25 du règlement hiérarchise les critères de détermination de l’État membre responsable, ils sont classés dans l’ordre de leur application. Ils distinguent l’hypothèse où le mineur a un membre de sa famille résidant légalement sur le territoire d’un État membre, de l’hypothèse où il n’en a pas.

Dans le premier cas, les trois critères sont les mêmes que ceux du règlement Dublin III au mot près. L’État membre responsable de la demande d’asile d’un mineur non accompagné est celui où réside régulièrement un membre de sa famille ou l’un de ses frères et sœurs. Si le mineur est marié, mais que son conjoint ne réside pas régulièrement dans l’Union européenne, l’État membre responsable est celui où réside sa mère, son père, l’adulte responsable de lui, son frère ou sa sœur. À défaut, il peut être confié à un proche qui est en capacité de s’en occuper. Dans ces trois cas, le transfert vers l’État membre responsable n’est effectué que s’il est dans l’intérêt supérieur du mineur de rejoindre la personne identifiée. Également, le règlement « Gestion asile migration » précise que la Commission peut adopter des actes délégués concernant l’identification de la famille, les critères permettant établir l’existence de liens familiaux avérés ainsi que les critères pour vérifier la capacité du proche d’accueillir le mineur. Ainsi, dans cette première hypothèse, le Pacte maintient les garanties préexistantes.

C’est surtout au regard de la seconde hypothèse que le dispositif retenu est insatisfaisant. En effet, lorsque le mineur non accompagné n’a pas de famille dans l’Union européenne ou que celle-ci ne réside pas régulièrement sur le territoire de l’un des États membres, il était prévu que l’État responsable était celui où il avait introduit sa demande d’asile[37]. Sur ce point, la CJUE a considéré que dans le cas où le mineur a déposé plusieurs demandes d’asile, l’État responsable est celui où il se trouve et où il a introduit une demande d’asile, si cela est dans son intérêt supérieur[38]. Peu de temps après cette décision, il a été proposé de réviser le règlement « Dublin III » en ce sens[39]. Néanmoins, cette proposition n’a pas abouti et a rapidement été remplacée par une autre, celle qui a finalement été entérinée par le Pacte. L’État membre responsable est donc le premier pays d’entrée où les empreintes du mineur auront été enregistrées dans le fichier Eurodac dès le stade du filtrage puisqu’il y aura nécessairement été soumis. L’application du critère de droit commun a été justifiée par la nécessité « de décourager les mouvements secondaires […] qui ne servent pas au mieux [les] intérêts [des mineurs non accompagnés] »[40]. Or, l’on voit mal comment le fait d’imposer un nouveau transfert à des mineurs ayant déjà connu de nombreuses ruptures peut être dans leur intérêt supérieur[41], particulièrement lorsqu’ils ont déjà été pris en charge dans les dispositifs de protection de l’enfance, comme c’est souvent le cas en France. 

Bien sûr, la mise en œuvre du critère est entourée des quelques garanties habituelles : la désignation d’un représentant qui participe à la procédure de détermination de l’État membre responsable, la nécessité pour l’État sollicitant le transfert de transmettre à l’État responsable les informations concernant le mineur, sa scolarité, sa santé (articles 48 et 50 du règlement « Gestion »). Surtout, il est prévu que l’intérêt supérieur de l’enfant soit évalué et que si le transfert ne correspond pas à cet intérêt, l’État puisse décider de ne pas procéder au transfert et d’examiner lui-même la demande d’asile. Sur ce point, deux remarques s’imposent. Premièrement, l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant tient notamment compte des possibilités de regroupement familial, du bien-être et du développement de l’enfant, des considérations tenant à la sûreté et à la sécurité du mineur, de son avis en fonction de son âge et de sa maturité, des informations fournies par son représentant et par tout autre élément (article 23 (4)), même transmis tardivement (article 18 (2)). L’évaluation devra être menée par du personnel formé et compétent. Cette évaluation ne pourra néanmoins pas prendre en considération le fait que de nombreux mineurs ayant demandé l’asile aient de la famille en situation irrégulière dans l’État où ils se trouvent et ont déposé leur demande. Également, l’évaluation et l’appréciation de ce qu’est l’intérêt supérieur du mineur varieront nécessairement d’un État à l’autre. 

Secondement, reconnaître la faculté à l’État de considérer que le transfert n’est pas dans l’intérêt du mineur et qu’il doit examiner sa demande lui-même était incontournable au regard de l’article 24 de la Charte, mais ne peut constituer une réponse satisfaisante aux spécificités de ce public. Au maintien d’un critère protecteur, le législateur européen a préféré offrir aux États une large marge d’appréciation. Tout sera alors affaire de volonté politique. En France, à défaut de limiter autant que possible les transferts de mineurs non accompagnés, la procédure de demande d’asile perdra tout intérêt pour eux. Ils préfèreront, sur les conseils des professionnels les accompagnant, solliciter un titre de séjour en préfecture à leurs 18 ans plutôt que de risquer un transfert vers un État membre où ils n’ont aucune attache. Ainsi, les efforts menés par l’OFPRA depuis plusieurs années pour faire connaître la procédure d’asile et permettre aux mineurs qui peuvent s’en réclamer de la mettre en œuvre ne porteront plus leurs fruits[42]. Pourtant, le nombre de demandes d’asile des mineurs non accompagnés a passé en 2022 la barre symbolique des 1000 demandes qui n’avait plus été atteinte depuis les années 2000 où de nombreux mineurs arrivaient en zone d’attente à l’aéroport Roissy Charles de Gaulle[43]. Cette modification compromet alors l’effectivité de la protection internationale pour ces mineurs vulnérables. Dans le même sens, la désignation d’un représentant connaît un certain nombre de difficultés de mise en œuvre, que le Pacte a tenté de rationaliser, avec plus ou moins de succès.

II. De l’insuffisance des conditions de désignation d’un représentant pour les mineurs non accompagnés 

La principale garantie reconnue au bénéfice des mineurs non accompagnés est la désignation d’un représentant légal qui le représente et l’assiste lors des différentes procédures prévues par les divers instruments du Pacte. Six des neuf instruments du Pacte ont une disposition organisant cette désignation[44]. Globalement, il est possible de constater une volonté d’améliorer le dispositif qui se manifeste par les nombreuses précisions apportées depuis le RAEC. Néanmoins, cette désignation est conditionnée au fait que « l’autorité compétente » ne soit pas arrivée à la conclusion que le demandeur était « sans aucun doute âgé de plus de 18 ans », auquel cas elle n’est pas « tenue de désigner un représentant ». Se pose ainsi la question de l’évaluation de l’âge du demandeur que le Pacte envisage de façon totalement différente du RAEC, mais les nouvelles garanties apportées ne le sont que dans des hypothèses trop restreintes (A). Également, la multitude des dispositions encadrant cette désignation est synonyme d’une certaine fragmentation de ce droit puisque quelques procédures connaissent des spécificités (B).

A. Un encadrement de l’évaluation de l’âge nécessaire, mais restreint

Seules deux dispositions précisent les conditions dans lesquelles il est possible d’arriver à la conclusion que le demandeur est « sans aucun doute âgé de plus de 18 ans ». Elles figurent toutes les deux dans le règlement « Procédures » : l’article 25 prévoit les conditions de réalisation de cette évaluation dans le cadre de la procédure de la demande d’asile de droit commun tandis que l’article 53 envisage cette évaluation lors de la procédure d’asile à la frontière.
Concernant la procédure de demande d’asile de droit commun, la nouvelle disposition constitue une réelle évolution par rapport à ce qu’envisageait la directive « Procédures » également son article 25 (5). Celui-ci se contentait d’organiser la possibilité de recourir à l’examen médical s’il existait un doute sur l’âge et précisait qu’à l’issue de l’examen, si le doute persistait sur l’âge, le demandeur devait être présumé mineur. 

L’article 25 du règlement « Procédures » retient un tout autre